Bergman et Antonioni, des images en terre post-chrétienne
Après tant d’éloges de par le monde, pour ma part, j’y mettrais un petit bémol. Car j’ai un problème avec Bergman. Je ne conteste pas son immense talent. Il a fait des films remarquables et il laisse, avec Antonioni, un monde sans voix, quand on constate où on en est réduit aujourd’hui. Les jeux du cirque ! Mais ce qui me pose problème, est le cinéma lui-même qui, comme il le dit lui-même, lui était nécessaire comme “boire, manger et l’amour”. Donc, on se retrouve avec la Vérité et le cinéma. Dieu et le cinéma ? Son père luthérien et strict et le cinéma ? Les femmes et le cinéma ? L’athée ou l’agnostique et le cinéma ? Sonder les femmes sous l’oeil de la caméra ? Toutes les questions humaines depuis la nuit des temps sous le prisme du cinéma et du théâtre ! Dieu ne se montre pas devant le maître du 7ème art ! Tiens donc ! “Les communiants” venant donc naturellement signifier que la question du Divin n’était en fait que l’expression d’une immense angoisse humaine face à la mort et la solitude. Et en ce début du XXIème siècle arrive ce qui devait arriver, sous l’impulsion des maitres. Un cinéma omniprésent qui ne veut plus rien dire, tant l’image nous est constamment servie dès qu’un problème est soulevé et cela jusqu’à l’overdose. Mais je continue sur Bergman.

Alors vint les femmes et leur éternel secret, qui valent bien une exploration en eau profonde, par le truchement de la caméra. On a avec Antonioni, que je respecte aussi, une race de réalisateurs qui, à mon avis, nous ont conduit à un désastre sous les éloges. Le désastre de la toute-puissance du cinéma, faisant croire à des générations entières aux vertus du septième art. Capable, certes, d’apporter des réponses ou, tout du moins, approcher une certaine idée du monde qui ferait sens ou pas, et cela à la façon d’un grand artiste de la Renaissance. Mais le problème, avec ces artistes, est qu’ils ont ramené, des questions immenses du sens de l’existence qui nous dépasse tous, à des lois cinématographiques, comme le ferait internet aujourd’hui avec le savoir et, qui plus est, avec cette noirceur qui empêche d’y voir autre chose.
Servant de caution, une masse de réalisateurs, plus farfelus les uns que les autres, voulèrent à leur tour apporter une pierre à l’édifice en imitant les maîtres. La chute fut brutale et sans appel ! Tarkosvski en a fait aussi l’amère expérience avec son merveilleux Stalker et Le Sacrifice. On ne traite pas avec Dieu sous l’oeil du cyclone. Et toujours la vérité se dérobera à ces prétendus du septième art, si bons soient-ils, telle la Rome antique voyant impuissante sa chute, ses idées et ses anciens dieux fuirent devant les barbares du Nord, précurseurs du Moyen Âge. Même Rosselini a dû en rabattre croyant à la pédagogie alliée à l’image. Qui regarde aujourd’hui Les Fiorettis et Les Actes des apôtres. Cinéma d’art et d’essai ! Pour une oeuvre qui se voulait universelle c’est un peu dur comme finalité. A mon avis, seul Pasolini a su tirer son épingle du jeu telle une ironie de l’Histoire. Théorème et son extraordinaire Jésus resteront, car il ne juge pas. On sent de l’émerveillement, comme il le disait lui-même, lui l’athée sulfureux. Et là où il portait le fer, c’est sur la société de consommation, dont il prévoyait l’hégémonie. Une nouvelle maladie, un cancer incurable à nouveau à l’oeuvre dans une civilisation, à peine remise, du désastre de la Seconde Guerre mondiale.
Cependant, la lente agonie du cinéma lui sera, je pense, bénéfique. Car sa prétention, portée par une civilisation comme la nôtre, doit rendre les armes. On ne traite pas la vérité comme si elle nous devait quelque chose, mais plutôt l’inverse. Je prédis qu’après les éloges, les films passés en boucle, les questionnements, le relativisme passionnés de Bergman s’envolera comme un vieux rêve d’un cinéaste qui aura cru jusqu’au bout aux signes de son talent bien qu’il s’en défende. Un état d’âme jamais éteint, qui fera encore école, mais qui sait ce que le monde en fera ! Et quand j’entends la réaction d’Ullmann, actrice de ces films, parler de l’âme du cinéma qui serait perdue si on oubliait Bergman et que le cinéma moderne commence par lui, je me demande vraiment, sur quelle planète elle se trouve. Certainement pas la mienne. Je dirais que toutes les questions de Bergman, comme de Woody Allen d’ailleurs, qu’il voit comme un maître, ont pour la plupart déjà des réponses pour qui sait voir entendre explorer d’autres routes, écouter d’autres gens aussi passionnés qu’eux, mais certainement plus simples et faciles d’accès. Le problème est que la vérité ne se plie pas à leurs exigences d’artistes, si évocateurs soient-ils ! Ne jamais oublier, que le cinéma n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’existence et non forcément une planche de salut. A de rares exceptions. Quand on voit aujourd’hui, l’état pitoyable du milieu du septième art, sous l’électrochoc, non pas de la mort de ses vieux maîtres, mais du vide qu’ils laissent, dans un monde sans âme et à nouveau prédateur. Un monde fait aussi par ceux qui ont aimés Bergman et Antonioni. Les milieux culturels en regorgent, et Félini en a fait le plus beau anti-manifeste dans La Dolce Vita. Paix à son âme. Et si l’humanité nous a appris quelque chose, c’est qu’à nul homme n’appartient la vérité, et que toutes nos idoles seront balayées pour les avoir érigés en roi. Le cinéma ne fera pas exception ! Et si je dis tout ça, moi amateur de films, c’est que je sais la distance à prendre avec ce moyen d’expression, si fascinant soit-il et porté par des intelligences hors du commun.
Pour finir sur Bergman, deux-trois choses qu’il a dit il y a peu, à l’heure du bilan. Que tous ses films, quasiment, étaient une tentative de soigner la cicatrice profonde, ouverte dans son enfance et jamais totalement refermée, sur sa relation terrible avec son père. Que tous ses films n’étaient que des biens de consommation, qu’ils avaient fabriqués du mieux qu’il a pu tel un artisan et qu’enfin, il avait l’intuition, que l’existence était soumise à une sorte de dessein intelligent qui nous dépasse et qui résiste à toute analyse de l’entendement, selon ses propres mots. Mieux vaut tard que jamais, mais quel parcours sinueux, avant de pressentir ce que Tarkosvski savait déjà, et qu’il n’a jamais cessé d’interroger. Le rapport de l’image et de la vérité. Pour une vérité hors de portée, mais qui partout a cependant laissé comme des traces de son vestige, face à une civilisation post-chrétienne, vivant ce legs de l’Histoire sans s’en préoccuper ni l’interroger outre-mesure, mais ne le rejetant pas non plus, telle une zone de transit remarquablement mis en scène dans Stalker de Tarkosvski, où les êtres refusent quasiment de se laisser toucher par grâce comme si ce fut une maladie.
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