Bussang : rendez le théâtre au peuple !
Fidèlement, chaque année, des « théâtreux » attendent le plaisir du partage et de l’effervescence au Théâtre du Peuple, à Bussang dans les Vosges. Oui, cette petite commune doit à son « Théâtre du Peuple », théâtre national s’il vous plaît, une renommée qui dépasse largement l’Est de l’hexagone où elle se love au pied d’un col entre Lorraine et Alsace. Fondé en 1895 par Maurice Pottecher, oncle du célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric, ce lieu insolite, hors du commun, classé monument historique en 1976, offre ses 900 places pour, cette année, le spectacle Caillasses, pièce de Laurent Gaudé, mise en scène par Vincent Goethals.
Comme toujours le lieu est magique, l’atmosphère conviviale et pleine d’espoirs. On ne peut que reconnaitre absolument les qualités de la forme : la prouesse des acteurs, la mise en scène, la musique, etc... Mais la pièce est morne, lourdement didactique, répétitive, sans souffle et sans tension. Tout est dit dans les dix premières minutes sur les horreurs de la guerre et la déchirure par les barbelés des lignes de frontières et celle des cœurs. Et cela sera répété à l’envi… Pas de surprise, d’enthousiasme, de sursaut, de participation vibrante à la création du sens de ce qu’on voit, on « assiste » décidément à un spectacle.
On peut s’interroger en outre, réellement, sur la pertinence du genre choisi. La « tragédie », au sens classique du terme, paraît inadaptée de nos jours pour faire passer un message tragique. L'humour, la dérision, la poésie sont des armes beaucoup plus efficaces et beaucoup plus marquantes. Un public qui alterne les soupirs, les pleurs, les sourires, les émotions, les moments de tension, mais aussi les moments de respiration, est un public qui a plus de chance d'entendre le message, de le partager, de le relayer, bref de le vivre !
Sur le fond et en ce qui concerne la pertinence du thème : parler du conflit israélo-palestinien sous cette forme-là, semble quelque peu dépassé et culpabilisant. Sans compter que c'est désespérant pour la jeunesse qui se voir offrir (transmettre), pour tout changement, de devenir une bombe vivante. L'œuvre parait à la remorque du conflit et se complait malheureusement dans une violence sans issue. On voit surgir Yasser Arafat.
L’ouverture sur la forêt tant attendue ? Que devient sa promesse d’émerveillement ? On tombe en plein dans le contre-emploi ! Voilà le sous-bois de la colline défiguré en cimetière, inondé de soleil (pour une fois !), où saute et gesticule en hurlant un bouffon outrancier qui grimpe aux arbres et fait (un peu) ricaner la salle quand il trouve entre les tombes des morceaux de sa bien-aimée explosée…
Une atmosphère à notre avis tout sauf roborative et festive. Comment, dans ces conditions, faire réfléchir, émouvoir, faire rire et pleurer, éveiller un sursaut d’humanité et de résistance aux malheurs et aux injustices ? Pour cela, il aurait fallu sans doute plus de poésie (comme chez Mahmoud Darwich ou Hussein Al-Barghouti, dans « Je serai parmi les amandiers »), plus d’insolence (comme dans « Le temps qu’il reste », « La fiancée syrienne » ou maints autres films récents sur la Palestine) et moins de « bons sentiments », il aurait fallu du cœur palpitant mis à nu, que diable !… A dessein, seuls des textes non théâtraux sont évoqués pour éviter toute comparaison injurieuse pour un auteur dont on a beaucoup aimé « Le soleil des Scorta ». Peut-être est-il d’ailleurs meilleur dans le récit que dans l’écriture théâtrale ?
Sur le site Internet, dans une enquête commanditée par le Centre de Ressources de la Culture en Lorraine sur l’impact du Théâtre sur Bussang et sa région, publiée en mars dernier, la Parole des spectateurs répétait, avant la saison de cet été : « Surtout ne changez rien… continuez comme ça… préservez la particularité de ce théâtre et de son ambiance… ».
L’habit certes n’a heureusement pas changé. D’ailleurs, il est patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais le projet théâtral semble, lui, avoir visiblement profondément muté. Ne veut-on pas aussi changer le nom de « Théâtre du Peuple » (sans oublier « par l’Art et pour l’Humanité ») en « Théâtre populaire », comme on en ferait un centre d’éducation ?
De grâce qu’on veille à ne pas donner leur congé à l’âme et au cœur de ce lieu splendide et unique au nom d’un intellectualisme prétentieux et chagrin qui transformerait Bussang en théâtre élitiste provincialisé…
Tout ce qui s’exprime ici, dans un média-citoyen libre, ne reflète bien sûr qu’une opinion, mais celle-ci est, nous le parions, partagée par d’autres spectateurs assidus ( des avis recueillis à chaud le confirment), amoureux des lieux et amateurs toujours curieux et fidèles des événements qui s’y déroulent. Que serait d’ailleurs la parole de certains si elle n’était libérée « pour l’art et pour l’humanité » ! « Théâtre du Peuple » pour le peuple, bon sang !
Catherine Barasch
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