Plusieurs livres qui viennent de paraître posent le faux problème des critères de choix d’un sujet par l’écrivain.
Avant, nous avions droit au roman
de l’été. Aurons-nous désormais Le livre de la rentrée, le monstre qui, par une
magie bien orchestrée, que d’aucuns nomment vulgairement
« médiatisation », s’impose contre tous les autres et vient couvrir
les tables des libraires et les colonnes des journaux ? Ce fut
Houellebecq. Puis Jonathan Littell. Depuis 48 heures, on ne voit qu’eux,
partout, à la télévision, dans les journaux : Yasmina et Nicolas. À tel
point que je me pose une simple question : que sont devenues les 726
autres nouveautés de la rentrée ?
Sur le fond, et d’un point de vue
purement commercial, pardon, éditorial, tout cela est de bonne guerre : la
maison Flammarion (en association avec Albin Michel) réalise là un joli coup.
Rien à redire, c’est son métier. Le secret fut bien gardé, seuls quelques
privilégiés eurent les épreuves en main ; les autres durent attendre le
jour de l’office. Nous savions simplement que Yasmina Reza
a
passé une année auprès de Nicolas Sarkozy, ministre, puis candidat et
enfin président de la République ; qu’elle tirerait un livre de cette
promiscuité, et qu’elle avait carte blanche. Que la sortie coïncide
avec les
cent jours, la fin de ce que l’on nomme communément l’état de grâce ne
serait
que pure coïncidence. Dont acte, laissons à l’éditeur le bénéfice du
doute. Je
ne l’ai pas encore lu dans son intégralité ; des bribes, des extraits,
certains passages croustillants comme la rencontre entre deux
écrivains,
Nicolas Sarkozy et Marc Levy (double sic !), mais aucune révélation, une
compilation de choses vues et entendues, Nicolas par Yasmina, et des citations
d’auteurs qui tombent parfois comme un cheveu sur la soupe.
J’éprouve
néanmoins un malaise face à cet ouvrage non identifié qui aurait mérité de
l’être plus explicitement. Si c’est un récit, donc un reportage vécu à la Henri
Béraud, l’auteur est trop proche de son sujet pour ne pas être suspecté de
complaisance. Où est la vérité ? Certes, Yasmina Reza est dramaturge, de
talent, elle a le sens de la réplique et cherche donc la vérité dans le détail.
Mais cela reste « sa » vérité, celle de l’écrivain, qui sera toujours
différente de celle du journaliste rompu aux techniques de l’enquête avec tout
ce que cela sous-entend en termes d’éthique, de déontologie, de vérification
des sources, etc. Une vérité subjective ? Deux mots qui vont mal ensemble.
Un conseiller de Sarkozy n’avait-il pas d’ailleurs déclaré : « la
réalité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte » ?
Si ce sont des carnets de campagne, c’est un peu léger, très léger même, au
regard de tout ce que l’auteur a pu accumuler comme informations. De son côté,
l’éditeur présente l’ouvrage comme le « roman » d’une campagne. Et
ici, c’est le mot « roman » qui me gène dès lors que la frontière
entre le roman et le récit est la même qu’entre l’imaginaire et le réel. Si
c’est un roman, ce que laisse supposer le titre très énigmatique, L’Aube
le soir ou la nuit, quelle est la part de fiction ? Dans toute
fiction quelle qu’elle soit, le réel s’invite en permanence, et Sarkozy reste
vrai personnage de fiction... Disons donc que c’est un document à considérer
comme le regard d’un auteur (confirmé) sur un sujet (porteur). L’important
étant de ne pas tromper le lecteur, lui laisser penser que c’est la vérité, lui
donner pour argent comptant une réalité, passée au filtre de l’œil du
romancier. N’est pas Truman Capote qui veut. Et, s’il suffit d’ajouter le mot
« roman » à un document écrit, et pour peu que l’éditeur se
débrouille bien, Nicolas Sarkozy, qui ne déteste pas les honneurs, pourrait
bien se voir attribuer le Goncourt par procuration...
Reste qu’un écrivain a
parfaitement le droit de s’approprier un fait réel pour en faire une fiction,
dès lors qu’il n’y a aucune ambiguïté pour le lecteur. Ce n’est pas du goût de tout le
monde. Cela demande un certain recul, la conceptualisation aussi de la chose
littéraire. Les récents déboires de Pierre Jourde dans son village du Cantal
dont il s’était vaguement inspiré de certains habitants (d’ailleurs
interchangeables avec d’autres villages de nos provinces) en témoignent. Ou
encore Mazarine Pingeot et son dernier opus, Le
Cimetière des poupées (Julliard), dont je pensais qu’il ferait plus
polémique cet été, l’histoire d’une mère infanticide dans laquelle s’est
reconnu le couple Courjault sous prétexte qu’apparaît le mot
« congélateur » au détour d’un paragraphe... Mazarine Pingeot joue la
surprise, son éditeur parle de coïncidence, tout en présentant l’ouvrage sur
son site par cette phrase préliminaire : « Fiction ou fait
divers ? » Le déni de grossesse est une réalité, bien connue des
psychiatres, qui ne dépassera jamais la fiction. Pour preuve, cette affaire
d’Albertville qui vient d’éclater, cette mère qui avait entreposé par trois fois
ses bébés dans le congélateur de son appartement... Difficile dès lors pour la
famille Courjault de se prévaloir d’une quelconque « exclusivité »...
D’autres se sont essayés à la libre adaptation de faits divers, avec plus ou
moins de bonheur. Comment oublier le désastreux texte de Marguerite Duras, en
pleine affaire Villemin, ce texte nauséabond publié par Libération en
juillet 1985 à propos de la mère du petit Grégory : Coupable,
forcément coupable, expression passée désormais dans le langage
courant ? D’où la nécessité de traiter ce type de sujet avec discernement,
surtout lorsque des drames touchent des familles dans des affaires sensibles ou
non encore jugées.
L’écrivain à tous les droits,
donc. Mais aussi quelques devoirs, notamment celui d’annoncer la couleur. Tous
les sujets lui appartiennent. Ce qui n’est pas l’avis de Camille
Laurens qui a publié en 1995 un récit où elle racontait sa douleur
d’avoir perdu un enfant à la naissance. Voici qu’elle prend ombrage,
publiquement, dans un texte à paraître le 3 septembre dans La Revue
littéraire de Léo Scheer, de ce que Marie Darrieusecq
publie un roman, Tom est mort (P.O.L.), où il est question d’une femme
qui après le décès de son enfant continue de vivre avec lui, un sujet qui n’a
rien d’original en soi, si ce n’est dans la façon de le traiter. Un thème dont
personne n’a l’exclusivité. Et d’accuser sa consoeur de « plagiat
psychique » ! Et de se faire virer, non sans courage au regard
des tirages, par son éditeur, Paul Otchakowsky-Laurens.
Quand je dis que la littérature
n’est pas un métier de tout repos...