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Commentaire de Analis

sur Une loi mémorielle contre la mémoire


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Analis 16 mars 2015 12:18

@Donquichuchote

Je n’avais pas remarqué cette contribution et la discussion qui s’en était ensuivie à l’époque, je le regrette car il y figure des amalgames habituels depuis une douzaine d’années, à but clairement relativiste, qu’on retrouve dans l’article aussi bien dans certains messages.

Pour la traite négrière à vraiment parler, les chiffres sérieux varient entre 9 et 16 millions d’esclaves débarqués, mais il y a d’énormes incertitudes au niveau de ceux embarqués, les pertes étant souvent importantes au cours de la traversée. Il faut aussi tenir compte de ceux morts dans les caravanes de captifs avant d’être embarqués.

Le chiffre de 17 millions pour la traite arabe (en fait arabo-perso-ottomane) africaine est exagéré. Et parler de traite négrière est de toute façon un non-sens dans ce cas, car elle n’était pas basée sur le fait d’être noir ou non mais sur la religion. La majorité des esclaves du monde arabo-musulman venaient en fait du nord, y compris au Maghreb jusqu’au XVIIIème siècle ; les esclaves du marché de Crète, le principal du monde ottoman, étaient blancs en grande majorité. De nombreux berbères en Afrique du nord et anatoliens ont aussi servi d’esclaves avant que ces contrées soient islamisées. Les vénitiens ont aussi vendu durant des siècles des esclaves européens, germains puis est-européens aux arabes puis aux turcs. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les esclaves malais et indiens, dont le nombre était important.

Quant à l’apport génétique subsaharien dans le monde arabe, les quotas donnés par l’auteur sont basés sur des erreurs de raisonnement : le sang « noir » est présent de toute antiquité au Maroc et au Yémen, avant même que ces pays ne blanchissent, il est donc inutile de s’en servir afin de quantifier l’impact de l’esclavage subsaharien (les esclaves étant en fait généralement castrés). D’ailleurs, au vu de l’apparence des populations de l’Atlas marocain et du Yémen côtier, ces proportions de 16 et 22% paraissent insuffisantes.

Parler de traite négrière pour les circuits intra-africains est également un tour de propagande grossière. Le fait d’être noir n’entrait là non plus pas en ligne de compte (et signalons le fait crucial que le trafic d’esclave entre sud et nord du Sahara était à double sens). Il s’agit simplement de l’esclavage d’une société traditionnelle non mécanisée, le même que dans le monde gréco-romain antique - ou dans le monde arabo-musulman... Cette propagande ne prend d’ailleurs qu’en France, son but transparent étant de relativiser les méfaits des occidentaux, les auteurs anglo-saxons ne tombant pas dans ce piège et faisant au contraire ressortir que les circuits internes et à direction de l’Arabie ont été développés par l’action néfaste des européens, et ont du être continués à être alimentés une fois que ceux-ci avaient cessé de les utiliser (Zanzibar était d’abord un centre servant aux portugais et français). Et ce chiffre de 14 millions confond des situations très diverses, de la servitude pour dettes au servage en passant par le travail forcé pénal.

À ce sujet, s’il est exact que très peu d’esclaves noirs africains étaient capturés directement par des négriers, les européens ont bien obligé les Etats subsahariens à leur vendre des esclaves et à développer une économie de razzias afin de les fournir, allant jusqu’à renverser les dirigeants qui étaient réticents (c’était la mise en place du colonialisme commercial, ressemblant beaucoup au néo-colonialisme moderne). La traite négrière était vraiment spécifique, parce qu’elle supposait la réduction en esclavage de personnes uniquement en raison de leur appartenance raciale, et ce à grande échelle, dans des conditions effroyables inconnues de la pupart des formes de servitude, et qu’elle a résulté en la déstabilisation politique d’une grande partie d’un continent. Chose dont elle ne s’est toujours pas vraiment remise.

Et il ne faut pas réduire l’esclavagisme européen post-1500 à la traite négrière, même en rajoutant les colonies africaines et l’océan Indien. Si on tient compte du servage, de l’asservissement des amérindiens (pratiqué en masse par les espagnols au début, puis dans les colonies portuguaise et britannique jusque très tard), de l’esclavage traditionnel en Europe méditerranéenne (parce qu’il n’y avait pas que le servage à avoir subsisté au Moyen-Âge, mais aussi les formes antiques gréco-romaines dans ces pays, esclavage dont étaient aussi victimes les barbaresques, cela jouait à double sens), de l’esclavage des indiens, malais et arabes dans l’océan Indien (puisque tous les non-blancs étaient « éligibles »), du travail forcé des galériens ou des bagnards et autres formes de servitude telle celle pour dettes (puisqu’après tout Pétré-Grenouilleau les amalgame en Afrique subsaharienne), cela fait vraiment beaucoup. Même en ne s’en tenant qu’à l’aspect légal, car à côté de ça, il y a eu de nombreuses pratiques illégales, qui se prolongent parfois de nos jours. Et encore n’est-il pas là question de la pratique massive du travail forcé par les colonisateurs européens dans leurs colonies. L’Occident de l’expansion coloniale a vraiment été le pus grand producteur d’esclavagisme de tous les temps. Donc, non il n’a certes pas l’exclusivité de l’esclavage, mais il a bien une spécificité dans l’ampleur et la systématisation, qui dépasse de loin le cadre du simple esclavage traditionnel.


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