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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur De l'animal à l'homme par l'invention du religieux : retour sur le modèle sacrificiel de René Girard


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 6 août 2013 08:45

@ Lord

Réponse à vos posts du 5 août 2:21

Vos deux premiers paragraphes m’incitent à penser que nous n’avons pas de définition consensuelle de ce qu’il faut entendre par sacrificiel. Peut-être qu’un certain nombre de malentendus viennent de là.
Pour ma part, considérant par hypothèse que nous nous situons après l’invention du sacrificiel et que le sacrificiel est la base fondamentale des représentations du monde par les humains, toute leur ontologie en est dérivée plus ou moins directement.
Que dans le contexte paléolithique
cette ontologie se soit structurée autour de la figure du guérisseur en lien avec des individus ne la rend pas moins sacrificielle pour autant. Pour ma part, je considère que dès qu’on est dans l’attribution de causalité, donc dans l’ontologie, physique ou métaphysique cad, tout bêtement, dans l’explication, peu importe qu’elle soit de nature religieuse ou à prétention scientifique, on est dans une forme héritée du sacrificiel.

Partant, tout ce qui nous amène à faire ceci cause de cela est une forme de pensée sacrificielle.
Les prêtres/shaman/guérisseurs qui sont constamment dans cette activité d’assignation de cause peuvent donc être vus comme opérant des formes « light » ou tardives ou évoluées d’une activité sacrificielle.
Leurs pratiques ne devraient donc pas, selon moi, être opposées à l’hypothèse girardienne sous prétexte de non conformité au stéréotype du sacrifice humain.

Les x mythes assimilables par le modèle girardien eux se retrouvent donc dans le 1% restant, et datent des périodes les plus récentes (app. 5000 ans) donc OUI effectivement j’ai quelque peine à envisager que l’étude sélective et orientée de mythes relatifs à des cultures HISTORIQUES puissent permettre de conclure définitivement sur les origines supposément sacrificielles de l’Humain, quelque 2 voir 3 millions d’années auparavant…

Si ce que j’ai exposé plus est pris en compte, vous comprenez que la statistique ne sera plus la même et peut-être qu’alors l’hypothèse sacrificielle pourra être considérée autrement

"Et ce qu’il y a de plus commun aux religions et aux mythes fondateurs de par le monde, c’est le sacrifice, ne vous en déplaise".
Disons que –pour l’intérêt de la discussion- j’accepte la supposée universalité du sacrifice dans les mythes fondateurs : considérant que le sacrifice dès lors n’est pas limité au sacrifice girardien (ergo fonction/participation de nature collective) mais est –je me répète- principalement à dimension individuelle –le sacrifice collectif est propre avant tout aux sociétés agraires et urbaines : assez souvent guerrières : élément à ne pas ignorer quant comparaison avec les sociétés de chasseurs-cueilleurs où le sacrifice (principalement du fait des shamans) est principalement individuel : considérant l’antériorité des sociétés chasseurs-cueilleurs : en suivant votre logique : plutôt que de voir la pratique sacrificielle originelle comme à fonction/participation collective : je peux considérer cette fonction collective comme dérivant de la manifestation première du sacrifice : à savoir magique/thérapeutique et à dimension individuelle (sans fonction sociale a priori), et initialement animal et non humain.

Nous sommes presque d’accord en somme.
Le différend qui persiste tient seulement au fait que je ne crois pas une seconde à l’originiarité du sacrificiel individuel.
Comme expliqué plus haut il est pour moi nécessairement dérivé d’un sacrificiel collectif tel qu’il s’en observe DEJA chez les chimpanzés.
Il y a une autre raison théorique (donc fragile) pour laquelle il faut postuler un moment collectif initial du sacrificiel avant une évolution vers des déclinaisons individuelles, c’est que le collectif est la condition sine qua non de la genèse du symbolique.

