Le mythe, une réalité psychique
Nait d’une alchimie subtile des
états de conscience de l’humanité, à travers les millénaires, le mythe
nous relie au monde sensible,
créatif, imaginatif et divin. Il évolue dans les sphères à
la fois merveilleuses et inquiétantes de la psyché. Merveilleuses,
parce qu’elles répandent le rêve, l’illusion, l’illimité, l’apesanteur.
Angoissantes, pour les mêmes raisons. Déconcertantes surtout, parce que
l’irrationnel déstabilise beaucoup de gens à la recherche d’un point
sur lequel s’appuyer...malgré qu’il n’en existe pas.
Mon petit papier sur Sisyphe m’a laissé sur ma faim, j’y adjoint un
codicille.
Comme je l’exprimais dans un commentaire, la question n’est pas de
penser Sisyphe heureux ou malheureux ou d’en faire une source de
conflit d’ego, mais d’en saisir l’essence.
Partons à la recherche de l’un des pères de Sisyphe, le mystérieux Homère. Mythe, peut être lui même, inspirateur de poètes, d’écrivains et de bardes de partout et d’ailleurs, fourmillement des grands livres inspirés.
L’histoire de la tradition nous décrit Homère aveugle. Deux éléments dans les textes homériques appuient cette thèse. Dans l’Odyssée, Démodocos chante des épisodes de la guerre de Troie, c’est un aveugle. L’auteur de l’Hymne homérique à Apollon Délien (à l’époque attribué à Homère) déclare à son sujet : « c’est un aveugle, qui réside à Chios la rocailleuse ». L’aveugle, dans les civilisations antiques, est celui qui voit l’invisible transcendant et ne peut voir le visible immanent. C’est une incarnation de l’inspiration parfaite.
L’un des pères de Sisyphe, Homère, n’est pas simplement un poète, sa cécité est peut être une malédiction, mais elle s’accompagne d’un don divinatoire. Perdre la vue lui ouvre l’espace du temps universel, éclaire la vérité du monde et des êtres et lui permet d’accéder à la sagesse.
Pour inventer les mythes et les dieux...si ce n’est Dieu lui même, il faut être visionnaire, se nommer Abraham, Moïse, Homère, Jesus, Rousseau, Nietzsche, et bien d’autres...Prophètes antiques ou philosophes modernes, dont le mental effervescent se situe à la limite de la normalité et de l’aliénation...C’est un langage psychiatrique que je ne partage pas tout à fait. Il faut bien tenter de cadrer ce que l’on ne comprend pas. Ceux ci sont des soignants, les psychiatres, qui s’interrogent avec beaucoup d’intelligence, mais ne soignent pas...ils endorment, inhibent, stabilisent.
L’homme, la bête à la grosse tête, que la bible appelle Adam..."lorsque parut Adam, dit le professeur Sendrail, il n’était qu’un monstre, un primate incongru à pallium cérébral hypertrophié jusqu’à l’extravagance." "Quelle nouveauté que l’homme, s’écrie Pascal, quel monstre, quel chaos."
Les mythes émergent de ces personnages exceptionnels, les inspirés. Ils représentent la part de l’humain qui flirte avec la divinité, la fine fleur méditative et pensante. Ils enfantent les modèles incontournables de nos espérances vaines pour les uns, fondées et agissantes pour les autres. Ainsi naissent les mythes.
En réponse à une commentatrice qui me questionnait sur l’opportunité d’évoquer le mythe de Sisyphe, je répond que j’y trouve une étrange similitude avec un être humain que j’aime et que j’accompagne, de près ou de loin depuis plus de vingt ans. C’est un polytechnicien atteint de maniaco-dépression.
Je m’explique maintenant sur la bipolarité du mythe de Sisyphe. Elle a pour moi une valeur symbolique, pédagogique et clinique.
Le décor est planté, le géant, son rocher, sa montagne. Le colosse répond à un choix de vie d’une nature surhumaine, le bipolaire aussi. Les psychotiques, en période de crise se mesurent au divin. En phase de décompensation, il sont l’égal de Dieu. La force physique est décuplée. Dans la période transitoire qui précède la décompensation ils ont une intuition prophétique.
L’envers du décor, ils s’épuisent, se dispersent, inquiètent leur entourage et donnent l’impression de vouloir révolutionner la terre entière...Dieu merci, à ce moment il existe, c’est une réalité psychique, dans un autre temps. Nous les regardons et les aimons depuis notre temps linéaire, il peuvent nous considérer dédaigneusement , nous sommes tellement et exclusivement humains.
Vous comprenez maintenant que la question de savoir si Sisyphe est heureux, malheureux, stagnant, absurde...tout cela c’est de la littérature vaine, par trop humaine. Sisyphe est ailleurs, dans un temps universel ou nous n’entrons pas. Il nous est donné de l’envisager respectueusement en cultivant notre humanité aux tréfonds de nos entrailles.
Voilà, c’est un aperçu de la phase compulsive, pendant laquelle, Sisyphe hisse son rocher au sommet de la montagne, à l’égal de Dieu, qui lui tient compagnie, avec lequel il fait corps...
Hélas, le moment crucial, une force au-dessus de lui, le fatum, l’impénétrable mystère, il met le genou à terre et le roc lui échappe pour redescendre dans le néant des humains. C’est le mouvement circulaire, l’expression de la bipolarité d’où émerge la période au mieux de détente, de relâchement, au pire, de dépression, de chute dans les enfers. Il revient chez les humains avec lesquels il partage l’apparence.
C’est momentanément la face visible du mythe, insuffisante pour le cerner dans notre entendement essentiellement linéaire et trop humain. Puis il reprend sa course ascensionnelle, balancier de Chronos, dans un présent d’éternité où nous n’entrons plus.
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