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Commentaire de Pyrrhos

sur La Libye et la Syrie : terres d'expérimentation ?


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Pyrrhos 31 octobre 2013 19:15

Merci pour votre réponse Pierre ! Il va de soi que vous répondez quand vous en avez envie et quand vous pouvez.

1) je voudrais commencer par le point A, parce qu’il y a des choses à dire sur ce qu’on entend par « démocratie », ce qui va en quelque sorte guider tout ce (long) post.

 Les standards du plébiscite qui a amené Assad au pouvoir ne correspondent à aucun standard démocratique quel qu’il soit ; parce qu’il est faux de dire qu’il y a des « standards démocratiques » valables pour l’Occident et des « standards démocratiques » valables pour l’Orient ou ailleurs. Il n’y a pas de démocratie « à l’orientale », dont on pourrait dire qu’elle serait une variante, plus rude, plus « fruste », de la démocratie tout en restant démocratique. C’est tout simplement faux et également insultant pour ces gens, car cela implique qu’ils ont besoin d’un régime dur, peut-être parce qu’ils seraient moins évolués ! Cela conduit à considérer comme démocratiques des régimes qui ne le sont pas et n’ont pas le droit de se prétendre tels. Par exemple, il va de soi, pour moi, que la « République Démocratique d’Allemagne » n’avait rien d’une démocratie, malgré le fait que le mot « démocratie » apparaissait dans sa titulature.

Il n’y a donc pas plusieurs définitions, interprétations ou acceptions du mot « démocratie », ce mot n’a qu’un seul sens : une démocratie, c’est un régime où les libertés fondamentales sont garanties. Certes, il est tout à fait vrai que nos démocraties occidentales ne constituent pas des modèles idéaux, elles sont pleines de défauts, et on pourrait dire que leurs institutions démocratiques relèvent parfois du bricolage ! Mais enfin, les libertés fondamentales y sont garanties, même si elles n’y sont pas forcément favorisées ; je veux dire par là qu’il est tout à fait possible en France de se faire casser une jambe en allant manifester, ou asperger de gaz lacrymogène, qu’il y a bien une forme d’« anesthésie » de l’esprit, à la télé et dans la presse gratuite, et enfin qu’il y a effectivement une justice pour les cadres dirigeants, qui est beaucoup plus molle, et une autre, plus dure, pour les citoyens ordinaires. C’est pourquoi on peut parler parfois de « démocrature »...

Un autre point important, la démocratie ne dépend pas du ventre ! Un pays dictatorial peut être bien approvisionné, il n’en restera pas moins une dictature. Allez en prison parce que vous avez eu, un jour, la langue trop bien pendue, vous verrez toutes vos commodités disparaître en l’espace d’un instant ! Alors bien sûr, on peut dire que les dictatures ont au moins l’avantage de la stabilité, mais en réalité pas du tout, tout simplement parce que la révolte est inhérente à la dictature ! Autrement dit, il est dans la nature de la dictature ne mener à la rébelllion. C’est comme une cocotte-minute qui n’aurait pas de valve de sécurité, à force de serrer la vis, ça finit par sauter (c’est aussi à vous que je dis cela « le moine du côté obscur »). C’est, dans le contexte d’une dictature, faire un faux procès aux rebelles que de leur reprocher de s’être rebellés. On n’avait qu’à ne pas les priver de leurs libertés fondamentales. J’y reviendrai...

D’un autre côté, en Syrie, avant la militarisation du conflit, on ne pouvait pas parler de « pluralisme » pas plus que l’on pouvait dire qu’il y a « démocratie », tout simplement parce que les libertés fondamentales des citoyens syriens étaient loin d’être garanties et qu’il n’existait aucun recours effectif pour les gens qui sont victimes d’abus et de sévices de la part des autorités.

 En un mot, l’habit ne fait pas le moine, or les institutions qu’a adopté le régime des Assads, père et fils, entreprennent simplement de « singer » la démocratie. C’est un fait, l’opposition syrienne n’a pas eu voix au chapitre, elle a été muselée, quand elle s’est manifestée en mars 2011, et brutalement réprimée.

2) On en arrive au point C. Vous me dites que vous soutenez les mouvements démocratiques quand ils sont pacifiques. Mais justement, il y a un droit à la révolte — qui s’apparente à la légitime défense — quand les autorités s’en prennent à vous injustement. Ce droit est théorisé par Rousseau, qui est, parmi d’autres, à la base de toute théorie moderne de la démocratie. Je vais le citer : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers » et plus loin « Si je ne considérais que la force, et l’effet qui en dérive, je dirais : tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fai bien : sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le secoue, il fait encore mieux ; car recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne l’était pas à la lui ôter. Mais l’ordre social est un droit sacré qui sert de base à tous les autres » (Du contrat social, I, 1). En somme, là où il y a violence de la part du gouvernement, autrement dit, toutes les fois que le gouvernement brise l’ordre social, qui est « sacré », on peut légitimement prendre les armes contre ce gouvernement. Du moment que la liberté est ôtée par la force, l’usage de la force, pour peu légitime qu’il soit, est fondé. L’opposition syrienne a été réprimée par la force, il est normal qu’elle fasse elle-aussi usage de la force. A ce sujet, je tiens à vous rappeler que la différence en armement et en moyens est nettement à la faveur es forces gouvernementales, et que le volume de violence déployé par ces dernières est nettement supérieur à celui déployé par les rebelles.