Et pour le coup, la mise à l’épreuve sur le terrain va plus dans ce sens : puisque jusqu’à aujourd’hui : a) les pratiques sacrificielles les plus anciennes impliquent des victimes animales et b) sont toujours associés à des pratiques shamanistes/animistes (ou apparentées) tandis que les pratiques sacrificielles collectives et sacrifices humains  apparaissent progressivement avec a) le basculement vers des sociétés agro-pastorales, b) complexification/élaboration des structures sociales et enfin c) explosion démographique ainsi que d) déclin physique des proto-agriculteurs comparativement aux chasseurs-cueilleurs (en meilleure santé, de plus grande taille, diète plus riche, etc…)

 Je pense l’avoir clairement signifié, ce tableau ne me semble poser aucun problème à l’hypothèse girardienne dans sa version progressive où, à l’origine chasse et sacrifice sont probablement indissociables

Enfin, depuis une perspective anthropologique : il est parfaitement entendable que des sociétés « individualistes » – au sens anthropo ergo égalitaires, non hiérarchiques, ne performent pas de sacrifices à vertu collective : ce qui est par contre entendable pour des sociétés « altruistes » – au sens antrhopo hiérarchiques, division du travail, leadership/héroïsme (= sacrifice individuel dans l’intérêt du groupe), notion de collectif…

 Mon intuition est qu’ici vous réifiez les effets pour en faire des causes. Mais il n’y a pas lieu, je crois, pour le moment, de s’attarder sur cet aspect.

Vous refusez de l’entendre : c’est votre choix…

 Vous ne pensez pas que nous commençons à nous entendre, même sur nos désaccords ? smiley

 "Le fait que toutes les religions actuelles ou sub-actuelles ne présentent pas tel ou tel caractère ne permet aucunement de nier son statut ancestral ou « original » (au sens de présent aux origines)"
Le seul moyen d’affirmer ce statut ancestral ou original est de faire l’impasse sur le nombre encore plus important de mythes ne se fondant pas sur quelque idée de sacrifice, et bien entendu de considérer que la seule étude des mythes puisse permettre de conclure sur une telle question…retour au terrain : si comme vous le répétez le sacrifice est autant universel qu’originel : cela ne devrait pas être difficile à confirmer via une mise à l’épreuve des faits : i.e. : les recherches sur le terrain : en toute logique : n’importe quel site préhistorique devrait présenter une forte probabilité de retrouver des évidences de pratiques sacrificielles : étrangement ce n’est pas le cas : les sites sacrificiels faisant toujours la une quand découverts…et jusqu’à aujourd’hui on remonte rarement au-delà du Néolithique (sacrifices humains) : quelques sites du Paléolithique tardif permettant de spéculer sans conclure à de possibles pratiques sacrificielles…

Je pense l’avoir à présent assez souvent répété : ce que vous dites ne vaut que dans le contexte du modèle girardien original, catastrophiste, dont on pouvait imaginer qu’il postulait du sacrifice humain reproduit depuis l’origine et donc durant toute la longue nuit des temps. Rien de tel ne peut ni ne doit être postulé lorsqu’on se situe dans le modèle girardien révisé, évolutionniste, darwinien que j’ai proposé. L’absence de traces manifestes de sacrifices humains au paléolithique est non problématique dans ce contexte.

La chose hyperintéressante si je vous suis bien c’est qu’on peut penser en voir des premières traces à la fin du paléolithique et que la chose est avérée au Néolithique.
La question que j’ai envie de vous poser c’est vous-même comment vous vous expliquez le passage du sacrificiel individuel sur l’animal au sacrificiel collectif sur des humains ?
Quelle logique est ici invoquée dans la recherche paléo/archéo ?

 Vous rappelez mon évocation de la warlessness paléolithique : et bien entendu l’expliquer par l’isolation ou l’absence d’interactions : c’est en effet une des explications : une autre serait celle de la dissuasion : les armes de chasse étant principalement des armes de jet ou à propulsion, particulièrement efficaces : la destruction mutuelle à distance assurée : les relations étaient paisibles ; néanmoins même en situation d’interactions entre groupes de chasseurs-cueilleurs préhistoriques (exemple groupes occupant un même espace : domaines tels que le M.O ou l’Europe pré-Néolithique) on observe la même warlessness doublée d’évidences répétées d’échanges autant culturels que « commerciaux » et bien entendu « génétiques » : à nouveau l’approche du Néolithique et les mutations conséquentes voit l’apparition de la guerre comme nouvelle composante de l’Histoire et des cultures humaines…un scénario probable étant l’élimination des groupes de chasseurs-cueilleurs (plutôt pacifistes) par les groupes d’agriculteurs/pasteurs : une des raisons des conceptions radicalement différentes de concepts tels que Territoire, ressources naturelles par exemple…en cela, la pratique guerrière des groupes chasseurs-cueilleurs post-néolithiques ne renvoie donc aucunement à ce qui était la norme avant le Néolithique : c’est une adaptation engendrée par l’apparition de groupes guerriers…avec pour choix : l’extermination (rappel : les groupes chasseurs-cueilleurs sont « individualistes » pas de leadership, ni de héroïsme), ou la fuite avec pour conséquence généralement de migrer vers des régions isolées avec environnement hostile.

