Est-il réellement possible de penser l’art ?
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Est-il possible de penser l'art ? De tenir un discours philosophique sur les productions artistiques quelles qu'elles soient ?
Pour penser les choses, il est bienvenu, et même nécessaire de les conceptualiser. Le fait de conceptualiser l'oeuvre d'art est déjà problématique, hors mis le fait que le concept soit une abstraction intellectuelle et que l'oeuvre soit une production humaine matérielle, que l'on saisit par les sens, comment penser la si grande diversité de productions que nous connaissons ? Peut-on penser une peinture renaissante comme l'on penserait une peinture rupestre ? Il semble difficile d'articuler un concept, qui semblerait bien rigide. Comment appliquer un concept, une définition universelle à l'expérience sensible et subjective que l'on fait d'une oeuvre ?
Sans oublier la portée dangereusement ethnocentriste et anachronique du concept d'art. L'Histoire de l'Art, la Critique, l'Esthétique, sont des disciplines européennes, la conceptualisation de l'art telle que nous la connaissons est occidentale, en plus d'être relativement récente (L'esthétique en tant que discipline philosophique apparaît officiellement aux alentours du XVIIIème siècle). Revenons sur les peintures préhistoriques, que nous qualifions d'art. Sont-elles réellement art ? Que savons nous de leur réelle destination ? Un autre exemple, les productions de Grèce antique, que nous nous accordons assez facilement à qualifier d'objets d'art, d'oeuvres. Supposons déjà que nous ayons une conception commune de l'art, n'oublions pas qu'à l'époque, le statut d'artiste n'était pas reconnu, l'artiste étant assimilé à l'artisan, et que même si les grecs s'adonnaient alors à une réflexion sur la beauté et établissaient des canons, les productions que nous appelons "artistiques" se plaçaient à l'époque sous le concept de technè qui ne correspond pas à notre concept actuel. L'artiste est même méprisé par le philosophe Platon, qui ne voit en lui qu'un créateur d'illusions nuisible à l'homme, de plus l'expérience esthétique échappe au rationnel, ce qui attise la méfiance du penseur. Il en était de même pour le statut de l'artiste et de ses productions au moyen âge, qui se voyaient reléguées au rang des arts mécaniques (considérés comme inférieurs aux arts libéraux). En plus de son décalage temporel, le discours sur l'art est aussi difficile à tenir lorsqu'il s'agit par exemple de production provenant de sociétés tribales ; têtes réduites, objets rituels en tout genre, crânes trophées... Nous avons pertinemment que ces objets ne sont pas art, ou du moins il ne le sont pas pour les sociétés dans lesquelles ils ont été produits, ces objets avaient pour la plupart un vocation mystique, ou même simplement fonctionnelle. N'est-ce pas leur faire violence que de les arracher à leur fonction première pour les poser comme oeuvre d'art, avec tout ce que cela peut impliquer ? Ou peut être alors que c'est le discours sur l'art qui rend l'art possible, qui désigne en tant qu'art un objet en le distinguant de l'activité de laquelle il dépend (notons que cette théorie pourrait être applicable pour les ready made duchampiens) ?
Nous venons d'aborder le supposé danger du concept d'Art à l'européenne, seulement, ce concept existe-t-il réellement ? Y a-t-il une définition commune de l'Art ? Tout porte à croire que non. Là encore se pose toute la difficulté de problématiser, de conceptualiser, plus clairement de rationaliser l'expérience sensible, l'idée esthétique pou reprendre les mots de Kant. La difficulté d'établir un concept commun semble donc assez claire. Qu'en est-il alors de l'opinion de la doxa quant à la définition de l'art ? Pour ne pas faciliter les choses, elle est clairement contradictoire. On attend de l'art qu'il soit une reproduction fidèle du réel (difficile dans le cas de la musique par exemple, qui établit un répertoire de forme qu'elle crée elle même, des formes qui n'existaient pas avant elle puisqu'elle n'est en rien rattachée à la matière), parallèlement, ou devrais-je dire paradoxalement, on exige de l'art qu'il reflète la beauté (passons sur le fait que ce concept non plus n'est pas communément admis)... La beauté étant une idéalisation, peu importe sous quelle forme, elle ne peut pas être le reflet du réel. Le discours sur l'art viserait il à clarifier ses contradictions plutôt qu'à conceptualiser une bonne fois pour toute ce que l'on met sous l'étiquette "art" ? Après tout, conceptualiser l'art de façon ferme et définitive ne serait-ce pas prendre le risque de figer une pratique en constante évolution ?
Enfin, que penser de peintres qui ont eux mêmes tenus des discours sur leur propres oeuvres ? Citons, par exemple, Kandinsky, qui a écrit sur sa pratique artistique. Le fait de venir compléter son oeuvre par un discours n'est-ce pas avouer en quelque sorte une certaine faiblesse ? L'oeuvre n'est-elle pas assez forte ? A-t-elle besoin d'explications supplémentaires pour être reçue ? Cela signifie-t-il que l'oeuvre n'est pas auto-suffisante ?
La complexité de la réflexion sur l'art demeure inextricable, penser l'art semble périlleux, plein d'approximation, et pourtant, ces discours sont toujours d'actualité... Eventuellement par ce que l'art n'existerait pas sans un discours qui l'accompagnerait et permettrait au spectateur de l'identifier comme tel ?
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