La mort comme seule issue ?
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C'est sans doute ce que ce sont dit tous les suicidés.
Et pourtant j'ai idée que la vie est toujours plus large qui laisse, même infimes, mêmes sporadiques, des coins de chances, de rencontres, de sourires.
Passer à l'acte de se donner la mort- et je comprends très bien cette violence qui se retourne contre soi- me paraît être pourtant un horizon borné, sur lequel on butte parce que l'ego démesuré s'y coince. Plus la moindre lueur, non pas l'espoir qui reste enclavé dans la situation et attend d'un autre, résolution, mais plutôt une lumière même faible donnée par le lâcher-prise, l'abandon et j'oserais dire quelques réminiscences de doux moments, quand même. La flammèche, qui peut n'être que braise ensevelie sous des monceaux de cendres, mais qu'un souffle pourrait rallumer et, en l'attendant, qu'un peu d'air peut tenir en vie. Car l'âme n'est jamais morte, pourquoi céder ?
J'ai connu des suicidés, trois femmes, trois hommes. Ne me risquerais pas à une psychanalyse posthume, bien que, évidemment, j'aie ma petite idée.
Donc la mort comme seule issue, j'y pense ; et j'y ai pensé. Seulement, cette flammèche me soufflait que, de toutes façons, la mort était l'issue ; donc il ne s'agissait que d'endurance à la souffrance, l'habitude du danger et finalement, une obligation de la culture d'un peu d'humour, comme herbe aromatique, dans un jardin à travailler avec soin, avec respect mais, il le faut bien, à débarrasser de ses nuisibles, ses envahissants tout en gardant la culture voulue, saine. Ainsi, pas de pesticide -vengeance, meurtre-, et si possible un débarras permanent, donc, mélange de plantes s'aidant les unes les autres, roulement, et, bon terreau.
Sur ce chemin plein de vertus et de bonnes intentions, le diable souvent se cache qui, à l'occasion d'un printemps trop pluvieux fait naître, à votre insu ( c'est si difficile de se prémunir contre l'inconnu) des petites limaces grises, invisibles sans lunettes et qui gardant intact l'aspect extérieur d'une tomate par exemple, l'ont viciée de l'intérieur, vidée, pourrie. Et chaque année, quelques fois plus, son inconnu. L'élan du premier temps, disons de la jeunesse, s'étiole et se fatigue ; on pense à baisser les bras puis, réalisant que le faire nous condamne à la faim, on recommence, on persévère même si, il faut bien le reconnaître, le cœur flanche et y est moins.
Mais il arrive que l'on retrouve son carré tout retourné après la visite d'un blaireau, pire, d'un sanglier. Mais il arrive qu'on retrouve un champ de mines après le passage d'un, d'un, humain ?
Pour l'humain c'est pareil ; il se peut qu'après plusieurs passages de congénères, le terreau soit empoisonné, et les plantouilles pendouillent, jaunes, transparentes, mortes. À gratter le sol pour voir si, on ne sait jamais, un rejet ?
S'il n'y en a pas, pas besoin de suicide, on meurt, point barre.
Mais c'est l'endurance, tout le monde n'est pas marathonien des emmerdes, des attaques, des atteintes. Mais c'est à préciser.
Quand tout vous incite au combat, vous combattez ; ce n'est pas un choix mais une nécessité, mais si rien ne vous incite à rien, oui, alors, on peut s'ennuyer, n'avoir plus de but, même plus le nerf de trouver l' air. À moins d'offrir sa mort comme dernier mot, punir.
Il se trouve que je n'ai personne à punir. Il se trouve que je suis curieuse comme une chouette et endurante comme un cheval arabe. Mais pour quoi, au juste ?
Pour la beauté du monde, pour la lune pleine qui m'éclaire la nuit et enchante un paysage connu, aimé et qui, pourtant, à chaque instant m'offre des surprises ; pour mes chevaux parce que je sais trop bien qu'ils n'ont pas besoin de moi, si beaux, ils trouveraient demain acquéreurs, mais mince, ils sont ma raison de vivre, dans ces moments là ; je me suis engagée à les rendre heureux ; quoi ? Une parole donnée ?
Oui, une parole donnée.
Et mes chiennes ; des emplâtres celles-là pour quiconque parmi ceux que je connais et malgré leur beauté et la noblesse de leur race, à leur âge elles ne seraient rentables pour personne ; tant mieux ; je ne peux pas leur faire ça.
Pour ce qui est des humains, j'en ai tant vus mourir, que je sais bien que mon trou serait vite refermé ; juste la contrariété de devoir faire des papiers et plus tard , peut-être, ne pas oser brûler mes papiers sans les lire.
Pauvre enfant ; des milliers de pages !!! écriture trop dense et illisible ; non je crois qu'il brûlerait sans remord. Et il aurait bien raison ; je m'étais décidée à le faire, mais bon, je n'y arrive pas, alors le suicide !!
Vider la maison, la vendre, enfin bref, pas le temps chez mes héritiers !
J'aime pas créer du tracas, attirer l'attention, toujours préféré qu'elle vienne.
Et pourtant, repliée, ongles enfoncés dans ma chair et qui me fait si mal, tant de complicités, tant d'acharnement à m'éliminer. Justement, s'ils m'ont, ce sera tout au bout. Et pourtant, que de creux de vagues.
Au jeu de « si c'était », une oasis, moi ; c'est comme ça qu'on m'a aimée. Mais quand le puits est tari, quand les palmiers meurent, quand on ne s'y arrête plus puisqu'on ne peut s'y désaltérer ?
