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Camus l’homme révolté, enrobé dans la révolte artiste

A l'occasion de l'année sainte Albert Camus, le Monde réédite un hors-série (HS :18H, septembre, novembre 2013) sur ce philosophe de « la révolte et de la liberté », où Bernard-Henri Lévy, en l'an de grâce 2010, lui taillait un portrait en « philosophe artiste », ainsi, par la même occasion, qu'en jeune ancien nouveau philosophe. Pourtant, malgré ses engagements constants, Camus ne cherchait ni l'action politique ni l'enseignement philosophique.

Camus n'a jamais cherché que la vérité, celle qui, depuis qu'elle n'a plus de statut « existentiel » ni de visage, c'est-à-dire, depuis qu'elle est existentiellement niée par la violence des logique de propagande, n'a d'autre alternative que de se réfugier à l'abri d'une raison « publique » manipulée par l'intérêt privé, dans son refus des alternatives réductrices « de résultat ».

Mais la part obscure, plus ignorée encore aujourd'hui qu'hier, si dérangeante et inadmissible pour le néo-puritanisme de gauche gouvernant nos esprits d'une main de fer, Camus ne s'en est jamais caché, il en a même fait son arme favorite de combat. Part obscure, évidemment liée à la vérité traquée, comme « barbarie », et réfugiée sans abri des « temps nouveaux ».

Les hommes et les femmes de gauche dont il rêvait tout haut qu'ils se lèvent, c'était par l'esprit qu'il osa croire qu'ils pouvaient encore le faire, ce qui est absolument sacrilège et « collabo », pour une gauche qui ne sortira jamais du marxisme, puisqu'elle en est un pur produit. Camus dut réfléchir longtemps avant de « lancer » l'Homme Révolté, comme l'un plus grand défi à « l'époque », qu'il ne voulait cependant, en aucun cas, trahir, qu'il aimait et revendiquait.

Mais l'Homme Révolté n'est toujours pas lu, ni surtout pris en compte par ceux à qui il avait été adressé. Si on prétend s'intéresser à Camus, et encore plus l'aimer, et s'il n'y a qu'un seul livre de lui à lire jusqu'au bout, c'est celui-là et aucun autre. Voilà une vérité « tranchée »...par Camus lui-même, dans un sens direct et indirect. L'Homme révolté est toujours relégué dans l 'obscurité des maudits, comme si leur démarche aspirait à cette obscurité « infernale ».

« (…) les décisions que j'ai dû prendre, et qui, pour moi, comptaient le plus – celle d'écrire l'Homme Révolté par exemple – ont été des décisions solitaires et difficiles. Ce qui a suivi aussi. » (Essais, la Pléiade, 1965, p. 1904, Le pari de nos générations, interview, 1957).

Quiconque a un minimum de « respect » pour Camus, et « Dieu » sait si cette « chose » devait compter pour lui, ne peut pas, s'il veut vraiment lui rendre « hommage », en cette année sainte, ne pas lire cette œuvre majeure, et pas seulement de son siècle, alors que tout est encore fait pour en dissuader tout homme de gauche « qui se respecte », au « double sens », autoritaire comme au libertaire. Il y a là plus qu'un devoir de mémoire, il y a un appel qu'il serait plus que « déraisonnable » de taire plus longtemps : il y a, comme il y eu de son vivant, une sorte d'exécution sommaire intellectuelle (« ce qui a suivi »).

Camus cherchait la vérité plus que tout le reste, passionnément ET raisonnablement.

« (…) Je n'ai pu me résoudre à cracher, comme tant d'autres, sur le mot d'honneur. (…) je sais instinctivement que l'honneur est comme la pitié, cette vertu déraisonnable qui vient prendre le relais de la justice et de la raison devenues impuissante. » (Interview citée plus haut, p.1900)

Voilà exactement ce que pensait celui que Sartre (comme le rappelle honnêtement BHL), son « ami », traitait de « petit voyou d'Alger, très marrant, très truand » (HS18, cité plus haut).

Cette vérité dispersée, à laquelle Camus aspirait « naïvement », aujourd'hui plus encore qu'hier (un siècle et demi de nihilismes), n'a pas encore fait son « come back » ou son « coming out », comme disent les nouveaux précieux ridicules. Dispersée à coup de bombes à fragmentation, d'analytiques pluralités écartelantes autant qu'étincelantes, utilisent tous les paradoxes sociologiques de la modernité freudiste, pour renverser toute situation d'unité première, comme tout accord entre hommes et femmes, les subvertir et les convertir en des icônes quadrillées d'eux-mêmes, dans une caricature de plus en plus grimaçante, intellectuellement fascisante.

« Je me sens d'abord solidaire de l'homme de tous les jours. Demain le monde peut éclater en morceaux. Dans cette menace suspendue sur nos têtes, il y a une leçon de vérité. (…) Et la seule certitude qui nous reste est celle de la douleur nue, comme à tous, et qui mêle ses racines à celle d'un espoir entêté. » (cité plus haut, p.1899)

***

Comme James Dean, le révolté sans cause, Camus est un produit « jeune » mort jeune. Il est pourtant celui qui déclara, (outre ses sentiments pour sa mère, et par là, il rejoint Kerouac) avant sa mort, qu'il n'était « pas sûr d'être moderne. » (Dernière interview d'Albert Camus, La pléiade, 1965, Essais p. 1927), Il est à parier que si des Tee-short « dérivés » sortaient, ils ne porteraient pas cette phrase sur leur cœur de cible.

Il faut laisser la philosophie aux propagandistes modernes des idées. L'art de Camus consista essentiellement à ne pas être philosophe, non dans une philosophie nouvelle de l'art.

« Dans l'oeuvre d'art (…) à quelle valeur êtes vous le plus sensible ? » demandait t-on à Camus en 1959 (Essais, la Pléiade, p.1922). La réponse est toujours la même, laconique : « La vérité. Et les valeurs de l'art qui les reflètent. » La vérité dit Camus, pas les vérités ou la vérité philosophique, c'est absolument clair.

Dans le cas de Camus, et pour introduire une réflexion « légère » à la suite de la lecture d'un BHL cherchant à reconstruire un couple idéal-type Sartre-Camus permettant une quadrature du cercle par le bas (matérialiste), dire, avec l'indifférence qui sied : on a affaire là à une sorte de bilan et d'étude de marché très raisonnable et somme toute très vendeuse. Camus marche, il suffit de réorienter l'opinion vers le produit existentialiste « moderne », dont il s'écarta pourtant assez rapidement, pour faire éclater les scores et rassembler toute une modernité intellectuelle consensuelle, mais en mal de repères.

Quelques remarques cependant pour ceux qui ne se satisfont pas de la messe médiatique en cours, qui ne fait que prolonger un peu plus, mais plus « raisonnablement », ce qui a été fabriqué dans l'opinion, dès le départ, mais qu'il faut mettre à jour pour désamorcer complètement ce héros naïf, un peu trop intelligent, sur le fond, et peut-être, heureusement, un peu trop « jeune ». Des remarques senties, pas des remarques argumentées comme un plan de vente : quand on est camusien de cœur, il est trop tard pour passer à l'ennemi : la raison a des raisons...

Ces légères remarques ne proviennent pas d'une humeur passagère ou autre, mais d'un approfondissement pur et simple de l'Homme Révolté, ouvrage qui n'a d'ailleurs pas échappé à BHL. Un BHL très « renversant » finalement. Mais qui dans son « imitation » moderne de Jésus Christ, trahit lui-même un matérialisme très néo-spiritualiste. L'Homme Révolté ne lui a pas échappé, mais il veille très religieusement, en bon philosophe pour classe terminale, à ce que rien ne s'en échappe. L'exercice de style a le grand mérite de la clarté. Notre approfondissement « essentialiste », non argumenté, intuitif, obscur, aura aussi le mérite d'une « clarté » au moins déclarée. Déclaration possible, aujourd'hui, grâce à la « ruse » de Camus. Si nous nous en sortons, et rien n'est moins sûr, nous serons de cette échappée, ni plus ni moins. L'oeuvre de Camus est un ouvrage au clair, tout autour de l'obscur.

***

Il arrive que le barbare naturaliste soit plus proche de Dieu que le théologien humaniste de gauche.

Emmanuel Mounier, figure d'une certaine résistance, aussi, dans son « Affrontement chrétien », rejoint Camus-Nietzsche.

Le problème a été, est et restera celui de la Nature, à laquelle aucun « droit naturel » ne sera plus jamais reconnu. Interdiction donc de recouvrer quelque intégrité que ce soit, par principe.

Déjà, Dieu l'avait dévastée dans son principe, avant que l'Histoire ne l'agenouille, au nom de la liberté humaine « créatrice ». Il fallait finir le travail de cette jouissance du mal.

Ainsi, tout défenseur de la Nature tombera toujours sous cette double malédiction divine, et ne peut être considéré que comme un traître métaphysique à l'Homme, ce pourceau et cette hyène « dénaturés », le plus souvent, mais pas dans le sens que l'on croit.

Il ne peut pas y avoir de « concept » plus « tragique » que de considérer la Nature comme bonne, à cause de cette ancienne malédiction, même et surtout, modernisée. Cette « naïveté » est la source la plus tragique de vérité. Source condamnée.

