L’ECOLE D’ATHENES. Foi et raison au Vatican, modèle pour l’Assemblée Nationale, maillon entre l’Egypte, la Grèce et les romains
... c'est ce que nous raconte cette tapisserie (1) calée entre deux colonnes à chapiteau ionique dans le temple de la République. Avec ses illustres philosophes, scientifiques et artistes de l’Antiquité et de la Renaissance, elle s'offre comme en exemple à la vue de nos députés dans l'hémicycle du palais Bourbon. Elle a détrôné un tableau de Louis-Philippe quand le peuple le découvrit au-dessus du fauteuil du Président en y pénétrant en 1848 pour exiger une nouvelle République. Les insurgés le feront remplacer par la tapisserie des Gobelins de Louis XIV, un quasi droit canonique pour les siégeants.
Bien que lorsque le Roi Soleil l'a voulue, ce n'était pas pour louer la démocratie non plus en référence au don de l'Esprit qui accompagnait son onction, mais en conscience de ce que ces grands hommes nous avaient légués. La Renaissance les avait réveillés et des révolutionnaires en feront ici une bannière. Tous continuateurs de cette lignée d'une intelligence millénaire trans-civilisationnelle tenaillée par le meilleur pour l'Homme. Mais c’est au Vatican que ces valeurs cardinales mûries tout au long de l’histoire de l’Occident ont été représentées d'abord, avec cinquante-sept personnages dont de nombreux grecs. Raphaël les avait choisis pour une fresque destinée au Pape Jules II. Et c’est aussi l’histoire de leurs origines puisées dans l’Antiquité égyptienne que doit nous rappeler « l'Ecole d’Athènes » qui surplombe encore le perchoir de l'Assemblée Nationale (2).
Le dédale des témoignages de cette histoire spirituelle tissée suit le fil des siècles et les civilisations.
On doit donc la réunion de ces éminences à Jules II avec sa commande en 1509 de fresques à Raphaël, ce prodige contemporain de Léonard de Vinci et de Michel-Ange. Avec l'emblématique représentation de ces savants, le peintre rend hommage à la raison, aux sciences, à leur approche de Dieu, mais aussi (sciemment ?) à l'école égyptienne de leurs compétences pour les plus éminents d'entre-eux. Pendant des siècles un voyage au pays du Nil sera une destination incontournable pour un intellectuel grec, avec un séjour qui durait plusieurs années il avait accès à “plus de souvenirs que s’il avait mille ans !” (Hartog).
« L’interprétation des monuments de l’Égypte mettra encore mieux en évidence l’origine égyptienne des sciences et des principales doctrines philosophiques de la Grèce ; l’école platonicienne n’est que l’égyptianisme, sorti des sanctuaires de Saïs ; et la vieille secte pythagoricienne propagea des théories psychologiques qui sont développées dans les peintures et dans les légendes sacrées des tombeaux des rois de Thèbes (3), au fond de la vallée déserte de Biban-el-Molouk. » (Champollion)
Le lieu symbolique choisit par Jules II pour sceller la fresque au cœur du Vatican, ajoute à sa considération pour les sciences et la raison compagnes de la foi. La philosophie outil de compréhension des choses et source d'évolution, distingue une civilisation qui s'y consacre de celles restées primitives.
Fresques de la Chambre des Signatures - Vatican
La tapisserie du Palais Bourbon reproduit donc l'œuvre magistrale de Raphaël avec au centre deux figures à l'honneur.
Platon porte son Timée, cette réflexion qui envisage une connexion possible entre l'âme individuelle (conscience) et l'âme du monde le divin (« Aussi le dieu prit d’abord, pour former l’univers, du feu et de la terre »). Une pensée nécessairement appréciée pour Jules II qui devait y voir une disposition intellectuelle perméable à sa croyance. Le philosophe est représenté sous les traits de Léonard de Vinci avec un doigt levé vers le ciel comme sa représentation de Saint Jean-Baptiste (4)
Saint Jean-Baptiste – Léonard de Vinci
Platon connaissait Isocrate qui disait des égyptiens " Ce sont les hommes les plus sains et les plus longs en vie et c'est ainsi qu'ils ont introduit pour l'âme la formation philosophique » avec l'étude des connaissances rationnelles et intuitives pour les domaines intangibles comme la connaissance des dieux.
