Bienvenue chez nous
Petit retour critique sur la plus belle affaire commerciale du cinéma français.
J’ai vu Bienvenue...
Autant vous dire tout de
suite que je ne m’attendais pas à un chef-d’œuvre, considérant les médiocres
qualités de comédien de Dany Boon - qu’il partage avec d’autres fantaisistes, de
Coluche à Bigard - et l’incertitude régnant sur ses capacités à réaliser un
long métrage, mais à l’éventualité de passer un moment de détente, puisque, si
tout le monde adorait ce film, ce ne pouvait être sans raisons.
La projection m’a arraché
deux sourires et vingt soupirs. Un alignement de clichés pour prétendre tordre
le cou aux clichés : figurez-vous que les gens du Nord ne sont pas les demeurés
qu’on croit (mais qui le croit à part les tarés de supporteurs du PSG ?),
mais qu’en revanche les gens du Sud sont des débiles profonds qui enfilent des
doudounes en été avant de se rendre à
Lille et dont l’environnement est fait de charmantes placettes ombragées de
platanes avec de gentils boulistes au milieu.
C’est ravissant, le
Sud : pas de cités « sensibles », pas de nœuds autoroutiers, pas
de surpopulation, pas de pollution, pas de bitures au pastaga, pas de
délinquance, pas de racisme ; le mistral n’est jamais glacial, les villas
avec patio et piscine se louent pour une bouchée de pain et les cadres moyens
de La Poste roulent en bagnoles de bourgeois.
On se demande d’ailleurs
comment dans de telles conditions d’existence idylliques leurs ravissantes femmes
stupides font pour être dépressives ?
Sans doute parce que leurs
époux sont des crétins qui ont besoin d’un traducteur afin de comprendre les
quelques idiotismes pourtant bien connus qu’on emploie au nord de la Somme et
un accent que la malheureuse Line Renaud s’acharne à caricaturer dans son plus
mauvais rôle, mère de prolo relookée en Françoise de Panafieu.
A part ça, on va de
surprises en étonnements : dès la première intervention du gendarme
motocycliste, on a compris qu’on le reverra à chaque aller-retour de notre
« héros » (toutefois il faut admettre que Kad Merad est le seul à
n’avoir pas appris son métier d’acteur avec une méthode accélérée) et, fine
mouche, on devine avant même qu’elle ait commencé que la tournée du facteur se terminera en cuite mémorable.
Certes, nos Ch’tis sont de
bien braves gens, mais on peine tout de même à piger comment dans un système
socialement clivé comme le nôtre un directeur d’agence en vient à copiner si
intimement et si facilement avec son personnel, au point
de devenir le meilleur ami du facteur, un gentil garçon fort sympathique, mais
vraiment pas plus passionnant que cela en néo-Quasimodo sonneur de carillon.
Pas la peine de s’énerver,
me direz-vous, le succès de cette œuvrette ne doit pas grand-chose à ses
qualités objectives, mais à l’œcuménisme social qu’elle véhicule : Ch’tis
ou Provençaux, cadres ou employés, beaux ou moches, riches ou pauvres, on est
tous frères, tous Franchouillards, et je peux vous assurer que ça fait chaud au
cœur par ces temps de mondialisation et de compétition acharnée où chaque homme
est un loup pour l’homme.
Dans Bienvenue...,
le harcèlement moral est une notion inconnue, les copains vous meublent gratos
un logement, les collègues ne se font pas de crasses entre eux et la jolie
blonde, quoique un peu volage, est naturellement amoureuse du petit employé pas
franchement séduisant, sans ambition, plus âgé qu’elle et affublé d’une mère
possessive comme celle de Guy Bedos dans Un éléphant, ça trompe...,
autre succès populaire, plus ancien et plus fin. Que du crédible béton.
Et, après tout, quel est le
mal si les quinze ou bientôt vingt millions de spectateurs ont couru à la
séance pour y trouver une illusion de fraternité qu’ils préfèrent décrire comme
un besoin de rire ?
Plus préoccupante est cette
insistance à rappeler que le film bat tous les records de fréquentation en
France, avec en filigrane cette imposture entretenue - curieusement contraire à
l’esprit de l’œuvre - que le succès financier vaut talent et que l’engouement
des masses, pourtant accoutumées à prendre des vessies pour des lanternes, ne saurait être trompeur.
C’est un phénomène de société,
comme on le dit un peu vite avant que les sociologues ne s’en emparent pour le décortiquer. Ou un
délire collectif ? En tout cas, pas sûr que ça soit flatteur pour ladite
société de se reconnaître dans une pochade sans envergure artistique, mais qui
rapporte gros.
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