Je t’aime, moi non plus… et autres transferts et contre-transferts

Bien sûr, je plaisante, car le dernier film de Cronenberg est bien plus que cela ! Et va bien au-delà de la description historique qui retrace la rencontre, l’amitié, puis la rupture entre Freud et Jung. Bien au-delà également de cette triangulaire sulfureuse entre ces deux psychanalystes et Sabina Spielrein, cette jeune patiente hystérique qui deviendra elle-même psychiatre et psychanalyse, et formera bon nombre d’analystes en Russie plus tard, et qui apparaît clairement ici comme la source indirecte de leurs querelles théoriques, querelles qui cachent elles-mêmes bien d’autres enjeux...
Alors certes, « A dangerous method » est un film bavard, bien plus bavard que les films dont David Cronenberg nous avait habitués jusque-là ; ça parle, ça associe, ça interprète, ça réfléchit… mais Cronenberg est suffisamment malin pour faire passer plein d’autres choses (non-dits, ambivalences…) par le biais de sa mise en scène, avec une maîtrise d’ailleurs qui laisse très vite deviner, derrière l’apparence très corsetée de l’histoire et des personnages, des ombres et des enjeux de pouvoir (liés à plein de choses : milieu social, origine, culture, statut…), et qui permet aussi au spectateur de se prendre lui-même au jeu de la surinterprétation…
Au niveau technique, saluons le travail de découpage qui permet au cinéaste, en moins de deux heures, d’embrasser une dizaine d’années (l’histoire démarre en 1904 pour se terminer en 1914, à l’aune de la première guerre mondiale). Le travail de montage qui enclenche par moments certaines associations d’idées. Saluons aussi son choix, dans certaines scènes, de mettre au même niveau les visages pourtant placés dans des plans différents, ce qui permet de prêter attention aussi bien à celui ou celle qui parle qu’à celui qui écoute. Saluons le travail sur le son, qui bouscule aussi les images. Bref, saluons ce travail de réalisation parfaitement maîtrisé, qui, sur un film parlant de psychanalyse, crée une mise en scène originale de la parole. Car les mots ici prédominent, et ce sont d’ailleurs aussi les mots qui dérangent, provoquent éventuellement le scandale, étant donné qu’au niveau visuel, rien n’est montré, ou presque. Ce qui correspond finalement assez bien à cette époque où tout semble si bien verrouillé, qu’un simple mot fait mystère, voire peut tout faire déraper.
Le personnage que j’ai trouvé le plus émouvant dans le film, c’est Sabina Spielrein, parce qu’on l’a voit évoluer, prendre des risques, se métamorphoser, se libérer, prendre ainsi petit à petit contrôle sur sa vie. Et l’actrice Keira Kneightley apporte à Spielrein une réalité époustouflante ! (même si j’imagine que certains trouveront son jeu trop outrancier, surtout au début… mais bon, rappelons que c’était alors la réalité de l’hystérie). Et même si à la fin, on est un peu déçu de constater que Sabina Spielrein réintègre la norme des conventions bourgeoises.
Cronenberg a toujours été doué pour montrer l’envers du décor, la réalité qui se dérègle, et« A dangerous method » ne fait pas exception à la règle, même si la mise en scène est ici très classique. Mais ce classicisme peut être trompeur, et la photographie (notamment la beauté de certaines images, de certains plans, oniriques, limite irréels…) laisse deviner que derrière les débats théoriques, le calme supposé, les désirs obscurs refont surface, et la réalité est toute prompte à se dérégler. Jusqu’au climax émotionnel de la fin (rupture entre Freud et Jung), et l’ombre de la catastrophe annoncée par le rêve apocalyptique que Jung raconte à Spielrein (dans un décor idyllique qui laisse d’autant plus prendre conscience de l’horreur qui s’annonce).
Au final, film intelligent, parfaitement maîtrisé, très bien interprété, qui montre aussi ô combien que ce sont les expériences vécues, celles qu’on ose faire, même (surtout ?) si celles-ci nous mettent en danger, ainsi que les interactions avec les autres, qui permettent d’évoluer. Mais ce n’est pas, ceci étant, un de mes films préférés de Cronenberg. Car peut-être trop maîtrisé justement.
Enfin à voir quand même.
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