Cependant les mauvais naïfs demeurent ceux qui considèrent la nature comme une « absurdité » majeure, responsable de tout, une pure injustice en soi, sans voir le rôle humain, dans ses « scandales ». Leur naïveté est la source des plus grandes barbaries d'une l'Histoire amnésique réécrite, non pour le pouvoir même, mais pour le profit que l'on tire de cette naïveté-même. Cette contre-nature est l'origine de toute contre-initiation. « Camus, qui ne se consolait pas qu'il n'y ait « plus de Delphes où se faire initier ». (HS18, p. 16)

L'acceptation raisonnable et raisonnée de Camus de la Nature, comme celle d'Emerson, par exemple, qu'admirait Nietzsche, est fondée sur une acceptation « pure et simple », non séparatiste, non analytique (ni catholique ni protestante), de « ce qui est », au départ, par delà le bien et le mal.

Mais la Nature n'est pas complète si elle n'est pas achevée et parachevée, et donc orientée et élevée par la Culture, qui est sa destination « méditerranéenne » éternelle, malgré toute valeur « nordique », dont elle rejoint, d'ailleurs, les aspects positifs, en profondeur.

Ce que la pensée pense, quand elle est légitime, c'est l'impensé et l'impensable, sinon elle n'est que mécanisme, c'est à dire le non-fabriqué par la main ou la pensée de l'Homme, justement. Deux outils de son esclavage, dès qu'il renie les sources essentielles de son humanité solaire.

Il y a un curieux paradoxe inexcusable à présenter et représenter ce « pouvoir » humaniste social, négateur et exterminateur de toute Nature, comme une transcendance humaine, alors que son geste descend sous la barbarie naturelle la plus « ordinaire ».

Qui veut faire l'ange fait la bête, remarqua il y a déjà quelques temps, un observateur révolté du système, avisé de la « situation », puisqu'il est considéré comme l'un des pères du fameux « existentialisme », et qui avait peut-être senti « intuitivement », au sens spirituel du terme, que la Raison et le Bien suprême allaient un jour transformer le « parc humain » en élevage industriel, ce contre quoi Camus se battit jusqu'au bout.

A la question de savoir ce que les critiques avaient négligé de son œuvre, Camus répondit (Dernière interview, p.1925) :

« – La part obscure, ce qu'il y a d'aveugle et d'instinctif en moi. La critique française s'intéresse d'abord aux idées. (….) »

La critique française ne changera pas : l'idée est un produit « contrôlé ». La part obscure dont prétend parler BHL, dans son affaire de couple philosophique infernal, n'est pas une part obscure : elle n'a que la trop voyeuriste banalité d'un boulevard intellectuel survolté par le vertige de son propre néant humain, au sens camusien du terme. En ce sens objectif, elle rejoint malheureusement Sartre, dans son « amitié » avec « le jeune maître » à penser, celui qui affirmait dans le désert :

« (…) Je ne parle pour personne : j'ai trop à faire pour trouver mon propre langage. Je ne guide personne : je ne sais pas, ou je sais mal où je vais. Je ne vis pas sur un trépied : je marche du même pas que tous dans les rues du temps. » (Pléiade, p.1925)

Ce même Camus, qui affirmait aussi que l'un des aspects les plus incompris de son œuvre était aussi l'humour. Nous dirions plus : l'humour noir, sa seule faiblesse « surréaliste » peut-être !


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3 réactions à cet article    


  • Ouallonsnous ? 14 octobre 2013 19:11

    Merci à l’auteur s’il souhaite que l’on considère son article d’aller chercher ses sources autre part que chez les BHL et autres propagandistes mainstream de la « pensée » unique !


    • Darkhaiker Darkhaiker 14 octobre 2013 21:36

      Cet article n’a pas été fait dans le but d’être considéré : la considération ne fait pas l’intelligence, en général elle la défait, plutôt. Il est bon que la considération ne soit pas trop proche du respect (un peu comme la respectabilité pour le respect), au risque de le salir.


      Mais dans celui d’essayer d’amener un débat autour de deux ou trois réalités que les gens de « considération » se plaisent et se complaisent à nier.


      Ce qui est intéressant ce n’est pas la personne de BHL, aussi respectable qu’une autre, en soi, mais ce qu’il dit, et derrière ce qu’il dit, ceux qui lui soufflent son texte, toujours les mêmes depuis un demi siècle.


      Mais là encore, ceux-là n’ont d’intérêt que par leur position sur une ou deux vérité. Le reste n’est que politique, sans intérêt, quand il s’agit de culture, au sens traditionnel : le pouvoir d’un groupe ne fera jamais une seule vérité véritablement humaine.


      Le pouvoir d’un groupe n’engendre qu’une opinion sociologique.


      Comme disait Ferré : « Quand on pense en rond, on a les idées courbes. » Le mérite de Camus fut de rester solidaire, malgré la distance de l’idéologie. De ne jamais se séparer des principes.


      Cordialement.


    • Darkhaiker Darkhaiker 15 octobre 2013 10:42


      « A mon avis, les solitaires sont aujourd’hui dans les partis totalitaires. » (Dernière interview d’Albert Camus)

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