Bonjour,
Depuis toujours je crois (je ne prétends pas savoir tant il est vrai qu’il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau ») que l’idée du suicide m’est complètement étrangère.
Adolescent j’ai, en effet, signé un pacte moral avec la vie qui se résume à deux mots : « Oui. Merci. »
Autrement dit, j’ai décidé que quoi qu’il arrive, je prendrai, j’accepterai et je serai reconnaissant de la moindre « puissance » qui me sera laissée, serait-elle seulement celle de contempler (la beauté des choses) ou de penser (l’effarante simplicité dans la complexité de ce monde).
Je comprends bien que ce n’est pas une conclusion à laquelle je serais venu en toute logique mais bien plutôt l’expression d’un système de valeurs dont j’ai hérité qui place la vie à un niveau tel que la question de la souffrance et du repos ne se pose pas.
J’ai donc chevillée au corps l’idée que la vie vaut que l’on endure tout et il n’y a pas ici de limite a priori.
J’imagine que tout cela paraît gentiment idéal et je ne m’illusionne pas. Ayant appris, avec Pascal, que la raison est la dupe du coeur, je sais que quand ce dernier est lourd, il peut changer les convictions à l’insu de notre plein gré.
De fait, il me souvient qu’étant enseignant débutant dans un collège infernal, il m’était arrivé de me coucher en pensant que si le poêle non loin duquel je dormais venait à dysfonctionner, eh bien, cela serait soulagement tant j’avais la hantise de revenir tenir ma place dans cette arène qu’était alors ma classe (j’avais remplaçé au pied levé un enseignant chevronné parti en thérapie du « cri primal » tellement il n’en pouvait plus ).
Etant devenu depuis un psychologue théoriste (je théorise tellement que ça en terrorise certains ), j’ai conçu une théorie du suicide d’une simplicité biblique que la très belle citation de Bonaventure de Foucroy (voir plus haut le post de Bobby) illustre parfaitement.
Je travaille en effet une psychologie synthétique dont la notion d’habitude que chacun connaît parfaitement constitue l’alpha et l’omega en tant qu’il s’agit présiment d’une structure de contrôle.
L’hypothèse est, en effet, que nous sommes tous des êtres naturellement (congénitalement) en quête de « toute puissance » (total control) qui avons fatalement à connaître des frustrations dans le cours de l’accomplissement de nos volontés, désirs, intentions, etc. et selon la trajectoire de réussites et d’échecs qui est la nôtre, nous sommes enclins à persévérer ou à renoncer et, quoi qu’il en soit, à faire une évaluation constante du pouvoir (contrôle) qui est le nôtre.
Quand des pans entiers de nos vies s’effondrent et qu’il nous semble que notre pouvoir (contrôle) se réduit à peau de chagrin, que nous sommes ballotés par la vie comme un fétu de paille, nous souffrons mais nous ne songeons pas au suicide tant que nous voyons une issue à notre situation.
Par contre, lorsqu’il nous semble qu’il n’y a plus d’issue, que notre malheur est à jamais indépassable, ou que les épreuves qui restent à franchir sont au-dessus de nos forces, c’est alors que l’idée du suicide nous paraît une solution tentante.
La logique de cela est, encore une fois, d’une simplicité biblique : si tant est que le suprême privilège en cette vie est d’être en plein et entier contrôle de soi et de sa vie, la suprême déchéance n’est-elle pas d’en être privé ? Comment l’esprit malheureux qui vit la tourmente désespérante de l’impasse absolue ne serait-il pas tenté par cette belle revanche sur le mauvais sort qui consisterait à l’éteindre comme on éteint la télé quand passe un film d’horreur ?
Faire taire définitivement le vacarme d’un monde brutal qui vous dévaste et vous torture, ne serait-ce pas le pouvoir ultime de l’humain ?
Je crois qu’il y a là une tentation diffcilement résistible étant donné que, précisément, c’est le pouvoir (encore et toujours lui) que nous voulons et que nous ne cessons de poursuivre en chacun de nos actes sans même le savoiir.
Le suicide est donc une tentative ultime de prise de contrôle sur une vie dans laquelle nous désespérons de contrôler quoi que ce soit.
Le suicide, je crois, s’explique ainsi.
Il pourrait donc presque sembler logique,
sauf qu’il ne l’est pas du tout étant donné que la logique du désespoir est fondamentalement vicieuse, par nature, de sorte qu’on ne devrait jamais s’y abandonner.
En effet, le pire n’est jamais sûr.
Croire qu’il l’est, voilà l’erreur qui se fait ensuite prophétie individuelle auto-réalisatrice, un « cercle vicieux » par excellence qui transforme nos peurs en réalité.
Mais comment résister à la « douce certitude du pire » qui, par anticipation, par l’imagination, nous permet de couper les chaînes des boulets qui font de nos vies un enfer, ce qui nous place dans un complet détachement qui, paradoxalement, vient refermer le piège.
En effet, c’est à la décision d’en finir avec la vie que nous attribuons fallacieusement l’étrange quiétude qui vient alors quand en vérité c’est la simple rupture de tous les liens qui nous étranglaient qui produit le soulagement espéré.
Ceci m’amène à postuler que, dans une perspective de salut public, (je déteste le mot santé tant il a été corrompu par le système dit de santé qui n’est que le système de la maladie), une aide précieuse aux candidats au suicide pourrait venir sous la forme d’une sorte de « légion humanitaire » (par analogie avec la légion étrangère) dans laquelle ils pourraient s’engager, plus exactement s’abandonner, car coupant intégralement avec la vie « mondaine », ils seraient « pris en charge » par cette institution pour se consacrer entièrement, corps et âme, à aider les humains comme le font encore spontanément nombre de religieux.
Bien sûr, cette légion serait laïque donc parfaitement accueillante pour toutes les convictions religieuses. L’important serait qu’elle existe, qu’elle soit connue de tous et que chacun sache qu’à tout moment il lui est possible « d’en finir » avec son insupportable vie (qu’elle soit, pour quelque raison que ce soit, ratée, déchue ou perdue) pour en commencer une nouvelle avec la certitude d’un contrôle absolu puisque tout serait réglé comme à l’armée ou dans une insitution religieuse.
Le renoncement à soi des personnes religieuses (qui ne sont pas portées au suicide puisqu’ayant renoncé à la quête du contrôle pour s’abandonner à la volonté divine) devrait, à mon sens, être rendu accessible au commun des mortels.
Je pense que laïcs et religieux pourraient parfaitement s’accorder sur un tel projet étant donné que rien ne vous rapproche davantage de la transcendance que le souci du prochain.
La question ouverte que je vois se profiler étant de savoir sur quel degré le curseur des satisfactions personnelles et autres petits plaisirs devrait être fixé au sein d’une telle instituion.
Les règles de la vie monacale sont terribles pour le commun des mortels. Quand on renonce à tout, à sa propre vie, ce n’est pas vraiment un problème, mais pour autant, les renonçants de la légion humanitaire devraient-ils se voir imposer cette sorte de purgatoire ? Pour ma part, je verrais bien que cela se fasse dans un contexte de radicale démocratie mais j’avoue n’avoir aucune idée de ce qui pourrait émerger de ce cadre.
Je n’ai jamais poussé ma réflexion si loin, je l’avoue. Je pense à cela juste à l’instant parce que je me suis lancé dans l’écriture de ce post. Comme il me semble avoir fait, aussi maladroitement que ce soit, le tour de ce que j’avais à dire, je vais m’en tenir là pour aujourd’hui et si cette idée paraît avoir quelqu’intérêt, il sera toujours temps d’y revenir.
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