Une loi mémorielle contre la mémoire
Interrogée sur l'étrange oubli des traites arabe et intra-africaine, Christiane Taubira déclara qu'il ne faut pas trop évoquer la traite arabo-musulmane pour que les jeunes Arabes « ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes »
Dans le cadre des lois dites « mémorielles », fut votée le 21 mai 2001 une loi qui stipule en son article 1 :
« La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. »
Interrogée sur l'étrange oubli des traites arabe et intra-africaine, Christiane Taubira déclara qu'il ne faut pas trop évoquer la traite arabo-musulmane pour que les jeunes Arabes « ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes », selon le journaliste Eric Conan (le 4 mai 2006 dans l'Express). Ce déni de la vérité historique amène à se poser des questions sur la probité intellectuelle de la flamboyante indépendantiste guyanaise.
Bien qu'il n'y ait pas consensus en la matière, il semble bien que le terme esclave, autre forme de l'ethnique « slave », se soit imposé chez les Européens par l'intermédiaire de la langue arabe. En effet, c'est dès le Xe siècle, dans l'Espagne et la Sicile arabes, que nous constatons l'emploi du terme saklabi (slave) au sens d'esclave. Ce vocable désigne tout d'abord les esclaves slaves balkaniques transitant par l'Empire byzantin, où ils sont nommés « sklaboï » en grec, et revendus aux Arabes de Méditerranée occidentale.
Le christianisme considère maîtres et esclaves comme des égaux devant Dieu. À la fin de la Rome antique correspond donc le passage progressif de l'esclavage à une forme « adoucie », le servage, généralisé à partir du VIIIe siècle. Cependant, l'affaiblissement du magistère de l'Eglise à partir de la Renaissance, autorise les puissances chrétiennes à recourir à nouveau à l'esclavage dans leurs colonies. Quant à l'Islam, l'esclavage étant tacitement autorisé dans le Coran, le processus d'abolition s'avère très tardif et incomplètement observé. Voici une chronologie sommaire de l'interdiction de l'esclavage :
316 : Édit de Constantin, premier empereur romain chrétien, en faveur des esclaves : il devient interdit de les tuer et de les marquer au fer rouge au visage.
441 : Le Premier concile d'Orange accorde l'asile aux esclaves et réprime ceux qui les poursuivent.
626-680 : Bathilde, épouse de Clovis II roi des Francs interdit l'esclavage.
1315 : Louis X le Hutin, roi de France, publie un édit qui affirme que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc (libre) ». Officiellement, depuis cette date, « le sol de France affranchit l'esclave qui le touche ».
1462 : Le pape Pie II qualifie l'esclavage de « crime énorme » (magnum scelus).
1526 : Charles Quint interdit l'esclavage des Amérindiens.
1537 : le pape Paul III condamne à son tour toute forme d'esclavage présente et à venir, toute mise en doute de la pleine humanité des Amérindiens et toute atteinte à leurs droits à la liberté et à la propriété (encyclique Veritas ipsa)
1570 : Sébastien Ier de Portugal interdit la réduction des Amérindiens à l'esclavage.
1794 : la Convention nationale française décrète l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies.
1833 : l'esclavage est aboli dans les colonies britanniques.
1846 : l'esclavage est aboli en Tunisie.
1848 : l'esclavage est aboli dans les colonies françaises.
1863 : l'esclavage est aboli aux États-Unis durant la guerre de sécession.
1876 : l'esclavage est interdit en Turquie.
1926 : la Convention internationale sur l'esclavage demande l'interdiction de l'esclavage.
1929 : l'esclavage est interdit en Iran.
1952 : l'esclavage est aboli au Qatar.
1968 : l'esclavage est aboli en Arabie saoudite.
1970 : l'esclavage est interdit en Oman.
1980 : l'esclavage est aboli en Mauritanie.
2007 : l'esclavage persistant en Mauritanie (Haratines noirs : 15% de la population) est criminalisé.
La traite arabe suivit quatre itinéraires différents au Moyen-Âge :
- saharien de l'Afrique noire vers le Maghreb et l'Egypte ;
- oriental par l'océan Indien de l'Afrique noire vers l'Arabie, l'Iran et l'Inde islamisée ;
- méditerranéen occidental, où les Barbaresques du Maghreb capturaient des esclaves européens ;
- méditerranéen oriental, où les Abbassides puis les Turcs vendaient Slaves, Grecs et Arméniens.