Platon et Aristote Ecole d’Athènes - Raphaël
Et Aristote son disciple, avec son univers de lois qui démontrent, prouvent, et qu’il subordonne néanmoins à un ordre, « au-delà ». Le théologien chrétien Thomas d’Aquin, artisan d'une conciliation possible entre la raison d'Aristote et la foi chrétienne, contribuera à la diffusion des œuvres des philosophes grecs redécouvertes au XIIe s. (5)
Des compères en quête de vérité par des chemins différents conciliables avec "la foi et la raison", une conception à laquelle souscrivait Jules II avec sa fresque. Elle rend aussi hommage à ce brillant musulman Ibn Rushd (Averroès), commentateur d’Aristote à Cordoue et courageux défenseur de cet adage au XIIe s.
L’Ecole d’Athènes du Vatican, une empreinte à l’apogée de la Renaissance.
Obélisque égyptien et basilique Saint-Pierre de Rome.
Un siècle qui s'était réapproprié l'héritage grec distingué par les romains de l’Antiquité puis oublié après la chute de Rome au Ve s. Plus tard les Lumières et la Révolution germeront sur l’humus romain, chrétien et grec avec l'épanouissement de l'idée de l’Homme placé au-dessus de tout. Ainsi au cours de siècles de soubresauts et de transformations, l’Occident se façonnera avec la permanence d’une religion chrétienne deux fois millénaire. Il s’imprégnera d’un humanisme non révélé, produit des connaissances philosophiques et scientifiques, compris par les chrétiens.
Obélisque égyptien et Panthéon 27 av. JC Rome.
Le Panthéon romain « Dessin angélique » pour Michel-Ange, est un témoignage païen de la proximité gréco-romaine. De Rome à la Sicile grecque du VIe s. av. JC il n'y avait qu'un pas. L'architecture est l'apparence du modèle grec qui subjuguera les romains, avec ses arts, sa philosophie et des dieux communs.
Temple grec de la Concorde Ve s. avJC - Magnifique vallée des temples à Agrigente Sicile
L'Ecole d'Athènes de l'Assemblée Nationale s'imposera pendant la période néo-classique parisienne du XIXe s. qui affichait ses origines culturelles ; romaine, chrétienne et grecque, avec l'obélisque de La Concorde qui annonce celles égyptiennes qui se révélaient.
Assemblée National depuis l'obélisque de la Concorde
L'influence néo-classique touchera bizarrement jusqu'à la petite synagogue de Delft en terre calviniste (Pays-Bas).
On sait depuis, la fascination des grecs pour les sciences, les sagesses (philosophie) et la religion égyptienne avec leurs dieux semblables, elles attireront des générations d'éminents grecs qui s'y rendront pour s'instruire (6). Pythagore illustre représentant du syncrétisme recherché ici par Raphaël, fondera à Crotone (Calabre Italie) une confrérie scientifique et religieuse après ses nombreuses années passées en Egypte où la sagesse enseignait le bien, ce déterminant pour le jugement de l’âme après la mort. Autour de l'an 1000 av. JC le pharaon Amenemopet énonçait " Dieu préfère celui qui fait honneur au pauvre à celui qui vénère le riche". Vers 2400 av. JC, le vizir égyptien Ptahhotep réputé premier philosophe expliquait à son fils avec ses maximes, les règles de comportement et d'exemplarité pour harmoniser la vie en société en y associant les divinités.
Ptahhotep – Musée du Louvre
L'idée de dieu est omniprésente tant pour expliquer ce qu'Il lui soufflera que pour ses qualités personnelles données par les dieux pour y parvenir. Les égyptiens, rationnels aussi, savaient expliquer et justifier leurs raisonnements. Déjà la foi et la raison.
