@Alina Reyes
nous sommes « des animaux bizarres. Nous sommes entraînés et, dans notre folie, nous croyons que nous comprenons parfaitement. »
L’explication des sorciers
– Je vais te parler du tonal et du nagual, dit-il, en me lançant un regard perçant.
...
Il se tapa la poitrine, les cuisses et les côtes.
– Tout ça c’est mon tonal.
Il expliqua que chaque être humain avait deux côtés, deux entités distinctes, deux parties contraires qui prenaient force au moment de la naissance ; l’une s’appelait tonal, l’autre, nagual.
...
–
Donc, à juste titre, dit-il, le tonal est un protecteur, un gardien, un
gardien qui la plupart des fois se transforme en garde.
Je tripotai
maladroitement mon carnet. J’essayais de me concentrer sur ce qu’il
disait. Il rit et contrefit mes mouvements nerveux.
– Le tonal est
l’organisateur du monde, poursuivit-il. Peut-être que la meilleure façon
de décrire son travail monumental serait de dire que sur ses épaules
repose la tâche de mettre en ordre le chaos du monde. Il n’est pas
abusif d’affirmer, comme le font les sorciers, que tout ce que nous
connaissons et tout ce que nous faisons en tant qu’hommes est l’œuvre du
tonal. « Dans ce moment-là, par exemple, c’est ton tonal qui s’efforce
de comprendre le sens de notre conversation ; sans lui, ce ne seraient
que des sons bizarres et des grimaces, et tu ne comprendrais pas un mot
de ce que je raconte.
« Disons donc que le tonal est un gardien, qui protège quelque chose qui n’a pas de prix, notre propre être. C’est pourquoi une qualité inhérente au tonal est d’être prudent et jaloux de ses actes. Et
puisque ses actes constituent largement l’aspect le plus important de
notre vie, il n’est pas étonnant que le tonal se transforme en chacun de
nous, de gardien en garde. »
Il s’arrêta et me demanda si
j’avais compris. Machinalement je hochai la tête en signe affirmatif, et
il me sourit d’un air dubitatif.
– Un gardien a l’esprit large et
compréhensif, expliqua-t-il. En revanche, un garde est un surveillant à
l’esprit borné et souvent despotique. Je veux donc dire qu’en chacun de
nous, le tonal est devenu un garde mesquin et despotique, alors qu’il
devrait être un gardien large d’esprit.
...
– Le tonal est tout ce que nous sommes, continua-t-il. Dis un nom. Tout ce que nous nommons fait partie du tonal. Et puisque le tonal est constitué par nos propres actes, il est donc naturel que tout tombe sous sa coupe.
...
– Le tonal est tout ce que nous connaissons, dit-il. Je pense que cela est en soi une raison suffisante pour conférer au tonal une puissance extraordinaire.
...
– Le tonal est tout ce que nous savons, répéta-t-il doucement.
Cela inclut non seulement nous-mêmes, en tant que personnes, mais aussi
tout ce qui existe dans notre monde. On peut dire que le tonal est tout
ce que nous voyons.
« Nous commençons à le garnir dès notre
naissance. En respirant le premier souffle d’air, nous respirons
également du pouvoir pour le tonal. Par conséquent nous pouvons affirmer
que le tonal d’un être humain est intimement lié à sa naissance.
« Il
ne faudra pas que tu oublies ce fait. Il est fondamental que tu
comprennes tout ça. Le tonal commence à la naissance et s’achève à la
mort. »
– Le nagual est cette partie de nous pour laquelle il n’y a pas de description, ni de mots, ni de sentiments, ni de connaissance.
–
C’est une contradiction, don Juan. A mon avis, quelque chose qu’on ne
peut ni sentir, ni décrire, ni nommer ne peut pas exister.
– Cette contradiction n’existe que pour toi. Je t’ai déjà prévenu ; ne te casse pas la tête en essayant de comprendre ça.
– Voulez-vous dire que le nagual c’est l’esprit ?
– Non. L’esprit est un élément de la table. L’esprit fait partie du tonal. Disons que l’esprit c’est la sauce chili.
Il prit une bouteille de tabasco et la posa devant moi.
– Est-ce que le nagual c’est l’âme ?
– Non. L’âme se trouve aussi sur la table. Disons que l’âme c’est le cendrier.
