Les apôtres de la lenteur musicale...
La lenteur est une manière d'appréhender le monde et de mieux l'apprécier... sans doute... "Slow in beautiful", tel est le titre de la conférence donnée par Marc Simon, à Nîmes, au Carré d'Art.
La lenteur, nous dit-il est une des composantes essentielles de la musique.
Et qui sont ces apôtres de la lenteur, ces défricheurs de l'immobilité ?
Pour en trouver, on peut remonter d'abord à - 500 avant JC : un fragment musical du premier stasimon d' Oreste d' Euripide... "Je pleure, je pleure tellement". En 1892, parmi un certain nombre de papyrus d' Hermopolis , en Egypte, dans la collection de l' archiduc Rainer Ferdinand d'Autriche , un fragment a été découvert et publié , contenant un passage mutilé avec notation.
"κατολοφύρομαι κατολοφύρομαι ματέρος αἷμα σᾶς, ὅ σ’ ἀναβακχεύει, ὁ μέγας ὄλβος οὐ μόνιμος ἐν βροτοῖς, ἀνὰ δὲ λαῖφος ὥς τις ἀκάτου θοᾶς τινάξας δαίμων κατέκλυσεν δεινῶν πόνων ὡς πόντου λάβροις ὀλεθρίοισιν ἐν κύμασιν"
"O désolation, désolation ! pour le sang de ta mère qui renouvelle ton délire Une haute fortune ne peut subsister parmi les mortels : comme un frêle vaisseau dont la tempête a déchiré les voiles, les dieux l'engloutissent dans un abîme de malheurs, aussi dévorant que les flots de la mer orageuse."
On connaît la légende : Oreste a tué sa mère Clytemnestre et son amant Egisthe, meurtrier d' Agamemnon.
Cette musique a été reconstituée par l'Atrium Musicae de Madrid.
On a là des effets de lenteur liés à des choses sacrées, profondes, mystiques.
Plus tard, au 11 ème siècle, l'abbesse allemande Hildegarde de Bingen a composé des chants religieux : une voix qui, pour être mystique, est extrêmement libre.
C'est une musique très douce, apaisante où Hildegarde évoque ses visions : on entend une note qui est derrière, un paysage musical, le fameux bourdon.
Le bourdon est un son fondamental, il sert d'horizon, c'est comme un paysage qui permet au chanteur de chanter juste.
Puis, Marc Simon nous fait écouter des chants de femmes venus de Polynésie, des îles Salomon, des chants très anciens pour des cérémonies annuelles, le Sanga. Ce sont des musiques orales qui ne sont pas écrites : on y retrouve une certaine lenteur, comme une communion...
Certains se sont amusés aussi à jouer des airs de musique connus sur un rythme très lent : la lenteur peut alors nous déstabiliser, nous mettre dans l'embarras : on ne reconnaît plus ces airs célèbres.
Par exemple, la 5ème symphonie de Beethoven massacré par un orchestre anglais, ou encore Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss ou la farandole de Bizet.
Brian Eno est encore un adepte de la lenteur musicale... musicien, arrangeur et producteur britannique, Eno s'est décrit comme un « non-musicien » et a contribué à introduire une variété d'approches conceptuelles et de techniques d'enregistrement dans la musique contemporaine.
En Inde, Ravi Shankar compose des ragas, des musiques lentes, pleines de mystères et de spiritualité.
La lenteur permet une grande liberté : Miles Davis a découvert le monde du flamenco, il s'est passionné pour cette musique : dans Croquis d'Espagne, il reprend le concerto de Aranjuez sur un mode lent...
Claude Debussy, quant à lui, a révolutionné la musique : il compose ainsi ce morceau intitulé "Des pas sur la neige" avec 3 notes seulement répétées, "ré, mi, fa", il rajoute des accords... Ainsi, avec la lenteur, on trouve souvent une autre notion : la simplicité.
La lenteur nous invite souvent à l'apaisement, la méditation....
Mais elle peut avoir d'autres fonctions : Erik Satie voulait écrire de la musique d'ameublement, il compose alors "Tenture de cabinet préfectoral", avec la lenteur, la pesanteur, la répétition, il se moque des cabinets préfectoraux...
Pour John Cage, musicien avant-gardiste, la lenteur peut même s'approcher du silence : avec 4 minutes, 33, il remet en cause le côté sacro-saint de la musique, avec un brin de provocation...
John Cage utilise parfois un piano préparé avec des morceaux de bois, de vis : certaines notes ne font plus de notes : il crée un nouvel instrument et des harmoniques nouvelles.
Merci à Marc Simon pour ce beau voyage musical qui nous a permis de découvrir des musiques originales, souvent étonnantes, apaisantes.
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2020/10/les-apotres-de-la-lenteur-musicale.html
https://archives.crem-cnrs.fr/archives/items/CNRSMH_I_1972_016_182_08/
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