• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur Les inconsolables


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 29 octobre 2017 06:32

(suite du message précédent)
 
Dans le cas où ils ne sont pas précédés de la déclaration « je t’aime », il est possible qu’ils disent à l’enfant qu’il ne va pas être aimé et que, par conséquent, en vertu de l’incontournable norme de réciprocité, il est (logiquement) dispensé du devoir d’aimer en retour.
Ces mots constitueraient donc une implicite mais néanmoins honnête NON déclaration d’amour. Une forme d’avertissement à l’enfant qu’il se trouve dans une séquence transgénérationnelle de NON amour et qu’il aurait tout intérêt à investir affectivement ailleurs vu qu’il n’a aucune chance d’être satisfait ici, auprès de son parent.
 
C’est honnête mais quand même un peu vache pour l’enfant qui n’a pas demandé à venir au monde et qui a énormément besoin de cet amour pour se construire. L’amour parental apparaît d’autant plus comme un dû pour l’enfant et un devoir pour l’adulte que s’il ne le reçoit pas, l’enfant va automatiquement penser que c’est de sa faute et il passera ensuite tout le restant de sa vie à tenter d’échapper à cette condamnation. D’où la fixation affectueuse sur ses vieux que l’auteur a très bien exposée.

Si la déclaration parentale « tu n’es pas obligé(e) de m’aimer » commence par un « je t’aime » ou équivalent (on peut imaginer mille manières d’exprimer cela, même sans mots), on pourrait penser qu’elle provient d’une personne qui a décidé de mettre un terme à la chaîne transgénérationnelle de non amour. Elle aime son enfant et tente donc (on pourrait penser « logiquement ») de le protéger... de ce qu’elle a vécu, cad, d’un non amour parental.
Il est clair qu’il y a là une contradiction indépassable. Pour quelle raison une personne qui se dispose à aimer son enfant pourrait vouloir le protéger du non amour... si ce n’est parce qu’elle craint de perpétuer la chaîne transgénérationnelle dont elle est issue ?
 
Ce parent livre donc deux messages contradictoires à son enfant :

  1.  - le premier est explicite et dit : « je t’aime »
  2.  - le second est implicite et dit : "si tu n’es pas aimé(e) par moi, alors (pour ton bien) ne cherche pas à m’aimer en retour (et donc l’implicite de l’implicite est : ne cherche pas susciter l’amour en moi, c’est sans espoir)

Comment croyez-vous que l’enfant comprendra cette contradiction ? C’est toujours l’implicite qui parle le plus fort, c’est lui qui dominera. L’enfant comprendra que l’adulte n’est pas sûr de sa capacité à aimer, il entendra qu’il y a un doute et, encore une fois, ce doute il en trouvera la cause en lui. Dès lors, fatalement, il cherchera à se faire aimer, il aura des comportements affectueux qui appeleront (toujours la norme de réciprocité) des comportements affectueux de la part de l’adulte et cela pourra alors très vite épuiser la bonne volonté du parent qui pensait pouvoir aimer alors qu’il ne l’avait pas été lui-même suffisamment. Car comme dans les relations de couple, plus on veut se faire aimer, plus on attend de l’autre des manifestations d’amour à son égard, moins on en obtient.

Bref, comme toujours, la peur est auto-réalisatrice car la peur du parent qui veut en finir avec le transgénérationnel est cela même qui va amener la perpétuation du transgénérationnel (par les précautions prises pour justement éviter son retour).

Interrompre la chaîne du non amour nécessite de se faire pleinement confiance, d’être sûr de sa capacité d’amour, ce qui suppose de savoir ce que c’est d’aimer et, surtout, de savoir comment cela se traduit dans le quotidien, notamment dans les gestes éducatifs.

Si cette confiance n’est pas là, si le parent est dans l’incertitude sur sa capacité à bien faire et donc à aimer vraiment son enfant, il risque de vouloir prouver à son enfant qu’il l’aime en étant excessivement bienveillant quand il serait nécessaire de poser un cadre et donc, forcément, d’amener l’enfant à accepter la frustration.
L’enfant s’installera dans la toute-puissance, épuisera son parent qui sera obligé de constater qu’il n’en peut plus de ce marmaille infernal car tellement exigeant et toujours insatisfait.
Le parent sera en échec et, malheureusement, sera encore plus motivé pour perpétuer sa stratégie et tenter de se faire aimer etc. ; cela jusqu’à ce qu’il craque et se mette à rejeter l’enfant jusqu’à même vouloir le placer ou lui faire violence.

On voit ça tout le temps.

Et c’est bête à pleurer tous ces parents qui, par leur désir de se voir aimés par leur enfant (parce que c’est encore la meilleure preuve qu’ils sont de bons parents capables d’aimer leur enfant (ce qu’ils veulent sincèrement être)) se retrouvent dans la situation de détester un enfant frustré qui, par son insatisfaction, par le manque d’amour qu’il semble manifester, leur signifie leur complet échec.

Quoi qu’il en soit, il semblerait au bout du compte qu’un parent qui dise à son enfant « tu n’es pas obligé(e) de m’aimer » dise implicitement et donc en vérité « je ne suis pas obligé(e) de t’aimer ».

Loin d’être apaisante et libératrice, cette parole projette d’emblée dans l’enfant dans l’inquiétude qui vient de l’incertitude quant au fait d’être aimé (avoir une valeur intrinsèque) ou de ne pas être aimé (être sans valeur).

Bref, à la suite de cette réflexion, il pourrait sembler qu’il y ait là une relation mal engagée. Je n’en suis pas complètement sûr car je n’ai pas cherché à être exhaustif. Il est possible que j’ai manqué les pistes interprétatives qui mènent à des conclusions plus heureuses. J’espère qu’il en existe mais pour le moment je ne les vois pas. Il m’a semblé en apercevoir une mais elle m’a échappé. Merci d’avance à celles et ceux qui pourront me les pointer.


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès