Instruments à vents dans les voiles du jazz
Si le piano a joué un rôle majeur dans l’évolution du jazz, un rôle aussi important revient aux instruments à vent. A l’origine le saxophone n’était pas un instrument de jazz. Puis Coleman Hawkins "inventa" le saxophone : première révolution. Une deuxième révolution suit : la naissance du swing avec à sa tête le clarinettiste Benny Goodman. Ensuite ? La trompette de Gillepsie et le Be-Bop, celle de Miles Davis et le Hard-Bop...

Les instruments à vent ont bousculé les modes et se sont toujours portés à l’avant-garde du jazz. Voici leur histoire, illustrée de nombreux liens sonores.
Les années 1920 : Coleman Hawkins "invente" le saxophone :
Alors que le blues et les negros spirituals demeurent, ils donnent naissance au jazz qui prend des formes diverses dont le ragtime (musique noire au piano), genre dans lequel s’illustre Scott Joplin. L’apparition du phonographe permet l’enregistrement du premier disque en 1917 et c’est la naissance officielle du jazz ! La transformation du ragtime en jazz s’est opérée avec l’orchestre de King Oliver (dont fera partie Louis Armstrong) et la musique de Jelly Roll Morton et de ses « Red Hot Peppers ».
Le style de jazz dominant alors est le style Nouvelle-Orléans, porté par des orchestres où tous les musiciens improvisent simultanément. Les solos sont rares. Le style Chicago est assez proche du style New Orleans, mais avec des solos et l’usage du saxophone.
Le vrai inventeur du saxophone n’est pas le Belge Adolphe, Sax mais le jazzman Coleman Hawkins. Ce dernier, surnommé Bean, sortira le saxophone de l’oubli et lui offrira une seconde naissance, créant un son qui est encore celui du jazz d’aujourd’hui. Membre du Fletcher Henderson Band dès 1923. Il invente une nouvelle manière de jouer du saxo et il en fait un instrument soliste incontournable.
Ecoutez des titres de Coleman Hawkins :
When lights are low
Body and soul
Les années 1930 : ça swingue avec la clarinette de Benny Goodman !
Les riffs (répétitions prolongées de courtes phrases mélodiques de 2 ou 4 mesures derrière le soliste), comme « King Porter Stomp » annonçaient déjà le swing. Mais le swing proprement dit ne prend son essor que dans les années 30. C’est une musique sur laquelle le monde danse et qui vient concurrencer les bigs bands de l’époque (orchestres de douze à vingt musiciens).
Mais, dans le Sud des Etats-Unis, on ne danse pas sur le swing car c’est une musique de nègres. Cette musique y est interdite dans les lieux publics.
Le roi du swing sera donc Benny Goodman, joueur (blanc) de clarinette. Il est aussi le premier chef d’orchestre blanc à braver la ségrégation raciale en présentant en vedettes des musiciens noirs. Il marque l’année 1935 où il apparaît avec son orchestre dans le film Le Roi du swing.
Ecoutez des titres de Benny Goodman :
Get Happy
My Melancholy Baby
Autre titre recommandé I Got Rythm
Les années 1940 : le Be-Bop s’impose avec la trompette de Gillespie et le saxo de Parker
Le Be-Bop est l’œuvre du saxophoniste alto Charlie Parker (« Bird ») et du trompettiste et joueur de trombone Dizzy Gillespie (Dizzy : le louftingue). La section rythmique devient l’égale de la section mélodique. Pour la mélodie, le Be-Bop s’inspire des harmonies de Debussy et de Ravel. Pour la rythmique, un tempo de plus en plus rapide s’impose, s’éloignant de la musique de danse. Des batteurs tels que Kenny Clarke se font remarquer en marquant ce tempo endiablé sur leur cymbale. Mais les musiciens du Be-Bop font preuve d’intolérance envers les autres formes musicales, ce qui fera naître des dissidences.
Ecoutez des titres de Dizzy Gillespie :
Groovin’ High (sa composition préférée)
A Night in Tunisia
Salt Peanuts
Anthropology
Ecoutez des titres de Charlie Parker :
Moose the Mooch
Confirmation
Cheryl
A écouter aussi : " Klackto-veesedtene" et ses blues à 12 mesures.
Les années 50 : Saxos et trompettes, le « Hard » et le « Cool »
Le jazz cool est sorte de "jazz de chambre", calme et raffinée, toute en retenue et jouée par des musiciens blancs en recherche d’un style alternatif à l’exubérance du swing et aux stridences du Be-Bop. Le Cool est né sur la côte Ouest des Etats-Unis, d’où son nom de "style West Coast", courant musical porté à son apogée par le pianiste Ahmad Jamal (*).