– Est-ce que ce sont les pensées des hommes ?
– Non. Les pensées se trouvent aussi sur la table. Ce sont les couverts en argent.
Il prit une fourchette et la plaça à côté de la sauce chili et du cendrier.
– Est-ce un état de grâce ? Est-ce le ciel ?
– Ce n’est pas ça non plus. Tout ça, quoi qu’il en soit, fait aussi partie du tonal. Disons que c’est la serviette.
Je
continuai à lui donner toute une série de descriptions correspondant à
ce dont il avait fait allusion ; je citai l’intellect pur, la psyché,
l’énergie, la force vitale, l’immortalité, le principe de vie. Pour
chaque chose que je nommais, il trouvait un élément sur la table qui
servait d’équivalent, et le poussait devant moi, jusqu’à ce qu’il eût
fait un tas avec tous les objets de la table.
Don Juan avait l’air de
s’amuser énormément. Il poussait de petits rires et se frottait les
mains chaque fois que j’énonçais une autre possibilité.
– Est-ce que le nagual est l’Etre Suprême ? Le Tout-Puissant, Dieu ? demandai-je.
– Non. Dieu se trouve aussi sur la table. Disons que Dieu, c’est la nappe.
Il fit le geste drôle de tirer la nappe, afin de la mettre sur le même tas que les autres objets qu’il avait empilés devant moi.
– Mais est-ce donc que pour vous Dieu n’existe pas ?
– Non.
Je n’ai pas dit ça. Tout ce que j’ai dit c’est que le nagual n’est pas
Dieu, parce que Dieu est un élément de notre tonal personnel ainsi que
du tonal de chaque époque. Comme je te l’ai déjà dit, le tonal est
tout ce dont nous pensons que le monde se compose, Dieu inclus,
naturellement. Dieu n’a pas d’autre importance que celle d’être une
partie du tonal de notre époque.
– D’après mes conceptions, don Juan, Dieu est tout. Sommes-nous en train de parler de la même chose ?
– Non.
Dieu n’est que tout ce que tu peux penser de lui, et par conséquent il
n’est, pour ainsi dire, qu’un autre élément de l’île. Nous ne pouvons
pas être témoin de Dieu selon notre bon plaisir ; la seule chose le nagual est au service du guerrier. Celui-ci peut en être témoin, mais il ne peut pas en parler.
– Si le nagual n’est rien de ce que j’ai mentionné, dis-je, vous pourriez au moins décrire sa localisation.
Où est-il donc ?
Don
Juan fit un geste circulaire et signala l’espace au-delà de la table.
Il balança la main comme si, du revers, il nettoyait une surface
imaginaire s’étendant au-delà des bords de la table.
– Le nagual est là, dit-il. Là, autour de l’île. Le nagual est là où le pouvoir plane.
« Dès notre naissance, nous avons l’intuition des deux parties qui existent en nous. A notre naissance, et pendant un certain temps, nous ne sommes que nagual. Nous
sentons intuitivement qu’il nous faut une contrepartie pour
fonctionner. Le tonal nous manque, et cela nous donne, dès le début, un
sentiment d’incomplétude. Puis le tonal commence à se développer et
devient capital pour notre fonctionnement, tellement important qu’il
offusque l’éclat du nagual et l’écrase. A partir du moment où nous
devenons entièrement tonal, tout ce que nous faisons par la suite est
d’accroître cet ancien sentiment d’incomplétude, qui nous accompagne dès
la naissance et qui nous dit constamment qu’il nous manque une autre
partie pour être complets.
« A partir du moment où nous devenons
entièrement tonal, nous commençons à nous voir doubles. Nous avons
l’intuition de nos deux aspects, mais nous nous les représentons
toujours avec des éléments du tonal. Nous disons que nos deux
composantes sont l’âme et le corps, l’esprit ou la matière, le bien et
le mal, Dieu et Satan. Or nous ne réalisons jamais que nous accouplons
simplement des éléments de l’île, comme si on appariait du café et du
thé, du pain et des tortillas, du chili et de la moutarde. Je t’ai
déjà dit que nous étions des animaux bizarres. Nous sommes entraînés et,
dans notre folie, nous croyons que nous comprenons parfaitement. »
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