Dans les petits papiers (sales) de Zahi Hawass
Le lamentable état de deux célébrissimes sites du Caire, le Musée égyptien et les pyramides de Gizeh, pose des questions sur la gestion quotidienne des monuments égyptiens. Et les réponses semblent aller dans le même sens : en Égypte, aujourd’hui, on se préoccupe surtout de la gloire de Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités. Avant que demain, le soleil du nouveau Grand Musée égyptien éclipse son orgueil pharaonique ?
Pathétiques pyramides
Indémodable destination touristique, sous étroit contrôle policier depuis quelques années déjà, l’Egypte fait toujours rêver les Occidentaux. Première visite, incontournable, les pyramides du plateau de Gizeh (Giza), aux portes du Caire. On y accède en car ou en taxi, à travers d’interminables faubourgs. Si vous avez choisi le taxi, il ne vous déposera pas directement à l’entrée mais chez les marchands de bricoles (pyramides en plastique made in HK et sphinx en caoutchouc pour la cheminée) qui cernent le bord est des complexes funéraires. Voilà pour l’entrée en matière. À la porte du site, on acquitte la taxe d’entrée, tellement élevée (50 livres, plus cher encore que l’accès à la Vallée des Rois, à Thèbes) qu’elle ne peut correspondre qu’à un site particulièrement bien entretenu, suppose-t-on. Or l’endroit n’est propre qu’en apparence : au moindre recoin, dans un mastaba, dans le temple inférieur de Kephren par exemple, le vent a entassé les déchets des hommes, papiers, bouteilles, canettes. Ce n’est pas forcément le touriste qui est responsable, le phénomène est le même dans la ville du Caire, partout, sauf dans l’hypercentre, on bute sur des tas d’ordures, il y en a aussi plein les terrasses et les toits. Les abords du chemin de fer sont incroyables à cet égard mais revenons aux pyramides, première merveille du monde antique : elles sont aussi une grande poubelle du monde moderne.
Reflets de métal dans le désert
Alors, le regard se tourne vers l’ouest, vers le désert. Que de chameaux : une caravane ? Non, des Égyptiens qui harcèlent le touriste pour l’emmener quelques dizaines de mètres dans le sable et lui donner l’impression qu’il arrive sur le site après une longue traversée depuis les oasis du désert libyque. Effet aventurier du Sahara... On ne peut d’ailleurs faire un pas sans être interpellé par les loueurs de chameaux qui semblent tolérés absolument partout sur le site. De faux guides et des vendeurs de babioles diverses arpentent eux aussi les chemins empruntés par les touristes. Les chemins ? En effet, une route goudronnée (rare dans le pays) serpente entre les pyramides, permettant notamment aux cars de tourisme de se garer... aux pieds mêmes de Kephren ! Il ne semble pas acceptable d’imaginer les touristes sortir de leur car climatisé, arrêté sur un parking extérieur, pour ensuite être obligés de marcher cent mètres jusqu’aux pyramides. Mais, en fait, qui se plaint de la carrosserie qui jouxte la deuxième pyramide ? Pas les Russes, tout en coups de soleil et maillots de bain, qui viennent, pour un jour, des stations de la Mer Rouge...
Gizeh, la planche à billets
Autre bonne surprise de Gizeh : le Sphinx est aujourd’hui entouré d’une barrière dissuasive. Mesure de protection ? Non, puisque des touristes grimpent sur ses vénérables pattes restaurées. Mais pas n’importe quels touristes : ceux qui ont payé un nouveau droit d’entrée pour franchir la barrière. Tout comme il faut repayer pour pénétrer dans le musée hideux qui défigure un versant de la pyramide de Khéops et qui abrite l’incroyable barque du pharaon. Ne pouvait-on créer ce musée cinquante mètres plus loin ? Un autre billet encore (le quatrième !) est vendu à l’entrée de la pyramide elle-même, pour ceux qui aiment cheminer en rangs d’oignons, tête à cul littéralement, dans un couloir étroit et éclairé aux néons qui bourdonnent. Effet Indiana Jones... Au fait, peut-on grimper sur les pyramides, comme on le voit faire sur les photos anciennes ? En théorie, c’est interdit, mais ça ne résiste pas à un bakchich. Les policiers semblent présents uniquement pour figurer sur les photos aux côtés des visiteurs (contre bakchich, ne soyez pas naïfs). On ne trouve un peu de paix qu’auprès de Mykerinos, plus petite pyramide des trois, qui forcément n’intéresse personne et qui demande une marche de cent mètres. Voire cent cinquante ! On voudrait s’écarter plus mais le désert n’est plus seul à l’horizon où apparaissent des chantiers de construction ou des amas de ferraille destinés aux spectacles de sons et lumières. Alors, on lui tourne le dos, comme le Sphinx, condamné à regarder l’infini délire urbain du grand Caire.