Elle alimenta en esclaves noirs le monde musulman qui, à son apogée, s'étendait sur trois continents, de l'océan Atlantique à l'Inde. Elle commenca dès le Moyen Âge et s'arrêta au début du XXe siècle : le dernier marché aux esclaves fut fermé au Maroc en 1920. Serge Daget évalue la traite saharienne à 7,4 millions et la traite orientale à 4,3 millions. Luiz Felipe de Alencastro annonce 8 millions d'esclaves africains déportés du VIIIe siècle au XIXe siècle par la traite arabe. Christian Delacampagne propose le chiffre de 11 millions. Olivier Pétré-Grenouilleau avance, en 2004, le chiffre de cette traite à 17 millions de Noirs, avec une marge d'erreur de 25 %. Pour Ralph Austen et Jean Sévilla, 12 millions d'Africains ont été déportés par la traite arabe. Paul Bairoch avance le chiffre de 25 millions de Noirs ayant subi cette traite. Aujourd'hui, l'impact génétique de l'esclavage se traduit dans l'ADN des populations arabophones. Selon le « Dodecad Ancestry Project », les proportions d'ADN autosomal subsaharien sont les suivantes :
Maroc 16%
Yémen 22%
Arabie Séoudite 12%
Entre 1880 et 1900, au Mali actuel, les colonels français Gallieni et Archinard détruisirent les sultanats djihadistes, libérant ainsi les populations noires sédentaires des raids esclavagistes (razzia). Dans le sud du Tchad et jusqu’au centre de l’actuelle Centrafrique, la traite dura jusqu’en 1911, à la mort du chef esclavagiste Snoussou, tué par les troupes françaises.
Cette traite saharienne est à ce point inscrite dans la mémoire des populations noires qu’elle explique largement la réaction des milices dites anti-balaka de Centrafrique pour lesquelles les musulmans du Séléka sont vus comme les successeurs des esclavagistes d’hier. Elle explique aussi la longue guérilla (un demi siècle !) qui aboutit à l'indépendance du Soudan du Sud en 2012. Selon Malek Chebel dans son livre "L'esclavage en terre d'islam", il existerait encore 3 millions d'esclaves dans le monde musulman.
La traite atlantique (et subsidiairement à Maurice et à la Réunion) fut effectuée au profit d'Européens aidés par certains chefs africains des zones côtières. Elle débuta en 1441 par la déportation de captifs africains vers la Péninsule ibérique pendant plusieurs décennies. Les premiers esclaves africains arrivèrent en Amérique, à Cuba, dès 1513.
L'historien américain Patrick Manning estime à 14 millions le nombre des déportés aux Amériques. En 1969, Philip Curtin propose 9 566 100 déportés par la Traite atlantique. Paul Bairoch estime que 11 millions de Noirs ont subi la traite des Européens. En 1997, Hugh Thomas estime à 13 millions le nombre d'esclaves ayant quitté l'Afrique lors de la traite atlantique, dont 11,3 millions arrivés à destination. En décembre 2008, David Eltis lance la plus large base de données consacrée à la traite atlantique, « The Trans-Atlantic Slave Trade Database », et fait état de 12 521 336 déportés entre 1501 et 1866. En 1982, Joseph Inikori estime à 15 400 000 le nombre de déportés par la traite atlantique. Paul Lovejoy propose, en 1989, 9 778 500 débarqués pour 11 863 000 ayant quitté l'Afrique. L'historien Serge Daget, en 1990, donne le chiffre de 11,7 millions. Olivier Pétré-Grenouilleau estime la traite atlantique à 12 millions de personnes. La capture proprement dite d'esclaves (ensuite vendus aux Européens) était une affaire quasi exclusive des Africains. L'écrivain américain Daniel Pratt Mannix (1911-1997) estime que seuls 2 % des captifs de la traite atlantique furent capturés directement par des négriers européens.
La traite intra-africaine est la plus ancienne et la plus obscure, car la moins documentée. Elle remonte au moins au XIe siècle et a été stimulée par les deux autres, mais n'est devenue prédominante qu'au XIXe siècle. Pour l'essentiel, cet esclavage est un produit des guerres entre tribus noires subsahariennes.
Patrick Manning estime à 14 millions le nombre d'esclaves négro-africains victimes de cette traite. Olivier Pétré-Grenouilleau évalue aussi la traite intra-africaine à 14 millions de personnes, dont une partie revendue à des Européens ou à des Arabes.
Selon l'Organisation internationale du travail, près de 21 millions de personnes dans le monde sont encore victimes de l'esclavage et du travail forcé. Plus d'un quart du nombre d'esclaves d'aujourd'hui sont des enfants (Bulletin quotidien de l’ONU du 30 novembre 2012).
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