Epicure, un maître hédoniste, un précurseur ou bien un triste moraliste ?
Un lecteur avisé un tant soit peu cultivé à bien évidemment entendu parler d’Epicure, même s’il ne sait que fort peu de la pensée et des théories de ce philosophe antique. Epicure est avec Machiavel, le Prince de la liberté, un des philosophes dont on a le plus déformé la pensée et les enseignements. Certes, Machiavel ne parle pas de plaisir et encore moins de sexualité, mais de liberté, et pourtant son nom est lié pour beaucoup au despotisme comme celui d’Epicure aux plaisirs. Epicure était-il un véritable jouisseur ? Rien n’est moins sûr. Il n’est qu’à se reporter à une lecture même non exhaustive de l’œuvre qu’il a laissé et à la narration de son existence. Et cette œuvre et cette vie ne peuvent être analysées hors des courants de pensée de son temps. La civilisation grecque, bien que non contaminé par la culpabilité chrétienne ne s’exonérait cependant pas d’une morale. Comme pour chaque auteur non contemporain, les raccourcis vers notre époque ne peuvent être qu’hasardeux et imparfaits, car hors contexte. Il est cependant tentant de remettre Epicure au cœur de la réflexion contemporaine, tant il reste moderne sous certains aspects.
Épicure est un philosophe grec atomiste et empiriste dans la lignée de Démocrite, né à Samos ou à Athènes, en -341 et mort en -270. Il est l’inventeur d’une théorie philosophique inspirée de son nom. La doctrine d'Épicure peut être résumée dans le tetrapharmakon ou quadruple-remède : Il ne faut craindre ni les dieux, ni la mort ; on peut atteindre le bien et supporter la douleur. On est donc loin de la jouissance à tout prix et du plaisir effréné des grands buveurs, des partouzeurs et des amateurs de grande bouffe. Epicure se lance plutôt dans la recherche d’une harmonie à moindre mal.
Pour être heureux, il faut assurément accéder à la sagesse. Mais cette sagesse n’exclut en rien le fait de s’adonner au plaisir. Cela semble simple à dire, plus difficile à appliquer. D’abord s’affranchir des dieux, ce qui envisage une approche athéiste ou du moins une indifférence à la volonté divine. Ensuite concevoir que le bonheur ne peut avoir lieu que sur terre et qu’il n’y a pas d’âge pour cela. « Il faut donc méditer sur ce qui procure le bonheur, puisque, lui présent, nous avons tout, et, lui absent, nous faisons tout pour l'avoir. ». Epicure, Lettre à Ménécée. La croyance étant superstition, il n’y a aucune raison d’avoir peur des dieux, mais il n’y a également rien à en espérer, ni récompense, ni vie éternelle. L’homme ne peut compter que sur lui-même et de son vivant. Ne point craindre la mort, non plus, car elle n’est qu’une mutation physiologique, un changement d’état de la matière et que les dieux n’ont pas à intervenir dans un haut-delà mythique. « Habitue-toi à penser que la mort n'est rien par rapport à nous ; car tout bien et tout mal est dans la sensation : or la mort est privation de sensation. ». (Id).
Le bonheur est donc plus qu’un art de vivre, c’est une philosophie. Et si Epicure vante les plaisirs charnels qui réjouissent les sens, il ne s’agit pas pour autant de débauche, de vulgarité et d’excès. Il recherche plus la qualité que la quantité, définition qui convient à l’actuelle conception de l’hédonisme, du grec, hêdonê, plaisir. Est-il sincère, ou timoré, édulcorant son propos, ou croit-il en une harmonie « atomiste », une recherche d’absence de douleurs, ce qui sous-entend aussi absence de débordements ? L’homme sage distinguera donc les plaisirs naturels et nécessaires, ce qui exclut de se bâfrer ou trop boire, en un mot, ne pas se laisser déborder par ses sens. Epicure se présente donc comme un adepte de la modération et de la prudence. Et il ne croit pas non plus au plaisir donné par le pouvoir, l’argent et les honneurs, car il ne voit en cela rien de naturel et encore moins de nécessaire. C’est ce que le philosophe qualifie de désirs vains. Sigmund Freud est dans ce domaine tout ce que l’on veut sauf un épicurien tant il se montre avide de gloire, d’argent et de pouvoir dans son domaine d’élection. Pour employer une terminologie moderne, l’épicurien est un abstentionniste de la classe moyenne à sensibilité centriste. Une espèce de François Bayrou apolitique et agnostique qui se contenterait et se satisferait de tomme des Pyrénées accompagnée d’un petit pichet et de belles lettres. Epicure donne la priorité à la réflexion et au contrôle de soi, donc à la raison. Un épicurien pur et dur peut donc paraître un être timoré qui évite, s’il ne craint point, la douleur tant physique que morale, en se plaçant le moins souvent possible dans une situation inconfortable par crainte de ses dérives. La sagesse évite la prise de risque, pourrait-on retenir comme enseignement.
« Par plaisir, c’est bien l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’âme qu’il faut entendre. Car la vie de plaisir ne se trouve point dans d’incessants banquets et fêtes, ni dans la fréquentation de jeunes garçons et de femmes, ni dans la saveur des poissons et des autres plats qui ornent les tables magnifiques, elle est dans la tempérance. » (Ibid.)
L’épicurien recherche un plaisir tranquille qui ne débouche pas sur des inconvénients. Il envisage un bonheur équilibré qui évite toute possibilité de souffrance. Il utilise à cette fin le terme d’ataraxie, (ou absence de trouble) que l’on peut considérer comme un plaisir négatif. On pourrait parler de petit bonheur étriqué, sans engagement et sans danger. Epicure aurait pu être un adepte du safe sex, du régime alimentaire allégé et équilibré (crétois ou non) ainsi que du respect du code de la route et de l’autocensure s’il avait vécu à notre époque. Un Epicure devisant sur le plaisir devant un plat de cinq légumes et ses bienfaits ne serait pas forcément anachronique de nos jours en France. Sa quête est celle du bonheur à minima débouchant sur une existence tranquille loin de l’agitation et des excès.
Cependant, Epicure, contrairement à l’opinion généralement répandue, n’est pas le philosophe de la jouissance, mais celui de la modération, nous l’avons déjà souligné. Sa pensée peut être considérée comme parallèle au bouddhisme dans le sens qu’il prône une sorte de renoncement à l’excès, mais il considère en même temps la croyance comme une superstition. Nous avons remarqué que de nos jours, Epicure serait de mentalité centriste, mais sans véritable engagement politique, il mangerait frugalement du fromage accompagné d’un verre de vin, mais ne se permettrait ni cuite carabinée, ni orgie, ni pétard. Tant Epicure que Bouddha sont des tièdes, des animaux à sang froid et l’on retrouve autant cette attitude dans le concept de plaisirs nécessaires et naturels que dans le renoncement oriental. La plupart des philosophes grecs ne sont d’ailleurs que des moralistes tristounets, Platon ayant été in fine récupéré par les penseurs chrétiens satisfaits par l’aboulie des sens. Les seuls vrais jouisseurs de pensée grecque sont Aristippe de Cyrène et ses disciples dont les textes ont été repris par Michel Onfray, « l’invention du plaisir », ainsi que quelques gnostiques masturbateurs et copulateurs originaires de Samarie et installés à Alexandrie, dans la lignée de Carpocrate avec l’alibi mystique pour justifier leurs débordements sexuels.
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