Des enseignements et une morale dont la tapisserie de l'hémicycle ne rend pas forcément compte pour tous et qui échappe à tant de religions. On ne doit pas s’étonner de cette place subliminale laissée à la religion avec la tapisserie royale au-dessus du fauteuil de son Président et voulue pour l’Assemblée nationale par les révolutionnaires de 1848 (2). Robespierre pensait la religion nécessité morale pour un peuple et instituera la fête de l’Être suprême. Une idée déjà actée dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en 1789 et encore aujourd’hui dans son préambule ; « … l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen … »
Pour le 200e anniversaire de son indépendance, la France a prêté à la Grèce sa deuxième tapisserie de « l’Ecole d’Athènes » du XVIIIe s. (Hôtel de Lassay), « un hommage de la France au berceau de la démocratie » dont le père, Solon un des Sept Sages de la Grèce antique, disait « II est un Dieu maître suprême. Nous ne pouvons avoir qu'une idée obscure de la divinité. Conjurons ce maître suprême de répandre quelques rayons de sa gloire sur nos lois et de leur donner un heureux succès. » Une idée rémanente de Dieu chez les philosophes. Hors de l'Occident quel autre pays aurait accueilli L'Ecole d'Athènes avec le même enthousiasme ? Cette œuvre témoigne d'une empreinte culturelle qui a agrégé les peuples de notre continent, alliés autour des valeurs qu'elle représente contre des siècles de menaces. Pour mesurer cette évidence on ne pourra pas imaginer ce qu'il serait devenu sans Poitiers (732), la Reconquista (1492), Vienne (1529 et 1683), Lépante (1571)… des étapes décisives qui ont protégé ce que la fresque du Vatican avait à nous dire et dont nos députés sont aussi les gardiens. Ceux athées pour qui l'Ecole d'Athènes n'est qu'un rappel de ce que le peuple attend d’eux ; étude, sagesse, savoir, sous l'égide de la raison, c'est déjà ça.
Pour le reste "... que Dieu les aide".
1- La tapisserie et ses colonnes renvoie à la Renaissance de Fra Angelico moine dominicain, avec son Annonciation encadrée de colonnes. Une influence grecque persistante pendant des siècles chez les chrétiens.
3- Fondation de Thèbes en Grèce vers 2200 av JC plus ancienne cité grecque. Thèbes en Egypte (Louxor Karnak) naissait mille ans plus tôt.
4- La relique d’un doigt de Saint Jean-Baptiste est conservée dans le trésor de l’église Saint Jean-Baptiste (commune de Saint-Jean-du-Doigt - Finistère)
5- Dans son livre "Aristote au Mont Saint-Michel", l'historien médiéviste Sylvain Gougenheim défend l'idée d'un circuit chrétien ténu mais persistant de transmission du savoir grec et minimise l'apport des musulmans notamment au motif qu'ils ne parlaient pas grec (*). Gougenheim soulève la question de la non assimilation du modèle grec par les arabes pour minorer l'apport musulman dans sa transmission. Les obscurantistes intégristes almohades venus du Maroc brûleront à Cordoue les livres d'Ibn Rushd (Averroès) artisan de l'intelligence de la foi, ils illustrent l'intransigeance islamique qui bornait l'éducation à ses préceptes (**). Avant lui Al-Fârâbî (IXe s.) commentateur déjà d'Aristote et de Platon, s'imprégnait de leurs influences dans une Bagdad islamique encore conciliable avec ses racines judéo-chrétiennes. Elle avait réuni un peu plus tôt les savants byzantins avec leurs textes et leur culture grecque par la volonté d'AL-Ma'mûn (**). Un âge d'or qui ne durera pas. Le sociologue Ibn Khaldoun (XIVe s.) rappellera comment les étudiants surveillés dans les médersas (écoles coraniques) adossées aux mosquées seront chassés par des imams hermétiques à leurs réflexions hérétiques.
(*) Les égyptiens mettaient des traducteurs à disposition des grecs appréciés qui venaient s'instruire dans leurs temples des savoirs, à Cordoue chrétiens et juifs traduisaient et recopiaient.
6- L’Occident doit aussi à la Grèce ce que l’Egypte a bien voulu lui apprendre. Thalès et Pythagore rapporteront leurs théorèmes éponymes.
PS : Raphaël rendait encore possiblement hommage à Léonard avec une Ecole d'Athènes qui évoque la Cène, son aînée de quelques années avec ses codes reproduits ; alignement horizontal des personnages affairés, nuances de leurs vêtements, architecture en perspective plongeante tranchée par une symétrie verticale, centralité du point d'intérêt.
Fresque de Raphaël "l'Ecole d'Athènes" - Vatican
Fresque de Léonard de Vinci "la Cène" - Milan
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