Cinéma français : toujours plus de réalisatrices
Comme chacun sait, la littérature de notre pays a été marquée, depuis des années, par l’avènement, au côté des auteurs reconnus, de romancières de grand talent, dans le sillage de quelques grands noms du passé. Plus machiste, le cinéma français a longtemps résisté à la conquête du 7e Art par les réalisatrices...
Mise à mal dès les années 90 par l’émergence d’une génération de femmes bien décidées à s’imposer derrière la caméra, cette résistance a désormais volé en éclats. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’en remettre à l’inventaire de la centaine de films français programmés en cette année 2013. 32 d’entre eux sont en effet signés par des réalisatrices. Quelques-unes, comme Agnès Jaoui ou Danielle Thompson, connaissent déjà une belle notoriété et ont déjà inscrit sur leur CV des œuvres de qualité, voire des films de référence. D’autres, à l’image de Justine Triet ou Rebecca Zlotowsky, ont encore à faire durablement leur place dans ce milieu exigeant et surtout à convaincre le public de leur talent et de l’originalité de leur propos. Mais une chose semble évidente : la parité dans la mise en scène cinématographique sera désormais très vite atteinte, et l’on ne peut que s’en réjouir, eu égard à la sensibilité différente des femmes sur des questions comme les relations familiales, les rapports amoureux ou le regard porté sur la politique et la guerre.
Il est bien loin le temps de la Saint-Mandéenne Alice Guy, cette pionnière méconnue. Elle fut pourtant la toute première réalisatrice planétaire du 7e Art, la première à mettre sur la pellicule un film de fiction en 1896 (La fée aux choux)*, un an après les premières projections des frères Lumière. Alice Guy fut également la première femme à créer une société de production. Durant 17 ans, elle resta la seule femme « metteur en scène » dans le monde du cinéma.
Bien loin également le temps de la prolifique Germaine Dulac (de son vrai nom Charlotte Elisabeth-Germaine Saisset-Schneider), auteure d’une trentaine de courts et moyens métrages. Parmi eux, en 1923, La souriante Mme Beudet dont les 32 minutes constituent le premier film féministe de l’histoire du cinéma, Germaine Dulac étant elle-même une militante engagée de la cause des femmes.
Plus près de nous, Agnès Varda a marqué à son tour l’histoire du cinéma, et cela dès les années 50 en mettant en scène La Pointe courte, alors que le machisme de la profession ne s’était toujours pas démenti : une femme ne pouvait être qu’actrice, scripte ou monteuse. Quelques années se passèrent ensuite avant qu’elle réalise ses premiers grands films : Cléo de 5 à 7 (1962) et Le bonheur (1965).
Tout a changé avec Mai 1968 sur fond de barricades et de jets de pavés. Le féminisme était alors porté par la vague de fronde qui avait saisi le pays, et de nombreuses professions se sont progressivement ouvertes aux femmes. Cela a notamment été le cas du cinéma des années 70, dans le sillage de Marguerite Duras et Nelly Kaplan qui, dès 1969, réalisaient leur premier long-métrage : l’oublié Détruire, dit-elle, éponyme du roman de l’écrivaine, et surtout le film-culte La fiancée du Pirate, porté par la regrettée Bernadette Lafont. De ces années, l’on retient en outre les noms de Yannick Bellon (L’amour violé), de la sulfureuse (pour l’époque) Catherine Breillat, romancière et réalisatrice érotique (Une vraie jeune fille), Ariane Mnouchkine (1789, Molière), et une jeune femme talentueuse nommée Coline Serreau, future réalisatrice de Trois hommes et un couffin.
De nombreuses autres réalisatrices se sont ensuite imposées à l’affiche des salles obscures. Parmi elles, et par ordre alphabétique, Zabou Breitman, à qui l’on doit le très émouvant Se souvenir des belles choses, Julie Delpy, scénariste et réalisatrice du pétillant Two days in Paris, Valérie Donzelli, elle-même en scène dans le déchirant La guerre est déclarée, Pascale Ferran, auteure d’une adaptation réussie du thème périlleux de Lady Chatterley, Nicole Garcia, à qui l’on doit, avec Le fils préféré, un film d’une grande sensibilité, Valérie Guignabodet, réalisatrice, avec Monique, d’un premier film gonflé sur une histoire de poupée en silicone, Jeanne Labrune dont le style très personnel est parfaitement illustré par Ça ira mieux demain, Noémie Lvovsky, récompensée récemment par le très large succès de Camille redouble. Maïwenn, remarquable derrière la caméra dans l’éprouvant Polisse, Tonie Marshall, seule femme ayant décroché le César de la réalisation (en 2000 pour l’excellent Vénus beauté institut), sans oublier Laetitia Masson qui, en signant Pourquoi (pas) le Brésil ? livrait une belle réflexion sur la création artistique.