Un musée indigne
Retour au Caire, forcément, pour l’autre « indispensable » curiosité pharaonique, le Musée égyptien. Ah oui, comme dans Blake et Mortimer ! En effet... À l’époque où E.P. Jacobs dessinait ses albums, au début des années cinquante, le bâtiment et sa muséographie très dix-neuvième étaient déjà obsolètes. Installé en 1902 dans une grande chose rose conçue par un architecte français sur la place Tahrir, en hypercentre, le Musée égyptien peut passer pour un musée des musées. On n’a touché à rien depuis cent ans, semble-t-il : des milliers d’objets sont entassés dans des dizaines de pièces, sans valorisation, sans éclairage. La poussière recouvre tout. L’étiquetage est hautement aléatoire : absent, incomplet, effacé, jamais pareil. Soudain, une section donne l’illusion d’un travail récent : c’est une exposition temporaire, non accessible sans un complément monétaire... Pour rester honnête, soulignons que ce musée permet de découvrir beaucoup d’œuvres célèbres. Mais combien d’autres dorment dans ce grand foutoir et dans ses caves ? Pas loin de deux cent mille... Ce musée égyptien « Al-Mathaf » laisse une impression de gâchis très similaire à l’amertume qui nous touchait en quittant les pyramides de Gizeh. Doit-on accepter que trois millions de visiteurs annuels paient pour cela ? Est-ce que deux lieux aussi importants dans le patrimoine de l’humanité ne méritent pas plus de considération et d’entretien ? Une partie de la réponse se cache à la librairie du musée : on y trouve surtout les livres d’un certain Zahi Hawass. Enfin, c’est lui qui signe mais où trouverait-il le temps d’écrire ?
Pharaon Zahi premier
On apprendra tout sur le docteur Zahi Hawass en explorant l’épique site voué à sa gloire : www.zahihawass.com. Zahi est partout, il fait tout, il autorise (rarement), interdit (tout le temps). Il explore la Grande Pyramide à l’aide de matériel sophistiqué mais visiblement, il ne connaît pas le balai. Il découvre des sarcophages incroyablement beaux un peu partout (sans se casser le dos à fouiller), il transfère des momies de la cave au labo, se lance sur la piste des pharaons et reines perdus dans les Amériques, identifie à l’intuition une momie royale quand les caméras sont là. « For the first time, we will make these dead mummies come alive », lance-t-il. Zahi décide de qui peut entrer dans quelle tombe de la Vallée des Rois, où il se réserve le droit de photographier : ses éclairages à lui n’abîment pas les fresques. Et puis, il décide que dorénavant, Toutankhamon sera visible dans un cercueil de verre. « King Tut »... C’est son favori. Récemment, il a réinventé l’énigme de sa mort. Il ne manque pas de vues personnelles sur le destin d’Hatchepsout non plus. Énergique, le tout-puissant secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités. Agressif aussi, quand il s’en prend à Christiane Desroches Noblecourt, pourtant aujourd’hui une vieille dame sénile, ou quand il réclame le retour en Égypte des plus belles pièces archéologiques. Rendez-les moi ! Non ! Prêtez-les moi, je vous les rendrai, c’est promis. Non plus ! Parce que Zahi en a besoin pour son grand projet : l’exposition fabuleuse qui marquera l’ouverture du nouveau Grand Musée égyptien, à 2,5 kilomètres des pyramides. Ce sera en 2009, non en 2010, bon, on parle plutôt aujourd’hui de 2012 au mieux.
Le grand projet
Le Grand Musée d’un demi-milliard de dollars au minimum, celui des momies royales, du trésor de « Tut », avec son haut mur lumineux en albâtre. Et le trésor de Tanis, la barque solaire, 100 000 objets exposés, 50 hectares... Un site est consacré au GEM (Grand Egyptian Museum), qui reprend tous les chiffres : www.gem.gov.eg. Le projet a déjà tout un passé, notamment le transfert d’une statue en granit de Ramsès II depuis une place devant la gare du Caire pour le hall du nouveau site dans le désert. Le convoi était dirigé par Zahi, qui reprenait, selon ses termes, « certaines techniques des anciens Égyptiens ». Est-ce parce que ce projet de GEM existe que l’on ne fait pas grand-chose pour l’ancien musée, sans pour autant le destiner à la casse ? C’est la question à cent balles... Mais alors, si Zahi ne récupère pas le buste de Néfertiti et la pierre de Rosette, comment va-t-il faire ? Il a réponse à tout : on fera des copies virtuelles. On ne peut lui donner tort quand il dénonce le trafic d’antiquités égyptiennes (pour plus de 40 millions de dollars en dix ans chez Sotheby’s New York, par exemple). Mais Zahi veut mettre la main sur tout, y compris les pièces célèbres qui sont conservées dans les musées occidentaux depuis des décennies : pierre de Rosette du British Museum, buste de Néfertiti à Berlin, buste du prince Ankhhaf aux États-Unis, le zodiaque de Dendera actuellement au Louvre. Et les ramener dans leur « patrie ». Il menace d’arrêter la « coopération scientifique » si on ne lui « prête » pas les pièces. Pour l’instant, ses menaces ne fonctionnent pas vraiment : le pouvoir de Zahi, directeur des pyramides de Gizeh et de Saqqarah, s’arrête aux frontières du pays. Polémique, porté sur la controverse et le merveilleux, égotique évidemment, Zahi aura-t-il le dernier mot : « I am damn good. I am doing all this for Egypt and nothing else » ?
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