Qui voit le petit point vert au pied du tronc mort ? Et qui aurait envie de le faire vivre, sans eau, dans le désert. Alors ça poussera, ou ça mourra et je le sentirai. C'est vrai qu'on rentre dans l'hiver, le moindre plant gaillard s'étiole en ce temps là, alors, maigre tige ?
Non, pour le suicide, je n'ai pas assez d'importance mais je me dis que la mort, ça serait logique.
Mais la vie, la mort se foutent de ce que je me dis ; c'est dommage. Encore combien à tirer, voir tout dégringoler comme seule consolation à mon lot périmé ? Sort sans tirage, maldonne, dès le départ. Si c'est pas malheureux, une belle fille comme toi.
Il y en a qui se la sont donnée ; par amour, comme Gorz ou parce qu'ils savaient ce qui les attendaient, comme Debord ; ne cherchaient pas à nuire ces deux-là. Sont pas allés en Suisse pour se faire piquouser. J'irai pas en Suisse non plus, pas les moyens, aucuns. Mais je sais où me faire manger par les sangliers, nettoyer par les fourmis. Là où aucun chien de chasseurs ne pourra descendre. La petite Pauline Laffont est morte comme ça, c'est depuis que j'y pense et que je sais que c'est la meilleure façon. Il y avait du monde dans nos vallées, mais ils ne l'ont pas trouvée, n'ont pas pensé qu'elle avait pu traverser la route ! Tu parles de charlots ! Mais je veux être bien cachée bien enfouie, un crâne, c'est pas un trésor à trouver, moi, ça me ferait peur.
Si j'étais sûre que morte, je pourrais légère être partout, tout voir tout comprendre, ça me tue de ne pas suivre l'histoire jusqu'au bout, ou jusqu'à ce que j'en aie marre. C'est peut-être ce qu'il adviendra remarquez. J'en aurai marre, voilà.
Il arrive que j'aie envie de tuer, il y a pas longtemps, ma voisine ; parce qu'elle n'en finit pas cette histoire, mais pas tuer d'un coup, pour l'éliminer, l'égorger et qu'elle couine ; mais ça ne dure pas, même pas d'image de ça, juste des mots, tandis qu'une belle humiliation si la vérité était faite ; qu'elle bouffe la poussière. C'est quand j'ai la pêche, quand je me dis que la mort n'est peut-être pas l'issue mais tout de suite après l'idée que non, le calvaire qui perdurera, toujours. Alors, m'éteindre, comme un cadeau du destin mais tout de suite après non, l'idée qu'on me trouve qu'on me lave qu'on m'habille ; jamais.
C'est pas aisé.
J'ai vécu des moments beaux, et des moments éprouvants, récemment mais au fond de moi, toujours cette même flaque.
Des choses inimaginées et pas gérées ; des dons, généreux, spontanés, profonds comme l'amitié, délicieux comme l'amour, des attaches qui se nouent et que les larmes serrent, un bouillonnement ; recevoir. Mal à l'aise dans un cas de figure jamais expérimenté, j'en fais trop, j'en fais pas assez. Une solidarité qui engage, prend du temps, et l'argent, de peu de chose à énormément. Des contacts renoués et d'autres qui se créent, indécis, incertains, qui chatoient et transportent et soudain blessent, donnés pour rien.
Et puis ceux qui déçoivent et surprennent pas leur flegme et qui viendront trop tard ou qui ne viendront pas, alors, cette même incompréhension : tu ne peux pas faire comme tout le monde ?
Et puis les militants, le moindre baba des montagnes a donné cent sous en souvenir de moi , des à peine connus, une chaîne, une vraie.
La somme est là, moins trente. OK je t'attendrai lui avais-je dit, et j'attendais ; ce n'est pas arrivé, à la place une lettre de blocages des comptes, portée par huissier.
À écrire ces cent pages en trois semaines, je pensais absoudre, c'était dix, douze heures par jour et j'en aurais fini. Après, de fatigue sûrement, je pleurais mes morts, ceux que j'avais tus et ceux qui revenaient, de loin. Et cette musique en boucle, nous quatre, à vingt cinq ans. On a enterré Jean, le meilleur d'entre nous, là, cet hiver et la vie me paraît si précieuse si fragile, c'est presque insupportable. J'y tiens comme à un amour fou, et elle m'échappe.
Ça fait un mal de chien. On pleurait en l'écoutant alors que lui n'avait pas pris encore toute la mesure de son cercueil.
Mais en même temps ça me donnait un peu de bonheur, celui du temps passé et je me souvenais que je n'avais pas toujours été cette chose répugnante qu'on pouvait rabrouer.
Ils m'ont toujours parlé comme à un chien, n'ont jamais écouté ce que j'avais à dire et là, ils me coupent les vivres. Sans préavis, sans annonce, sans rien. Et au passage, ils prendront mille cinq cents euros de frais.
Alors je vais me battre ; la mort attendra, un jour je serai si usée qu'elle n'aura pas lourd à porter. Mais que de larmes, que de convulsions avant d'y partir, en guerre, seule et contrainte. J'aime tellement mieux mes horizons, que leurs chicanes, mais leurs chicanes font mal et mes horizons me tiennent seulement en vie, ce peu d'air sur une braise.
Et pourtant à avoir revécu en raccourci tous les émois, les désirs les plaintes, mes chants, nos musiques, c'est comme une densité mémoire, on dit ça, on fait le tour, sans le savoir, un peu avant la fin.
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