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Commentaire de Jean Dugenêt

sur À bas Poutine ! Non à l'invasion de l'Ukraine !


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Jean Dugenêt Jean Dugenêt 1er mars 2022 12:43

@PascalDemoriane

Bonjour Pascal,
Je vais apporter quelques précisions. En premier lieu il s’agit d’une déclaration de l’UIT-QI qui a été discutée point par point pour recueillir l’accord de toutes les organisations de l’internationale. C’est pourquoi il s’agit d’un texte court qui prend acte d’une invasion sans revenir sur l’historique des évènements qui ont précédé.

"Outre la question de savoir vraiment qui « parle et d’où, en tant que quoi » dans ce propos, la question est déjà ici de savoir qui est ce « peuple » et qu’est-ce qu’un « peuple » au regard de la notion dialectique de classe par opposition à un « peuple » au regard de la notion bourgeoise ?« 

J’ai donc précisé qui parle, d’où et en tant que toi. Cette déclaration engage toute l’UIT-QI. Je profite de l’occasion pour dire que d’autres expriment un point vue internationaliste notamment le LIS-ISL. Il est bon de consulter aussi leur déclaration.
Ils parlent eux aussi de : »solidarité avec les travailleuses, les travaileurs et le peuple ukrainien« . La notion de »peuple" existe en effet chez Marx et les marxistes. Elle est héritée de la révolution française sans être détachée de tout clivage social. Je ne vais pas reprendre tout ce qui a été dit à ce sujet. La question a été maintes fois débattue notamment ici.

Tu en viens à dire qu’une internationale révolutionnaire ne peut pas en cohérence « soutenir un peuple » en tant que tel. Je crois que si. C’est notamment le cas avec le colonialisme. L’internationale soutient les luttes d’indépendance des peuples colonisés alors même que ceux qui se placent à la tête des insurgés sont souvent des chefs féodaux des régimes antérieurs. C’est en ce sens que nous soutenons un peuple agressé par une invasion. En même temps nous sommes pour la révolution prolétarienne.

"Jean parlant des langues, aurais-tu légitimé une Crimée Tartare parce que de pure race ?"

Ce n’est pas si simple. Il faut remarquer qu’actuellement, nous sommes dans une période très riche en ce qui concerne les histoires de l’Ukraine. Elles arrivent à foison. Chacun essayant de justifier ses positions par rapport au conflit actuel en racontant la version de cette histoire qui lui convient (Asselineau est remarquable à ce sujet). Reconnaissons tout de même qu’elles ont toutes des points communs. En général, elles ne disent pas un mot des mongols et des tatares.

L’Empire mongol a pourtant eu une grande influence dans l’histoire de la Russie. Les mongols ont organisé une expédition militaire au XIIIè siècle pour envahir la Rus’ de Kiev. Ils ont alors détruit de nombreuses cités dont Riazan, Kolomna, Moscou, Vladimir et Kiev. C’est depuis cette période que les Slaves orientaux sont divisés en trois nations, qui correspondent, à l’heure actuelle, à la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine et c’est grâce à la destruction totale du Rus’ que la Grande-principauté de Moscou a pu prendre son essor. Les Russes parlent de « joug » mongol ou tatar pour désigner cette période. Un impôt nommé « tribut » a été prélevé par les mongols pendant près de deux siècles.

Je me permets de donner quelques infos ou rappels à ce sujet. La capitale des tatars fut Saraï, fondée par Batu, petit-fils de Gengis Khan, vers 1240. Elle était située sur la basse Volga, près de Volgograd, dans l’actuel Oblast d’Astrakhan. Depuis Sarai, les tatares ont régné sur une grande partie de la Russie pendant près de trois siècles. Ceci est souvent omis par les divers politiciens qui s’improvisent en tant qu’historiens. Tous les États russes, y compris Novgorod, Smolensk, Galich et Pskov, leur ont été soumis et leur ont payé tribut. À partir de 1371, les princes russes refusent de payer le tribut. Ils repoussent une expédition lancée contre eux et qui est dispersée à Koulikovo, au confluent du Don et de la Népriavda, le 8 septembre 1380.

Mais, le chef tatar Tokhtamych obligea de nouveau les princes russes à se rendre à Saraï avec des tributs. Dans un premier temps ceux-ci refusèrent. Tokhtamych entreprit alors une campagne contre les principautés russes : il incendia Souzdal, Vladimir, puis pilla et brûla Moscou le 26 août 1382.

An moment où les grandes nations européennes sortent du Moyen Age au cours duquel elles se sont forgées, l’influence des tatares est primordiale en Russie. C’est en Europe la période des immenses découvertes qui permet un nouvel essor en rompant avec les structures médiévales pour s’ouvrir sur la Renaissance, la Réforme et le Cinquecento. Il est bon de rappeler que dans cette période d’essor prodigieux la Russie était culturellement liée à la culture des mongols et des tatares

Ce rappel était indispensable car, dans pratiquement toutes les histoires de l’Ukraine que vous trouverez, il est expliqué qu’il y avait et qu’il y a encore deux langues qui sont parlées en Ukraine : le russe et l’ukrainien. C’est faux ! Il y a trois langues : le russe, l’ukrainien et le tatar. Précisons que la langue des tatars actuels a probablement peu de points communs avec celle des mongols car elle a été de multiples fois créolisée notamment au contact de peuplades turques. Précisons aussi que les tatars sont maintenant peu nombreux car ils ont été massivement déportés par Staline (principalement en 1944) en Sibérie et en Ouzbékistan. C’était une volonté délibérée de Staline de russifier cette région. Il a ensuite encouragé l’immigration russe. Cette russification a été poursuivie par Poutine qui a notamment encouragé les familles des marins à venir s’installer en Crimée. Quand on dit que la Crimée est russophone, c’est exact. Elle est autant russophone que le rocher de Gilbratar est anglophone et qu’en Israël on parle l’hébreu. C’est ce qu’on appelle une « enclave ». Depuis des tatars sont revenus en Crimée. Le 11 mars 2014 , la Rada de Crimée a approuvé un décret garantissant la restauration des droits des Tatars de Crimée et leur réintégration dans la société de Crimée tout en reconnaissant le « sort tragique » du peuple tatar. 

Cette question n’est pas reprise dans le texte présent car elle fait l’objet de discussions internes dans l’UIT-QI. Remarquons tout de même qu’elle mérite d’être signalée.

Je m’arrête là car mon commentaire risque d’être trop long pour passer.



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