Je suis globalement d’accord avec cet article, sauf que j’attache pas autant d’importance à la perte de cet orgue.
Cette perte ne me semble pas irréparable étant donné toutes les transformations que cet instrument a subi depuis le XVIIème siècle. La perte du tableau de Flandrin ou du vitrail au dessus de l’orgue me paraît beaucoup plus irrémédiable.
Il est clair que chaque orgue est une œuvre unique produit par un artisan qui est aussi un artiste et il est normal de s’attacher à un instrument. Une bonne partie de la qualité de l’instrument vient aussi de l’acoustique de la cathédrale qui n’a pas disparue. La disposition de l’instrument sur la tribune est un des facteurs qui contribuent à la qualité du son.
Je ne connais pas spécifiquement cet instrument mais j’ai déjà souvent joué sur des instruments du XVIIème ou du XVIIIème siècle dont certains sont beaucoup plus dans leur « jus » que cet instrument nantais.
Bien sûr, cet instrument était contenu dans un impressionnant « buffet » sculpté ancien, principalement du XVIIIème siècle avec encore quelques éléments de langage du siècle précédent. Une partie conséquente de sa tuyauterie avait été réalisée à la fin du XVIIIème siècle par le célèbre facteur parisien François-Henri Clicquot, mais personne n’a plus entendu cet orgue sonner ainsi depuis le début du XIXème siècle.
L’agrandissement de l’instrument en 1970 et des interventions antérieures depuis le XIXème siècle a entraîné de nombreuses modifications. Il est une constante que dans les cathédrales, les organistes veulent avoir un orgue à leur image... Parmi les modifications, nous avons un changement de diapason (par décalage des tuyaux), un changement de tempérament (la façon d’accorder l’instrument en égalisant plus ou moins les intervalles), le remplacement des sommiers (les pièces de bois complexes qui soutiennent les tuyaux et qui permettent de leur apporter de l’air), le remplacement de la transmission (mécanique directe à l’origine, électrique aujourd’hui), le remplacement de la soufflerie (le mécanisme qui permet une alimentation constante en vent) avec une augmentation de la pression d’air, le remplacement des claviers...
Chaque tuyau a vu sa forme légèrement modifiée pour prendre en compte tous ces changements et garder finalement un ensemble homogène mais très loin de l’esthétique baroque de son origine.
L’année 1970, qui est la véritable année de (re)construction de cet orgue n’est pas dans la meilleure période de la facture d’orgues. On commençait tout juste à sortir d’une période industrielle de reconstruction d’après-guerre. Les matériaux utilisés pour les nouveaux tuyaux étaient souvent dans une matière moins noble ou le zinc était largement utilisé. C’est ce que j’ai déjà constaté sur des instruments de ce facteur. Les tuyaux du XVIIème siècle utilisaient davantage le plomb et l’étain était plutôt majoritaire dans les tuyaux de Clicquot (au fait, personne ne s’est encore inquiété pour le plomb, quelques dizaines de kilos partis en fumée pour le moins...). La puissance considérable de ce instrument est le fait de l’augmentation de pression des dernières restaurations. Aujourd’hui, nous pouvons atteindre des puissances encore plus considérables en ajoutant quelques kilos d’étain dans les tuyaux et un martelage du métal avant sa mise en forme, mais je ne suis pas sûr que cela ait du sens.
L’orgue de 1970 n’est pas classé comme monument historique. Tout ce qui a pu être classé est le buffet et la tuyauterie de la fin du XVIIIème siècle qui ont maintenant disparu. Reconstituer la tuyauterie de Clicquot ne me semble pas avoir d’intérêt si on ne la fait pas sonner comme un orgue de Clicquot. En ce sens, l’orgue de la cathédrale de Poitiers, du même facteur est bien plus authentique. François-Henri Clicquot a écrit un traité dans lequel il décrit avec précision la fabrication de ses tuyaux et cette facture est bien connue des spécialistes. La reconstitution du buffet peut avoir du sens, mais il y a une forme de tromperie si le ramage ne correspond pas au plumage. Alors faut-il reconstituer un instrument du XVIIème ou du XVIIIème siècle ? Faut-il reconstituer l’orgue de 1970 ? Je n’en suis pas sûr. De toutes façons, l’orgue de St Etienne du Mont à Paris restera un grand témoin de cette facture du facteur Beuchet Debierre. Faut-il reconstituer un buffet composite où faire autre chose comme à Evreux ? Tout est possible mais il est important de retrouver une véritable œuvre d’art qui possède sa propre cohérence.
Laissons déjà travailler les experts du Ministère de la Culture pour élaborer un projet en cohérence avec la vision des organistes titulaires qui sont les personnes qui donneront du sens à l’instrument futur.