D’autres réalisatrices se sont également fait un nom durant les deux dernières décennies. On les retrouve dans la programmation de cette année 2013, mêlées à des nouvelles venues dont certaines sont sans aucun doute appelées à faire une belle carrière dans la mise en scène :
Hélène Fillières : Une histoire d’amour, quelque peu improbable, entre Benoît Poelvoorde et Laetitia Casta. Sorti le 9 janvier.
Stéphanie Murat : Max, avec Mathilde Seigner, Joey Starr et la craquante Shana Castera qui, du haut de ses 6 ans, veut offrir une prostituée à son papa. Sorti le 16 janvier.
Léa Fazer (suisse) : Cookie, ou l’embarras de deux sœurs, Alice Taglioni et Virginie Efira, à qui une bonne chinoise a laissé son fils. Sorti le 23 janvier.
Anna Novion : avec Rendez-vous à Kiruna, le thème abordé est la découverte de lui-même par un architecte (Jean-Pierre Darroussin) confronté à la mort d’un fils qu’il n’a pas connu. Sorti le 30 janvier.
Brigitte Rouän : Tu honoreras ton père et ta mère. Malgré une belle maison en Grèce, Nicole Garcia, Éric Caravaca et Gaspard Ulliel ne parviennent pas à distiller autre chose que de l’ennui. Sorti le 6 février.
Nolwenn Lemesle (1er film) : Des morceaux de moi, quête d’identité, dans une famille aux ressorts usés, d’une jeune fille qui filme tout ce qui l’entoure. Avec Zabou Breitman, Tchéky Karyo et l’étonnante Adèle Exarchopoulos. Sorti le 13 février.
Agnès Jaoui : Au bout du conte. La vie, l’amour, les rencontres, sur fond de contes enfantins. Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri et Agathe Bonitzer. Sorti le 27 février.
Anne-Marie Étienne : Sous le figuier, une leçon de vie donnée par une vieille dame de 95 ans, avec Giselle Casadessus Anne Consigny, Jonathan Jaccaï et Marie Kremer. Sorti le 13 mars.
Anne Fontaine : Perfect mothers, ou la relation amoureuse (tirée d’une histoire vécue par le Prix Nobel de littérature Doris Lessing) de deux femmes avec le fils de l’autre. Avec Naomi Watts, Robin Wright. Sorti le 27 mars.
Marie-Dominique Dhelsing : avec Pierre Rabhi au nom de la Terre, la réalisatrice signe un documentaire puissant sur un homme hors du commun, tout à la fois paysan, philosophe et écrivain. Sorti le 27 mars.
Danielle Thompson : Des gens qui s’embrassent, une famille en déshérence dans un film manifestement raté. Avec Kad Merad et Éric Elmosnino. Sorti le 3 avril.
Françoise Charpiat (1er film) : Cheba Louisa, comédie sociale sur fond de racines maghrébines et de musique chaâbi, avec Rachida Brakni Isabelle Carré. Sorti le 8 mai.
Camille de Casabianca : L’harmonie familiale, un réveillon de Noël qui prend une tournure inattendue avec l’arrivée d’un invité surprise. Avec Georges Corraface, Sophie Deschamps. Sorti le 29 mai.
Josiane Balasko : Demi-sœur, ou la relation d’un pharmacien psychorigide qui voit débarquer une demi-sœur attardée mentale. Un film éreinté par la critique. Avec Josiane Balasko, Michel Blanc et Brigitte Rouän. Sorti le 5 juin.
Agnès Obadia : Josephine, sur fond de relation fantasmée d’une fille callipyge et frustrée (Marylou Berry) avec un riche chirurgien brésilien. Sorti le 12 juin.
Marion Vernoux : quelle vie lorsqu’on part en retraite ? Fanny Ardant y apporte une réponse dans Les beaux jours avec la complicité de Patrick Chesnais et Laurent Lafitte. Sorti le 19 juin.
Diane Kurys : Pour une femme, où Mélanie Thiery découvre l’existence d’un oncle énigmatique dont le passé va faire ressurgir des secrets de famille. Avec Benoît Magimel et Nicolas Duvauchelle. Sorti le 3 juillet.
Justine Malle : Jeunesse, titre en contrepoint pour les derniers mois de la vie de Louis Malle racontés par sa fille, étudiante en khâgne. Avec Esther Garrel et Didier Bezace. Sorti le 3 juillet.
