(suite du message précédent)
Dans le cas où ils ne sont pas précédés de la
déclaration « je t’aime », il est possible qu’ils disent à l’enfant qu’il
ne va pas être aimé et que, par conséquent, en vertu de l’incontournable
norme de réciprocité, il est (logiquement) dispensé du devoir d’aimer
en retour.
Ces mots constitueraient donc une implicite mais
néanmoins honnête NON déclaration d’amour. Une forme d’avertissement à
l’enfant qu’il se trouve dans une séquence transgénérationnelle de NON
amour et qu’il aurait tout intérêt à investir affectivement ailleurs vu
qu’il n’a aucune chance d’être satisfait ici, auprès de son parent.
C’est
honnête mais quand même un peu vache pour l’enfant qui n’a pas demandé à
venir au monde et qui a énormément besoin de cet amour pour se
construire. L’amour parental apparaît d’autant plus comme un dû pour
l’enfant et un devoir pour l’adulte que s’il ne le reçoit pas, l’enfant
va automatiquement penser que c’est de sa faute et il passera ensuite
tout le restant de sa vie à tenter d’échapper à cette condamnation. D’où
la fixation affectueuse sur ses vieux que l’auteur a très bien exposée.
Si
la déclaration parentale « tu n’es pas obligé(e) de m’aimer » commence
par un « je t’aime » ou équivalent (on peut imaginer mille manières
d’exprimer cela, même sans mots), on pourrait penser qu’elle provient
d’une personne qui a décidé de mettre un terme à la chaîne
transgénérationnelle de non amour. Elle aime son enfant et tente donc
(on pourrait penser « logiquement ») de le protéger... de ce qu’elle a
vécu, cad, d’un non amour parental.
Il est clair qu’il y a là une
contradiction indépassable. Pour quelle raison une personne qui se
dispose à aimer son enfant pourrait vouloir le protéger du non amour...
si ce n’est parce qu’elle craint de perpétuer la chaîne
transgénérationnelle dont elle est issue ?
Ce parent livre donc deux messages contradictoires à son enfant :
Comment croyez-vous que l’enfant comprendra cette contradiction ? C’est toujours l’implicite qui parle le plus fort, c’est lui qui dominera. L’enfant comprendra que l’adulte n’est pas sûr de sa capacité à aimer, il entendra qu’il y a un doute et, encore une fois, ce doute il en trouvera la cause en lui. Dès lors, fatalement, il cherchera à se faire aimer, il aura des comportements affectueux qui appeleront (toujours la norme de réciprocité) des comportements affectueux de la part de l’adulte et cela pourra alors très vite épuiser la bonne volonté du parent qui pensait pouvoir aimer alors qu’il ne l’avait pas été lui-même suffisamment. Car comme dans les relations de couple, plus on veut se faire aimer, plus on attend de l’autre des manifestations d’amour à son égard, moins on en obtient.
Bref, comme toujours, la peur est auto-réalisatrice car la peur du parent qui veut en finir avec le transgénérationnel est cela même qui va amener la perpétuation du transgénérationnel (par les précautions prises pour justement éviter son retour).
Interrompre la chaîne du non amour nécessite de se faire pleinement confiance, d’être sûr de sa capacité d’amour, ce qui suppose de savoir ce que c’est d’aimer et, surtout, de savoir comment cela se traduit dans le quotidien, notamment dans les gestes éducatifs.
Si cette confiance n’est pas là, si le parent est dans l’incertitude
sur sa capacité à bien faire et donc à aimer vraiment son enfant, il
risque de vouloir prouver à son enfant qu’il l’aime en étant
excessivement bienveillant quand il serait nécessaire de poser un cadre
et donc, forcément, d’amener l’enfant à accepter la frustration.
L’enfant s’installera dans la toute-puissance, épuisera son parent qui
sera obligé de constater qu’il n’en peut plus de ce marmaille infernal
car tellement exigeant et toujours insatisfait.
Le parent sera en échec et, malheureusement, sera encore plus motivé
pour perpétuer sa stratégie et tenter de se faire aimer etc. ; cela
jusqu’à ce qu’il craque et se mette à rejeter l’enfant jusqu’à même
vouloir le placer ou lui faire violence.
On voit ça tout le temps.
Et c’est bête à pleurer tous ces parents qui, par leur désir de se voir aimés par leur enfant (parce que c’est encore la meilleure preuve qu’ils sont de bons parents capables d’aimer leur enfant (ce qu’ils veulent sincèrement être)) se retrouvent dans la situation de détester un enfant frustré qui, par son insatisfaction, par le manque d’amour qu’il semble manifester, leur signifie leur complet échec.
Quoi qu’il en soit, il semblerait au bout du compte qu’un parent qui dise à son enfant « tu n’es pas obligé(e) de m’aimer » dise implicitement et donc en vérité « je ne suis pas obligé(e) de t’aimer ».
Loin d’être apaisante et libératrice, cette parole projette d’emblée
dans l’enfant dans l’inquiétude qui vient de l’incertitude quant au fait
d’être aimé (avoir une valeur intrinsèque) ou de ne pas être aimé (être
sans valeur).
Bref, à la suite de cette réflexion, il pourrait sembler qu’il y ait là une relation mal engagée. Je n’en suis pas complètement sûr car je n’ai pas cherché à être exhaustif. Il est possible que j’ai manqué les pistes interprétatives qui mènent à des conclusions plus heureuses. J’espère qu’il en existe mais pour le moment je ne les vois pas. Il m’a semblé en apercevoir une mais elle m’a échappé. Merci d’avance à celles et ceux qui pourront me les pointer.
05/11 13:22 - Luc-Laurent Salvador
@Taverne Je n’ai pas compris la question du début mais la position que vous présentez me (...)
31/10 09:00 - jjwaDal
@Monolecte J’en suis heureux mais je taquinais, vous ayant lu et votre billet étant (...)
30/10 16:31 - Taverne
@Luc-Laurent Salvador C’est important d’avoir votre point de vue de psychologue (...)
30/10 16:09 - Taverne
@Luc-Laurent Salvador Très intéressant tout cela. Mais, moi, je ferai plus court. Ne recourons (...)
30/10 02:06 - Mélusine ou la Robe de Saphir.
@Franck Einstein Enfance dans la restriction mais vos réflexions sont elles, souvent remplies (...)
29/10 23:06 - Spartacus
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