Nous sommes pris, du moins en Europe, par une espèce de fascination :
pouvoir décider de la mort pour la « donner »... pouvoir qu’autrefois on
attribuait à Dieu : peut-être faut-il voir là une relation de cause à
effet, l’athéisme européen
prend corps dans la mort décidée et infligée par notre
propre volonté et « liberté », alors même que nous savons soigner de telle
manière que celui qui va mourir peut être entouré, se savoir aimé, ne
pas souffrir. Je pense particulièrement aux excellents services de soins
palliatifs. Mais avoir la main sur la fin ultime : quel progrès !
pensons-nous. Un petit délire paranoïaque nous taquine. Attention, il y
en a eu d’autre(s) pour cultiver le goût de donner la mort, il y a
environ 70 ans... J’ai travaillé longtemps comme infirmière. Un jour, un
malade me dit : "J’en ai marre, je n’en peux plus. Je voudrais
mourir... Qu’on me fasse une piqûre !« - Vous voudriez... » ’Oui, je veux
mourir ! une piqûre !« »Bon...". Je reviens dix minutes après. Dans mon
plateau, une compresse, une seringue. Je l’ai remplie de sérum
physiologique, que je peux injecter en intra-musculaire ou intra
veineuse, cela n’aura aucun caractère de gravité. « Voilà, monsieur... »
« C’est quoi ? » « Une piqûre. » "Mais je n’ai pas de piqûre à cette
heure-ci !« »Ben si, monsieur.« »Mais non !« »Si, la piqûre pour mourir,
que vous m’avez demandée..." Il pousse des hurlements. Je le laisse
paniquer quelques longues secondes. Puis : "Ah bon, je croyais que vous
vouliez mourir... Vous avez changé d’avis ? Comme quoi, on tient à la
vie. Tant pis, je vais jeter ma seringue. Mais... ce qu’il y a dedans
n’était pas dangereux." Réfléchissons... Et lorsqu’un jour un médecin me
demanda de faire une injection dont je devinais l’effet attendu... (un
lit libéré pour le we et une place pour le lundi) : "faites-la
vous-même, monsieur !" Et il ne la fit pas. Ne craignons pas de
réfléchir, d’aimer, de servir autrui jusqu’au bout quitte à ce que cela
nous fatigue un tout petit peu... à ce que cela diffère le temps de
l’héritage, ou de la remise en ménage, ne craignons pas de faire passer
autrui avant nous : l’aimer comme nous-même, a dit quelqu’un... Vincent
L., j’espère qu’en rien le débat ne vient jusqu’à ta conscience. Sur ta
peau de pauci-relationnel, j’aimerais faire une caresse