« Et Nietzsche a pleuré » ou quand Philo rencontre Psycho
Quand la philosophie rencontre la psychanalyse, du moins la pré-psychanalyse, on craint les profondeurs dans lesquelles on risque de tomber, de se perdre et de se décourager. Eh bien non ! « Et Nietzsche a pleuré », le livre d’Irvin Yalom évite les embûches du genre et se lit comme un roman passionnant(Ed. Galaade).
Le Dr Breuer,
sommité du monde médical, est très intéressé par l’âme humaine et la relation
qu’elle entretient avec le corps. Il est en proie lui-même à moult
questionnements existentialistes. Bourgeoisement bien marié, il est une
personnalité établie de la société viennoise. Ah ! j’oubliais, il a pour
ami un jeune médecin en formation, souvent admiratif pour son aîné, mais déjà un
peu obnubilé par de curieuses idées sur l’esprit de l’homme. Le nom de cet
inconnu, Sigmund Freud.
Poussé - à son insu - par
la machiavélique Lou Andréas Salomé dans le cabinet du Dr Breuer,
Frédéric Nietzsche dévoile sa nature, sa remarquable intelligence, ses
doutes et, surtout, le rapport avec son corps martyrisé par de longues périodes
de maladie. Humain, trop humain, qu’il devient le moustachu avec sa
misanthropie presque pathologique, la hantise de ses rapports aux femmes et ses
terribles maux de tête !
Alors, sous la plume de
Yalom, les deux hommes du XIXe siècle se livrent à une confrontation
intellectuelle étourdissante, inventant ce qui deviendra une nouvelle science
médicale : la psychanalyse. Notre philosophe en devenir fait ressortir “les vestiges de terreur surnaturelle profondément enfouis”
dans l’esprit du docteur pré-psy. Qui se venge en arrachant une larme finale de
doute au philosophe endurci... qui a peur de mourir seul. Une rencontre de
titans, entre un philosophe qui “comprend son
malheur et l’accepte” et un docteur qui consent à ouvrir son esprit
pour mieux soigner l’autre. Deux titans qui se renforcent en s’affaiblissant.
Qui guérit qui ? Deux auto-analyses de... folie, je vous dis !
Qui donc a inventé la
psychanalyse ? Freud ? Breuer ? ou... Nietzsche ? Allez ! disons le premier, en
piochant chez les deux autres. Quelle est la science première de l’esprit, la
philosophie ou la psychologie et ses dérivés ? Pour l’amoureux de philosophie
que je suis, l’étude de l’homme dans son humanité passe bien avant celle de
l’homme examinant son nombril défaillant ; mais cela est un autre sujet.
Quelques extraits
Nietzsche
- Peut-être que mon corps et ce “moi” (sa psyché) ont ourdi
un complot dans le dos de mon propre esprit.
- Ce qui ne tue pas me rend plus fort [...] C’est
pourquoi je vous répète que ma maladie est une bénédiction.
- Aurai-je la capacité de lui apprendre à
transformer le “cela fut” en “c’est ce que j’ai voulu” ? dit-il en parlant du Dr Breuer. C’est le “deviens
ce que tu es” pindaro-nietzschéen. Amor fati.
Et ceci, d’une grande poésie : - Il faut porter du
chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse.
Breuer
- On ne choisit pas, à proprement parlé, une
maladie ; en revanche on choisit bel et bien l’angoisse, et c’est l’angoisse
qui se charge de choisir la maladie !
- Dans
votre coma vous avez prononcé certaines phrases. Dont : “Aidez-moi !” Vous
l’avez répétée plusieurs fois.
- Si un ami
est malade, offre asile à sa souffrance ; pour lui, une couche dure, un lit de
camp.
- Qu’ai-je appris ? Eh bien, peut-être à
vivre l’instant présent afin qu’à 50 ans je ne contemple pas mes
40 ans avec des remords. Et aimer le destin
Et cette merveilleuse phrase de Yalom dans laquelle Nietzsche finit par se
dévoiler :
Si mes larmes parlaient, elles
diraient : “Enfin libres !”
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