L’épopée Bob Dylan ou l’émergence fracassante des clichés...
... le chanteur engagé, le rock n’roll animal et le vétéran mystique
L’auteur-compositeur américain Bob Dylan fut l’un des premiers du genre à déchaîner les passions. De ses débuts comme chanteur folk « contestataire » à l’adoption de l’électricité, il a endossé différentes identités qui ont contribué à forger son mythe. Mais il est aussi à l’origine de nombreux clichés qui persisteront longtemps après sa carrière. Robert Allen Zimmerman ne mettra pas longtemps avant de succomber aux tentations pygmaliennes : dès 1959, alors qu’il n’a que 18 ans, il abandonne le patronyme familial pour le plus éclatant « BOB DYLAN ». C’est le début d’une carrière sans précédents, et riche d’enseignements.
Dylan fréquente alors les milieux contestataires étudiants, sort avec Joan Baez et participe des grandes utopies des sixties : c’est la grande époque du Civil Rights Movement. Le 28 août 1963, c’est la consécration : lors de la marche pour les droits civiques à Washington, menée entre autres par Martin Luther King, le public adopte son titre Blowin’ in the Wind comme hymne.
Devenu icône d’un mouvement à la fois culturel et politique, Dylan commence à nourrir le désir de s’épanouir au-delà des préoccupations terrestres du politique. Car Dylan n’est pas un monomaniaque du Folk contestataire : il admire aussi Rimbaud et envie sans doute son surplomb radical et sa quête de clairvoyance. La contradiction se fait jour avec fracas le 13 décembre 1963, lors d’un banquet organisé par le Comité de secours aux libertés civiques : Dylan, qui se voit remettre le prix Tom Paine pour son engagement, délivre un discours passablement éthylique dont l’acerbité n’a rien à envier aux punks. Il y dénonce l’hypocrisie de ces "vieux" qui financent le mouvement pour les droits civiques pour se "déculpabiliser" et, par son attitude, souligne la vanité de ce genre de cérémonies.
C’est encore en 64 qu’il rencontre les Beatles et que, d’après la légende, il découvre la drogue. Dylan commence alors à entamer une sorte de bras de fer avec ses fans. Il opère un changement de style, ses textes deviennent de plus en plus abstraits, poétiques et, enfin, sa guitare s’électrise avec son groupe The Band. Les fans de la première heure crient au scandale, Dylan est hué, boudé par son public, traité de "Judas" lors du concert du 17 mai 66 à Manchester. Mais il surmonte ça, "I don’t believe you, you’re a liar !", rétorque-t-il à son audience, et maintient sa ligne : "Let’s play fuckin’ loud" dit-il à son groupe. Les textes de cette période sont les plus aboutis sur un plan littéraire. Personne n’avait joué aussi fort. Marlon Brando s’en souvient d’ailleurs : "Les deux choses les plus bruyantes qu’il m’ait été donné d’entendre, c’est un train de marchandises en train de dérailler et Bob Dylan avec le Band"(1).
Dylan fréquente les beatniks, et particulièrement le poète Allen Ginsberg qui décrit son ami comme une "colonne d’air" avec qui "tout le monde voulait coucher" dans le documentaire No Direction Home de Martin Scorcese. La créativité littéraire et stylistique de Dylan atteint une sorte de paroxysme. La productivité s’accroît et les textes, volontiers abstraits et polysémiques, confinent au surréalisme. Dans Blonde on Blonde et Highway 61 revisited Dylan parle de femmes, de drogues, de sexe...ou pas. Le rock n’ roll animal qu’il est devenu codifie, martèle le sens, détourne l’usage des mots (voir par exemple les textes de Ballad of a thin man ou de Most Likely you go your way (and I’ll go mine)). L’animal est en sur-régime.
Dylan semble nous échapper. En juillet 66, sa moto se plante dans le décor. Il est grièvement blessé et disparaît pendant presque 3 ans.
Au début des années 70, il se consacre d’ailleurs à la vie de famille (à cette époque, il écrit Knocking on Heaven’s door ! ). En 75, il repart en tournée avec The Band et entreprend une grande synthèse folk-pop-rock-country. Les fans sont assagis, la tempête est oubliée, il partage à nouveau la scène avec Joan Baez. Dylan se fend même d’une nouvelle chanson contestataire : Hurricane, dédiée aux déboires judiciaires du boxeur Hurricane Carter.
Sa quête l’oriente alors vers le christianisme, auquel il se convertit en 1979 ! Dylan est un "born again". La suite est relativement convenue : perte de la foi, nouveaux albums, tournées. Dylan reste un mythe, mais ce n’est plus comme avant. L’époque n’a plus le cœur à l’effervescence, on entre dans les années 80...
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