Charlton Heston c’était aussi Soleil vert !
Le décès d’une des plus grandes figures d’Hollywood hier nous rappelle, en dehors du fait que le cinéma de carton-pâte de Cecile B. DeMille ne peut plus se faire aujourd’hui de la même manière, ordinateurs aidant, que les hommes eux-mêmes ne sont pas fait tout d’un bloc et ne peuvent se résumer à une simple caricature. Pour Heston, pourtant, dont on retient avant tout la mâchoire carrée et les épaules musclées et huilées du conducteur de char de Ben-Hur, la cause est entendue pour tout le monde. Et pourtant...
L’homme, à l’image d’un Clint Estwood confiné dans le rôle d’Harry Callahan, le policier flingueur au Smith&Wesson Modèle 29, était un Américain plutôt porté vers la défense des valeurs traditionnelles américaines, y compris et surtout celle du besoin incompressible qu’ont les Américains de posséder individuellement une arme, voire plusieurs à partir de 12 ans, par exemple, en Virginie : l’homme était en effet devenu au fil du temps le président de la très influente NRA, la National Rifle Association, qui défend bec et ongles le droit à tout Américain de posséder un pistolet ou un véritable arsenal individuel. Un homme sur la sellette ces dernières années avec la multiplication du nombre de cas de massacres ayant pour origine l’usage irraisonné de ces armes à feu. Un homme montré sévèrement du doigt sinon ridiculisé par Michael Moore, dans une scène restée célèbre de son film Bowling for Colombine. Trop âgé et atteint surtout de la maladie d’Alzheimer, déclarée chez lui en 2001, il avait quitté la direction du mouvement sans pour autant garder un œil sur son fonctionnement, ayant été nommé membre honoraire à vie. Il n’a pas à s’en faire, le mouvement survivra longtemps encore à sa disparition : le second amendement de la constitution américaine intronise le port de l’arme à feu pour tout individu, et le lobbying des marchands d’armes, aux Etats-Unis, n’est pas près de s’arrêter. Un simple coup d’œil sur les séries TV américaines (et autres) démontre avec brio que leur action est efficace : pas une série sans un holster ou sans qu’on dégaine un P-38, l’Automag 44 monstrueux d’Eastwod étant soit passé de mode, soit plus difficile à cadrer dans la mise en scène. Et ce ne sont pas les futurs candidats à la présidence qui vont prendre le risque de l’interdiction. Trop dangereux électoralement !
Mais, bizarrement, Heston n’a pas toujours été comme cela : il a même été ardent démocrate dans sa jeunesse, engagé dans des actions non violentes, a milité pour les droits civiques dans les années 50 et, en 1963, il a même marché sur Washington en compagnie du pasteur Martin Luther King ! Mais il a surtout aussi participé à la réussite d’un film qui demeure un bien plus grand chef-d’œuvre que Ben-Hur, à savoir Soleil vert (Soylent Green) de Richard Fleischer. Fleischer, le fils du créateur de Betty Boop, disparu lui en 2006, qui a réalisé entre autres Les Vikings avec un autre monstre d’Hollywood, Kirk Douglas, est un réalisateur marquant, qui a tâté intelligemment de la science-fiction avec son Voyage fantastique (1966), avec Raquel Welch, dont un remake tardif avec Dennis Quaid (L’Aventure intérieure, 1987) peut aussi se laisser regarder, Quaid y apportant une verve et un humour salvateur. Son dernier film est aussi un film de SF, Call For space (où il retrouvait un Charlton Heston plus que vieillissant et la dernière apparition de James Coburn !), et l’un de ses plus grands succès étant l’adaptation particulièrement réussie de Vingt mille lieux sous les mers (1954), avec Kirk Douglas, James Mason (et Peter Lorre, un autre très grand monstre sacré !). Fleischer a aussi réalisé le méconnu Mandingo (1975) produit par Dino de Laurentiis, une fable très violente mais assez sensationnelle sur l’esclavage et le racisme dans le sud des Etats-Unis, avec un extraordinaire James Mason cette fois. Pour en revenir à Charlton Heston, en 2003, déjà malade, il avait été récompensé de son "fauconisme" à la tête de la NRA par un W. Bush qui lui avait décerné la plus haute distinction civile aux Etats-Unis, la Médaille présidentielle de la liberté, titre qui sonnait bizarremment pour quelqu’un qui s’était autant aliéné avec les armes à feu.