Merci pour cet éclairage dont je retiens que même au paléolithique on doit supposer un « commerce » entre les groupes avec échanges et/ou partages dont j’imagine mal qu’ils aient pu se réaliser hors de représentations religieuses du monde, cad, en fait, d’un contexte sacrificiel, quel qu’il soit.
Je ne crois à la fable du bon sauvage qui serait toujours-déjà disposé à la rationalité marchande du troc.

 Par contre, ici je remarque que malgré ce profil-type vous ne réagissez pas à un de mes propos où j’évoquais l’absence jusqu’à une période récente (Néolithique again) d’armes à fonction homicide : si comme vous le défendez ces groupes primitifs vivaient en état pré-crise ou violence mimétique constante : en toute logique, à côté des armes destinées à la chasse, des armes homicides ou a minima défensives auraient du être développées : ici, je parle bien de violences intra-groupes : étrangement ce sont dans les groupes d’agriculteurs ou pasteurs que nous trouvons des armes traditionnelles dont la fonction est clairement homicide (généralement des poignards) et non pas chez les chasseurs-cueilleurs (préhistoriques ou contemporains) où les armes présentes sont destinées à la chasse…

 Je considère manquer d’éléments pour prendre position ici.
Pour ma part, je vois mal que des lances destinées à la chasse ne puissent devenir à l’occasion des armes à fonction homicide.

A nouveau, cela me semble un élément ne supportant pas l’idée de groupes primitifs minés par les violences internes…car dans une telle situation, le premier réflexe serait de développer des armes efficaces pour soit se protéger, soit attaquer…nous ne parlons pas ici des primates et de leur puissante musculature mais du genre Homo.

Je vous ai déjà confirmé que je ne vois aucune pertinence à supposer l’existence de guerres civiles (nécessitant des armes) à l’intérieur de petits groupes d’humains tels que vous les avez décrits. On peut raisonnablement penser que la solidarité dont ils ont besoin est suffisamment entretenue par l’adversité, cad la dangerosité de l’espace sacré qui les environne et dont provient l’animal sacrifié (via l’activité de chasse) qui suffit amplement à tenir rassemblés de tels groupes.

 [hypothèse de groupes de chasseurs cueilleurs pacifiques, à tendance bonobos et donc « non girardiens »]

Je n’ai aucun problème avec votre hypothèse sauf à dire qu’elle est non girardienne puisque le système explicatif que je défends est girardien même si c’est une version révisée.
Pour que cet âge d’or bonoboïde que l’on peut postuler au paléolithique reste girardien, il a seulement besoin de connaître des moments de rassemblement pacifique autour de la mise à mort d’un être vivant, mise à mort perçue comme bénéfique pour le groupe. Que le « sacrifié » soit issu d’une activité de chasse ne change rien à l’affaire. Qu’il n’y ait pas de crise de violence généralisée dans le groupe est une conséquence logique de la version révisée de l’hypothèse girardienne. Donc, franchement, aucun problème à ce niveau. La seule activité de chasse satisfait les conditions nécessaires pour la compatibilité avec l’hypothèse girardienne dès lors qu’on s’autorise à y associer des représentations, une symbolique et un protolangage, serait-il seulement gestuel.

Que durant cette période, l’activité « sacrificielle » ainsi désignée ait fait une contribution qu’on pourrait juger secondaire à la cohésion et la paix du groupe comparée à celle, tout à fait imaginable, d’intenses pratiques bonoboïdes, je l’admets sans difficulté. Ce qu’il importe à mon sens c’est de comprendre que le sacrificiel a accompagné de bout en bout le développement de l’humain même s’il a seulement connu le « succès » tout récemment.
Toutes choses égales par ailleurs, il y a le postulat d’une dynamique évolutionnaire assez classique puisque ressemblant à celle des reptiles mammaliens qui ont existé bien avant l’ère des dinosaures et ont attendu leur déclin de ces derniers avant de s’affirmer comme mammaliens avec le succès que l’on sait.


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