Claire Denis : Les salauds. L’histoire glauque d’un commandant de supertanker volant au secours de sa sœur, désemparée par le suicide de son mari et la faillite de son entreprise. Avec Vincent Lindon, Chiara Mastroianni et Julie Bataille. Sorti le 7 août.
Fabienne Godet : Une place sur la Terre, improbable (mais très belle) rencontre d’un photographe désabusé et d’une pianiste suicidaire. Benoît Poelvoorde, Ariane Labed, Max Baisette de Malglaive. Sorti le 28 août.
Rebecca Zlotowsky : Grand central, une histoire d’amour contaminée sur fond de centrale nucléaire. Avec Tahar Rahim, Léa Seydoux et Olivier Gourmet. Sorti le 28 août.
Axelle Ropert : direction le quartier chinois de Paris avec Tirez la langue, mademoiselle. Cédric Kahn et Laurent Stocker y incarnent deux frères médecins amoureux de la mère d’une jeune patiente, Louise Bourgoin. Sorti le 28 août.
Claire Simon : Gare du Nord, un lieu où l’on vit, où l’on se croise, où l’on tombe amoureux. Avec Nicole Garcia, François Damiens et Reda Kateb. Sorti le 4 septembre.
Emmanuelle Bercot : Elle s’en va, un road-movie breton taillé sur mesure pour Catherine Deneuve. Sorti le 18 septembre.
Justine Triet (1er long métrage) : La bataille de Solférino, ou les déchirements d’un couple (Laetitia Dosch et Vincent Macaigne) sur fond de victoire de Hollande à la présidentielle et de liesse devant le siège du PS. Sorti le 18 septembre.
Isabelle Czajka : La vie domestique met en scène le refus d’une femme, Emmanuelle Devos, de se plier au conformisme de ses voisines dans cette banlieue résidentielle. Aevc Julie Ferrier, Natacha Régnier et Laurent Poitrenaux. Sorti le 25 septembre.
Marion Hänsel (belge) : avec La tendresse, Olivier Gourmet et Marilyne Canto se livrent à une introspection de leur couple sur fond de road-movie entre Bruxelles et les Alpes. Sorti le 2 octobre.
Arielle Dombasle : c’est sous la forme d’une comédie musicale, Opium, que l’on découvre la relation amoureuse inaboutie de Jean Cocteau et Raymond Radiguet. Avec Grégoire Colin, Samuel Mercer et Arielle Dombasle. Sorti le 2 octobre.
Marianne Lamour : La ruée vers l’Art, ou les arcanes internationales d’un milieu gangréné par la spéculation et la course aux profits. Sorti le 16 octobre.
Isabelle Doval : Fonzy, dans lequel José Garcia se découvre le géniteur de... 533 enfants, avec Audrey Fleuriot, sortie prévue le 30 octobre.
Valeria Bruni Tedeschi : Un château en Italie, histoire d’amour sur fond de décadence d’une famille de la grande bourgeoisie italienne. Avec Louis Garrel, Valeria Bruni Tedeschi et Filippo Timi. Sortie prévue le 30 octobre.
Valérie Lemercier : 100 % cachemire, tel est l’univers dans lequel vit le couple Valérie Lemercier et Gilles Lellouche avant l’arrivée d’un petit garçon russe. Autres acteurs : Marina Foïs, Bruno Podalydès, Anne Le Ny. Sortie prévue le 11 décembre.
Katell Quillévéré : Suzanne, ou le destin d’une jeune fille, très tôt mère, jusque dans le prétoire d’un tribunal. Sara Forestier y est, paraît-il, exceptionnelle. Autres acteurs : François Damiens et Anne le Ny. Sortie prévue le 18 décembre.
En avril 2013, le magazine du net Première écrivait ceci : « En France, la question de l'inégalité femmes-hommes derrière la caméra fait toujours débat. » Et, de fait, La sélection officielle du Festival de Cannes ne comptait qu'une seule femme : Valéria Bruni Tesdeschi, réalisatrice du film « Un château en Espagne ». Un déséquilibre manifeste qui a conduit le groupe d'action féministe La Barbe à dénoncer, à juste titre, ce festival comme « sexiste ». A l’appui de cette accusation, un chiffre spectaculaire, communiqué par le collectif des femmes à barbe : « Depuis 1946, les hommes ont représenté 97 % de la sélection officielle ». En une phrase, tout est dit sur l’évidente ségrégation qui perdure à Cannes, malgré la place de plus en plus grande des réalisatrices dans le paysage cinématographique français. Thierry Frémaux, délégué général du Festival, saura-t-il aller dans le sens de l’histoire ou continuera-t-il à nier 50 % de l’Humanité en persistant à pérenniser le sexisme de la profession ? Réponse dans quelques mois...
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