Monnet aurait-il vraiment
exagéré en prétendant que De Gaulle était un ennemi des libertés
du peuple français ?
Pas vraiment ! Dans une
conférence de presse du 31 janvier 1964, au détour d’un passage où
il tentait de justifier le maintien du poste de Premier Ministre (!).
on pourrait dire avec candeur : « Mais, s’il doit être évidemment
entendu que l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout
entière au Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe
aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni
judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui,... ».
Cela illustrait parfaitement
la conception du pouvoir d’un homme qui a estimé à d’autres
occasions qu’il n’y avait pas vraiment besoin d’opposition, que les
partis étaient inutiles, ou qu’entre lui et les communistes il n’y
avait rien. La Vème république selon De Gaulle n’était certes pas
une complète dictature, mais certainement un régime aux tendances
indiscutablement autoritaires.
On imagine un peu les
réactions si Mitterrand, Chirac ou Sarkozy s’étaient exprimés
ainsi ! Cela se retrouvait certainement dans la pratique. Les
atteintes à l’Etat de droit de ces derniers étaient sans commune
mesure avec celles de De Gaulle (voyez simplement l’affaire de
l’arrêt Canal du Conseil D’État, durant laquelle De Gaulle avait
essayé de supprimer ce dernier, pourtant l’incarnation de la
servilité satisfaite, mais c’était encore trop pour lui). Les
choses ont certes changé, et c’est grâce à l’ouverture de la
société française sur le reste du monde, ce qui n’aurait pas été
le cas si elle était restée prostrée sur une adoration stérile
d’un dirigeant à la mentalité d’un autre temps.
Bien sûr, on objecte
habituellement sa pratique du référendum et sa démission en 1969.
Ce qui mérite d’être très fortement nuancé. Déjà, pourquoi
n’a-t’il jamais voulu mettre en place de droit d’initiative
référendaire ? La raison en est qu’il entendait utiliser le
référendum afin de favoriser ses desseins. Il n’aurait jamais
accepté qu’on puisse lancer un référendum afin de le mettre en
difficulté. Il a quitté le pouvoir en 1969, oui, mais selon ses
règles, au moment qu’il avait fixé, seulement parce qu’il avait
décidé de le faire, parce qu’il était devenu las et qu’une large
part de son parti ne lui accordait plus son soutien. Parce que oui,
un parti, il en avait un, bien obligé quand même... N’oublions pas
qu’après sa déconvenue aux élections législatives de 1967, il
avait refusé de tenir compte de ce très net rétrécissement de sa
majorité en disant que ce n’était que quatre cent cinquante quatre
compétitions locales.
Donc, non De Gaulle
n’était pas vraiment un ami des libertés. Et encore je ne mentionne
pas là son rôle dans d’innombrables complots d’État, depuis les
massacres du 18 octobre 1961 jusqu’à l’affaire Markovic en passant
par l’affaire Saint-Aubin et la Caravelle Ajaccio-Nice. Sous son
règne, barbouzes et manipulateurs de toutes obédiences régnaient
en maîtres, sans compter les bétonneurs et les affairistes.