Boulin, objet littéraire bien identifié des... historiens
L’unanimité policée et complaisante des critiques littéraires autour de certains livres me paraît toujours suspecte. Notamment l’engouement autour du livre de Jean-Eric Boulin « Supplément au roman national » laisse perplexe. On devrait pourtant être habitué aux tempêtes médiatiques autour de romans de seconde zone. Il en est des rentrées littéraires comme du beaujolais nouveau, c’est un peu toujours la même déception.
Sauf que là, avouons, l’objet sort un peu de l’ordinaire. On peut aimer ou ne pas aimer le dernier Angot, trouver fadasse le dernier Houellebecq (soit-il le dernier ! ), l’objet de ces romans prête à peu ou pas de conséquence. Là, a-t-on affaire à un livre ? Pas sûr. La critique s’entend au moins là-dessus, on parle même d’ovni.
Résumons-nous, JEB dresse, assène plutôt, le portrait d’une banlieue parisienne hallucinée, pas un dialogue, mais une longue litanie d’affirmations gratuites et exagérées pour qui connaît la banlieue et la sociologie française. L’obsession du narrateur décrit une marée de « noirs » ou de « bougnoules » en passe de fondre sur un îlot blanc autour d’un Saint-Germain vivant dans sa bulle médiatique. Si mes termes vous semblent osés ou déplacés, vous n’imaginez même pas ce que peut être le propos de cet ouvrage. Les guillemets indiquent des citations du livre.
On se demande vite quelle cause défend ce discours nihiliste.
De ce tableau sans nuance, où l’excès côtoie le mauvais goût, la recherche constante de la tournure scandaleuse (je vous fais l’économie et la grâce des citations), l’auteur instille sa vision politique de la France de 2007. Un de plus, vous me direz, en cette rentrée.
Sauf que l’historien ou le cultivé reconnaîtront sans difficulté les proses haineuses des pamphlets d’un Céline ou d’un Brasillach. Quelques critiques d’ailleurs (Le Point, Le Nouvel Obs...) osent la comparaison de forme et de fond avec Barrès, sans toutefois aborder l’objet du propos. J’y reviendrai ; mais le problème des 695 romans édités en cette rentrée se pose là, le temps manque.
Déclinologues de tous les pays, unissez-vous !
En effet, que de fiel et de noirceur, déversé fébrilement au gré d’une plume hasardeuse. Tout va mal, tout est noir et nul espoir n’est à attendre. On retrouve toutes les antiennes classiques de l’extrême-droite.
Bouchons nous le nez et passons-les en revue : la République traitée de gueuse (« les édiles qui se prostituent pour un petit pouvoir ridicule »), avec -et c’est facile, tellement vicieux de prendre Hollande pour modèle- un portrait scandaleux du travail d’un élu. Page 58, l’auteur finit de vomir la classe politique pervertie depuis Louis-Philippe. C’est sûr, René Rémond l’analyse bien, la vraie droite réactionnaire de Charles X était quand même d’une autre tenue. Nostalgie, quand tu nous tiens. Tout au long du roman, JEB nous laisse des petites clefs, comme cela, pour mieux le lire, entre les lignes.
Enchaînons avec la vraie France qu’il
oppose à la France légale, le pouvoir « que
l’on prend avec 100 hommes » frémit devant la
banlieue qu’il laisse livrée à elle-même. Ce
n’est pas que j’apprécie beaucoup François Hollande,
mais les vingt pages le décrivant sont une véritable charge contre la République, contre les hommes qui la servent, ces
500 000 élus locaux qui font vivre en France une démocratie,
qui, si elle n’est pas sans défauts, n’est pas non plus le
pire régime de la planète. De l’autre côté,
ce livre, sous couvert de défense des sans-grade, suinte le
dégoût des classes populaires, dépeintes au long du
livre avec une morgue inouïe. L’auteur évacue la critique sociale pour lui substituer une opposition entre "visibles" et "invisibles", autant dire recrée avec d’autres mots cette vieille opposition des deux France.
N’oublions pas la xénophobie.
Loin de la pseudo " déclaration d’amour aux invisibles", la banlieue étrangère qu’il décrit avec tant de
rage maniaque et compulsive ressemble, au bout de quinze pages, à
une vive dénonciation de l’immigration. Les
clefs sont disséminées partout, quand par exemple il
dédie son brûlot de pacotille aux « survivants d’un
peuple disparu », sous-entendu, le peuple d’avant
l’ « invasion » des « noirs et
des Arabes » - forcément islamistes et terroristes pour
JEB.
Oui, ce livre, à l’instar de doc Gyneco dans une sauterie de l’UMP, vomit banlieue et banlieusards en dressant un tableau sans concession ni humanité de ces derniers. Haine sociale contre les plus modestes, haine raciale, trahison des élites, tout est là. Le procédé est connu et la ficelle est grosse.
Je ne connais pas JEB, mais à la lecture de ce livre, il semble que le monsieur ait connu quelques frustrations, notamment sexuelles, desquelles il a du mal à se remettre. C’est secondaire.
Ah oui, pour finir, le monde est petit. Un ami à moi, artificier, m’informe avoir eu affaire à l’auteur. Jean-Eric Boulin, recalé à l’entrée de l’ENA, est attaché d’administration à la Ville de Paris, en charge des grands évènements. Un poste sans doute bien trop étriqué pour qui se voyait Préfet, mais très loin du lumpenprolétaire qu’il se revendique. Boulin utilise ceux qu’il prétend défendre et leur crache à la gueule en s’en servant de marchepied pour atteindre l’échelon social qu’il souhaite atteindre.
Oui, ce livre nie la société humaine pour ne voir que cynisme et manigance. En ce sens, oui, ce livre servira les desseins noirs du parti d’extrême droite.
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