Des films aussi fondamentaux que Soleil vert, sur le thème de l’écologie, il n’y en a pas beaucoup : si l’on souhaite aborder pleinement avec des adolescents ou des collégiens le problème du réchauffement planétaire, c’est soit le film d’Al Gore, soit Soleil vert, censé se passer en 2022, époque qui se rapproche à grands pas. Ce dernier, disponible depuis longtemps en DVD en location ou à l’achat, se trouve aujourd’hui très facilement, il n’y a donc pas à hésiter pour se le procurer. Présenté partout dans les années 70 comme une vision pessimiste du monde, le réchauffement climatique en cours lui donne aujourd’hui une notoriété certaine que d’aucuns avaient pressentie dès la sortie, pourtant. Le film fait aujourd’hui davantage figure de visionnaire et de véritable film d’anticipation, car au réchauffement s’ajoutent les lois coercitives sur les individus comme celles apparues sous W. Bush au nom du Homeland Security. Nous ne sommes plus qu’à 14 ans de l’échéance fixée il y a 35 ans par Fleischer. A noter que Les Simpson dans trois épisodes différents en ont fait une savoureuse satire, ou la mort souhaitée du détenteur du secret de fabrication de la nourriture est détournée façon Simpson, puisque c’est un iPod géant qui est utilisé par le grand-père pour visualiser les bribes d’image d’un monde qui a disparu.
D’autres films aussi fondamentaux peuvent aider à la réflexion sur le monde et son avenir : la plus belle fable sur le racisme par exemple est bien Le Jour où la Terre s’arrêta (1951), du très grand Rober Wise, faite en pleine période maccarthyste. Et bien d’autres encore. Hollywood possède donc bel et bien des ressources inépuisables à qui sait les trouver. A vous de retenir simplement aujourd’hui que Charlton Heston n’a pas toujours été du côté des faucons dont il est devenu l’icône incontournable sur la fin de sa vie. Et n’a pas joué que Moïse, Ben-Hur, saint Jean-Baptiste ou Antoine. Tout le monde a le droit de se tromper dans la vie, le condamner de façon abrupte, le concernant, serait ignorer cet homme à deux vies diamétralement opposées. Soleil vert est une œuvre fondamentale, bien davantage que les films en carton-pâte des années 50 si bien décrites dans le livre hilarant de Noël Howard Hollywood sur Nil. Un petit détail révélateur d’un certain état d’esprit, pour terminer : quand on a demandé à notre président actuel quel film il préférait, il a automatiquement cité... Ben-Hur :
"Il parle de sa première émotion de cinéma. Ben-Hur. Avec Charlton Heston, celui de 59, hein, pas l’autre... quand je l’ai vu au Kino, ça faisait quatre ans qu’il était à l’affiche. Quatre ans, aujourd’hui un film ça reste quoi ? Trois semaines à l’affiche ?".
Comme quoi, malgré la 3D, certains en sont restés à l’époque du carton, à Cécile B. DeMille, en pensée comme en rodomontades belliqueuses afghanes. Il aurait cité Soleil vert qu’on aurait peut-être pu croire au Grenelle de l’environnement et surtout à l’application effective de ses principes. En citant Ben-Hur, écrit par un général américain en 1880, il nous faisait comprendre que c’était la conduite seule du char de l’Etat qui l’intéresse, pas obligatoirement l’Etat ni le bonheur de son peuple, à foncer tête baissée vers une société à la Soleil vert, plus si dystopique que cela.
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