@Jason
Non, mais je propose juste un modèle d’interprétation, qui peut être largement modifié ou adapté y’a pas de problèmes. Et de plus j’ai parlé en deuxième partie des problèmes de « décalages » selon le degré de modernité. Et j’y applique un critère géographique, ou géo-historique.
1789 est juste un commencement, tout n’est pas parfait dès le début, et dans ma périodisation, l’histoire révolutionnaire (qui commence plutôt en 1783) s’étend jusqu’en 1789. Il faut lire jusqu’au bout de l’article pour voir les conclusions que j’apporte par rapport à la problématique.
Après, plus précisément, la loi Le Chapelier, si elle est évidemment critiquable, elle reste révolutionnaire dans le sens où elle modifie complètement les rapports sociaux dans le monde du travail. D’un côté, elle paraît rétrograde par rapport à la suite : c’est parce qu’il y a les autorisations du droit de grève et des syndicats dans les années 1880 qu’il est possible de juger a posteriori que c’est un recul, et là on sort de l’histoire et on entre dans la politique. D’un point de vue politique je suis d’accord avec toi, mais pas d’un point de vue historique. Pourquoi ?
Parce que les guildes et les corporations étaient sur le même plan que les privilèges seigneuriaux, c’étaient des institutions d’Ancien Régime et le nouveau régime politique avait pour but d’imposer une citoyenneté égale pour tous et en même temps directement en lien avec l’Etat-nation, sans corps intermédiaires qui bloquent l’application des lois. Alors là, où le reproche peut leur être fait, c’est qu’ils auraient dû chercher à créer de nouvelles institutions pour créer de nouvelles associations pour les travailleurs, compatibles avec le nouveau régime. Cela a finalement été à la fin du 19ème siècle, parce que les républicains n’ont pas eu le temps de tout réformer : ils sont resté à peine 10 ans au pouvoir et les monarchies sont revenues jusqu’en 1870, voilà pourquoi la loi Le Chapelier est si scandaleuse. Pour réformer la société il ne suffit de commencer et de se débarrasser d’un problème en se disant que les choses vont s’organiser d’elles-mêmes. Et les révolutionnaires de 1789 ont été balayés du pouvoir à partir du moment où les autres ont bien vu qu’ils avaient d’énormes difficultés à réformer la société.
Après on peut qualifier la période d’après 1795 de réaction (thermidorienne), puis de véritable recul avec les monarchies napoléonienne et bourbonne, cependant certains acquis de la Révolution ne sont pas remis en cause. La modernisation sociale n’est pas comme la modernisation technique, la liberté pour créer un nouveau modèle est beaucoup plus restreinte, parce qu’elle exige une prise en compte des intérêts immédiats. Les révolutionnaires, très inspirés par des idéaux des Lumières, ont fait la douloureuse expérience (ce qui fait qu’elle doit être absolument prise en compte dans les analyses historiques) que l’application d’un nouveau modèle qui change toute la société est impossible sans éradiquer toutes les anciennes institutions. Ce que dit à propos de l’interdiction des corporations peut être dit sur l’Eglise, dont les biens ont été nationalisés et les prêtres astreints à une assermentation. Pourquoi ceux-là auraient-ils moins le droit d’être défendus que les autres, même si en majorité ils n’étaient pas favorables au nouveau régime ?
La Révolution a justement coupé la modernité en deux, entre ceux qui veulent une modernisation sociale plus poussée et ceux qui eux veulent le moins possible, voir revenir à l’Ancien régime. Les révolutionnaires sont des êtres humains comme tout le monde, ils ont droit à l’erreur, et il serait d’enterrer le bébé avec l’eau du bain, en se disant que ce n’était qu’au fond tous des bourgeois réacs qui ne pensaient qu’à se maintenir au pouvoir et à instrumentaliser le mouvement révolutionnaire pour parvenir à ses fins.