Il faut quand même rappeler que le régime d’Assad a commis des exactions très graves contre son peuple ; l’aviation du régime bombarde quotidiennement des villes habitées, des milices armées, à la solde du gouvernement, s’en prennent directement à la population (meurtres, viols...), enfin des gens, pas forcément des combattants, sont arrêtés de manière arbitraire, sont séquestrés et torturés par les forces les plus proches du régime. Cela porte un nom, c’est le « terrorisme institutionnel », soit le fait, pour un Etat, de se retourner contre le peuple qu’il administre. On appelle aussi cela le « macoutisme », d’après les « Tontons Macoute », la milice de Duvalier, le dictateur haïtien.
Me direz-vous que je suis abusé par les médias (alors que je ne regarde jamais le JT) ? Je ne me fie qu’aux dépèches d’agence de presse et à la presse écrite et payante (Le Monde, Libération et Le Figaro sont mes seules lectures, je les trouve tous trois fiables, malgré leur divergences, pour les nouvelles internationales). Je me permets d’ailleurs de glisser un lien en rapport avec la question : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/03/la-syrie-ou-l-archipel-de-la-torture_1728273_3218.html

En outre, vous faites référence à Qadri Jamil, le vice premier ministre syrien, ancien opposant rallié par le régime, récemment limogé par Assad. J’avoue que je ne comprends pas en quoi cet argument sert votre thèse, car justement, ce qu’il est important d’observer, c’est qu’Assad avait confié à Jamil un poste dans son administration qu’afin de se faire voir comme quelqu’un d’ouvert, et que maintenant qu’il se sent plus à l’abri d’une intervention occidentale, il se sent libre de le limoger (pour un prétexte tout à fait fallacieux).

Enfin, vous ajoutez que l’opposition syrienne armée a simplement été mise sur pied par les pays occidentaux et les pays arabes et qu’elle joue le rôle de pion dans leurs projets auquel vous avez l’air de prêter un caractère impérialiste (vous ne prononcez pas ce mot). Il faut d’abord souligner une chose, c’est le fait que le régime d’Assad est lui-même le jouet de puissances extérieures : la Russie et l’Iran. Il est invraisemblable de penser que Poutine, brusquement touché par l’esprit de la liberté des peuples, vole au secours du régime d’Assad qui, à la manière d’un nouvel Astérix, défend courageusement l’indépendance et la souveraineté de son pays ! C’est oublier que Poutine a fait une guerre en Géorgie et qu’il a à coeur de préserver le dernier bastillon de la présence russe en Méditerrannée. En somme, ce qu’Assad apporte à Poutine, c’est de la visibilité et du poids international, dans le contexte de la nouvelle guerre froide que ce dernier mène depuis 2000. Ce qu’Assad reçoit en échange, c’est un soutien qui lui permet de se maintenir au pouvoir. Voilà le triste marché qui coûte si cher aux Syriens.

3) Nous voilà rendu à votre réaction à mon point B ! Je pense y ai déjà répondu en grande partie dans mon 1) et dans mon 2) quand je cite Rouseau, mais si vous voulez, j’apporterai des précisions par la suite. En tout cas, pour la question de l’âge des enfants de Deera, ils avaient, selon Le Monde, entre 10 et 16 ans : http://www.lemonde.fr/international/article/2013/03/08/les-enfants-de-deraa-l-etincelle-de-l-insurrection_1845327_3210.html

Vous dites que les exigences de l’opposition ont été « rencontrées » en avril 2011 ; c’est un anglicisme, on emploie « to meet » en Anglais pour dire, dans ce contexte, « satisfaire » — peu importe. Effectivement, l’état de siège a bien été levé le 17 avril, mais, dans les faits, commen s’est traduit cette décision ? Très rapidement par l’intervention de l’armée, pour réprimer les manifestations puis pour bombarder les villes. D’autre part, comme vous le dites vous-même, la tentative dont vous parlez qui aurait été menée par les Frères musulmans date des années 80 et ne justifie absolument pas l’abolition de la liberté d’expression à aucun moment de l’histoire syrienne, ni à l’époque ni aujourd’hui. Cette liberté est une liberté fondamentale, à ce titre elle est inaliénable et c’est à cela que l’on distingue une démocratie d’une dictature !

Enfin, je le dis et je le répète, le régime des Assads est une monarchie totalitaire qui se déguise en République ; il n’a pas de légitimité, parce qu’il est venu au pouvoir à la faveur d’un putsch, et depuis, il a confisqué les institutions de la République syrienne. Dans un pays où tout n’est que culte de la personnalité et mensonge d’Etat et où les libertés fondamentales sont bafouées, la rébellion est la seule voie légitime et même honorable.

Je suis certainement un peu verbeux, mais votre post disait beaucoup de choses auxquelles ils fallait répondre. Les caractères gras sont là pour mettre en valeur thèses et arguments (ils ne sont pas là pour retranscrire mes hurlements !). J’ai, en tout cas, lu avec grande attention l’intégralité de votre post.


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