Il y a bien longtemps j’avais été séduit par un livre intitulé « Le Temps Psychologique », écrit par J.C. Lévy, Directeur de Recherches au Centre d’Etudes et de Recherches en Automatisme, dans la Collection Science-Poche, DUNOD, 1969. Je crois qu’il est épuisé.
J’en avais retenu que la perception que nous avons du temps est étroitement liée au débit d’informations que nous pouvons traiter et accumuler ; il ne s’agit pas du temps absolu ou relatif immobile de la physique, mais du temps qui coule (hémophile) du passé vers l’avenir dans une série de présents fugaces. On peut tout d’abord définir deux extrêmes :
1) la matière incapable de traiter la moindre information et pour laquelle le temps est immobile et réduit à un infiniment petit,
2) et Dieu [ou concept équivalent], celui qui possède toute l’information et pour lequel le temps est également immobile mais déployé dans un infiniment grand.
Entre ces deux limites se trouvent les organismes vivants qui « passent le temps » à manipuler, traiter, ingurgiter, accumuler, structurer les informations avec lesquelles leurs « périphériques », leurs cinq sens, les mettent en contact. Et suivant la vitesse de ces traitements, suivant le débit d’information, la perception du temps pourrait ainsi évoluer :
1) A la naissance (si on laisse de côté la vie intra-utérine) l’enfant ne dispose d’aucune information et d’aucun outil, aucun langage, lui donnant accès aux informations qui l’entourent. Quelques secondes après sa naissance, il ne voit pas, il n’entend pas, il ne dispose d’aucun langage, il ne peut pas se déplacer ; pour lui pas encore de perception de l’écoulement du temps. Sa naissance est très loin dans le temps passé, à l’infini, le futur est inaccessible, seul est ressenti l’instant présent.
2) Puis le langage se construit, les sens s’aiguisent, l’espace s’ouvre et les informations commencent à entrer, s’accumuler, se structurer et commence la perception de l’écoulement du temps.
3) Quand il est jeune homme il possède les outils pour traiter une multitude d’informations et le temps se met à s’écouler de plus en plus vite ... si vite qu’il se retrouve vieux sans avoir vraiment senti le temps passer ; ses « périphériques » commencent à se gripper, à crachoter, à s’éteindre les uns après les autres. Alors, perdant le contact avec les informations qui l’entourent, le débit des informations qu’il peut traiter baisse progressivement et finit par s’annuler complètement. Il est mort !
La bonne nouvelle est qu’avec le débit décroissant des informations la perception qu’il a de l’écoulement du temps a également diminué, l’écoulement du temps s’est ralenti peu à peu, éloignant le jour de sa mort dans un temps infiniment éloigné. Les dernières secondes de sa vie sont devenues des jours et de années, des siècles. Pour le reste des vivants, les dates de sa naissance et de sa mort sont inscrites dans une durée finie. Pour lui elles sont déployées dans un temps infini.
En somme, la matière, le vivant et Dieu[ou concept équivalent] partagent une même propriété : l’éternité !