Lester Young (saxo ténor, clarinette et trompette) fut un précurseur de ce mouvement. Rompant avec le style de Coleman Hawkins, son jeu se fit doux. "Ce chant de saxophone, mat, détimbré, presque sans vibrato sauf sur la dernière note de ses phrases doucement déchiquetées, donnait au crépuscule une beauté d’aube sur une deuxième planète, la nôtre, délivrée de la violence" (Michel Contat, Télérama du 2 juin 199). Lester Young inspira aussi Miles Davis.
Stan Getz, autre saxophoniste, produira des solos qui seront l’un des sommets du mouvement Cool. Il sera surnommé "The Sound" pour ses sonorités douces et claires.
Ecoutez des titres de Lester Young :
Pennies from Heaven
DB Blues
Autre titre recommandé : Stardust.
Ecoutez des titres de Stan Getz :
Early Autumn (dans un style qui lui a valu son surnom de "The Sound")
Autumn Leaves (Les Feuilles mortes de Kosma)
Billie’s Bounce
Le Hard-Bop, est un jazz qui se posera en réaction au Cool jugé fade. Marqué par un tempo plus lent que le Be-Bop, la part du rythme y est nettement plus marquée. Il a ses représentants célèbres : le trompettiste Miles Davis, le saxophoniste soprano John Coltrane (influence de Dexter Gordon), Thelonius Monk (*), le saxophoniste ténor Sonny Rollins (influence de Coleman Hawkins et surtout de Charlie Parker).
(*) voir mon article du 5 mai, « Ne tirez pas sur le pianiste de jazz », consacré aux pianistes.
Ecoutez des titres de Miles Davis (dans différents styles) :
Round about Midnight
My Funny Valentine
Ascenseur pour l’échafaud (extrait) :
So What !
(et l’album entier Kind of Blues !)
Ecoutez des titres de John Coltrane :
My Favorite Things
Blue Trane
Giant Steps
It’s Easy to Remember
Ecoutez des titres de Sonny Rollins :
The Night has a Thousand Eyes (devenu le générique de l’émission Bouillon de culture)
The Bridge
Don’t Stop the Carnaval
If ever I would Leave you
Les années 60 : révolte raciale et liberté musicale
L’African jazz cherche à se défaire de tout héritage occidental et à se rapprocher des racines africaines.
C’est l’apparition du Free jazz, souvent lié à des revendications anti-raciales des années 60. Charles Mingus en particulier se dépeint comme un homme perpétuellement en colère contre le racisme. Son morceau Fables of Faubus est une dénonciation du racisme du gouverneur de l’Arkansas. Le Free jazz revendique aussi la suppression de toute contrainte rythmique et harmonique, c’est l’improvisation absolue. Quelques représentants prestigieux : John Coltrane, Miles Davis, Charles Mingus (contrebasse), et Ornette Coleman, saxophone ténor (pas de titre recommandé).
Les années 70- 80 : fusion et village planétaire
Le Jazz Rock et le Jazz Fusion empruntent au rock certains de ses instruments, comme la guitare, la basse électrique, les synthétiseurs, mais aussi sa rythmique binaire. Quelques noms : Chick Corea (pianiste jazz rock), John Mc Laughin guitariste (jazz fusion).
A côté de ces mouvements très libres, certains opèrent un retour aux origines du jazz. Ainsi le trompettiste Wynton Marsalis qui s’emploie à promouvoir la musique de Jelly Roll Morton et de Louis Armstrong, et qui est très influencé par l’œuvre de Duke Ellington.
Wynton Marsalis : quelques titres recommandés :
Reprise de My Funny Valentine de Miles Davis, créations personnelles de Marsalis Angel Eyes, Gispy, Bitter Dose.
Conclusion :
Pour illustrer les années 1990-2000 et pour conclure (sans prétendre à l’exhaustivité), on peut citer le saxophoniste Archie Shepp (il est aussi chanteur et pianiste) dont il paraît impossible de définir le style sinon qu’il est très moderne.
Et par un coup de cœur : Sidney Bechet, l’indémodable clarinettiste cher au cœur des Français. Sidney Bechet s’était d’ailleurs installé en France après sa tournée triomphale de 1949.
Ecoutez des titres d’Archie Shepp :
Extrait de l’album Attica Blues
Quelques autres titres recommandés :
Sa version personnelle de Sophisticated Lady de Duke Ellington
L’album Trouble in Mind
Looking at Bird
Ecoutez des titres de Sidney Bechet :
Petite fleur
Les Oignons
Blues in Thirds
Blue Horizon
Autre titre recommandé : Out of the Gallion
Et ses interprétations multiples de Summertime et de Weary Blues.
Appel à tous les amateurs et passionnés pour compléter cette liste de joueurs de jazz à instruments à vent et pour communiquer leurs titres fétiches !
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