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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > L’île en tant que prison ou lieu de relégation

L’île en tant que prison ou lieu de relégation

 Tout au long de l’histoire de l’humanité, des îles ont servi de lieu de déportation ou de pénitencier. Depuis l’île de Gorée, au Sénégal, point de départ d’un voyage sans retour vers les Amériques pour des milliers d’esclaves africains, de nombreuses îles ont été utilisées comme lieu de détention. Chacun garde en mémoire le bagne de Cayenne et la sinistre île du Diable qui vit passer le Capitaine Dreyfus, Guillaume Seznec et le légendaire Henri Charrière, plus connu sous le surnom de Papillon. Les amateurs de romans épiques se souviennent d’Edmond Dantès, alias Comte de Monte-Cristo, s’évadant du Château d’If. La Nouvelle-Calédonie pour sa part vit arriver après 1871 les Communards condamnés à l’exil dont leur égérie Louise Michel ! Tant de criminels, de bannis et de réprouvés ont croupi dans ces îles-prisons pendant des années. Certains y ont fini misérablement leur vie ou en sont sortis complètement usés et vidés de leur substance. On ne peut enfin faire l’impasse sur Guantanamo.

L’île est un lieu idéal d’incarcération, car le seul moyen de s’en échapper est la nage, à moins que l’on ne dispose de complicités. Parfois les eaux sont froides, ailleurs se sont les courants ou les requins qui empêchent toute velléité d’évasion. L’île choisie comme lieu de relégation est généralement déserte, sans population autochtone, n’abritant qu’une garnison ou une équipe de geôliers. Ce fut d’ailleurs l’erreur initiale des Anglais lorsqu’ils exilèrent Napoléon sur l’île d’Elbe, celle-ci étant trop proche des côtes italiennes et disposant d’une population dont on ne pouvait en permanence surveiller les mouvements.

On connaît la suite, Napoléon, après s’être intéressé momentanément au ver à soie, échappa aux Anglais, s’autorisant une escapade de 100 jours dont la Couronne britannique aurait bien aimé faire l’économie. Les Anglais échaudés, envoyèrent ensuite leur illustre captif à Sainte-Hélène qui avait l’avantage d’être située au milieu de l’Atlantique sud. Mais comme on n’est jamais trop prudent, les garnisons d’Ascension et de Tristan-da-Cunha furent renforcées pour éviter toute tentative de fuite impériale car ils voulaient à tout prix faire l’économie d’un second Waterloo.

L’analogie carcérale de l’île se retrouve pleinement dans le cas de la déportation sur une île déserte d’un Allemand accusé de meurtre dans les années 80 et que le gouvernement des Maldives ne savait où emprisonner. Il se retrouvât seul sur un îlot-prison attendant que la justice locale puisse statuer sur son cas. Mais peut-être aurait-il préféré le huis-clos oppressant d’une geôle des Maldives en compagnie d’autres détenus frustres et rébarbatifs, plutôt que de subir la relégation seul sur son îlot ?

Certaines petites îles sont de nos jours utilisées aussi comme lieu de déportation de criminels ou de transit, pour ne pas dire de confinement de clandestins ou de demandeurs d’asile, comme c’est le cas pour l’Australie dans les îles Christmas, ou en collaboration avec le micro-état de Nauru dans le Pacifique. C’est dans cette île perdue que le gouvernement australien a déporté récemment des réfugiés afghans. Ces îles ont du fait de leur insularité l’avantage d’éviter que ne se développe des révoltes de réfugiés ou de demandeurs d’asile déboutés comme ce fut le cas ces dix dernières années dans les camps de rétention continentaux de Woomera, Curtin et Port Hedland.

Le gouvernement australien a longtemps utilisé ces lieux de transit pour les boat-people essayant d’atteindre le continent à partir des îles de l’Indonésie méridionale à bord de rafiots improbables. Mais il s’agit là d’une très ancienne tradition australienne, l’île-continent ayant été initialement peuplée par des « convicts  » bannis d’Angleterre. Et comme l’éloignement des condamnés loin de l’Angleterre pouvait à la longue polluer la nouvelle colonie, on exila encore plus au sud les plus dangereux, en Tasmanie. L’ancien pénitencier de Hobart est désormais devenu une curiosité touristique fortement prisée des touristes.

Depuis peu, afin d’éviter des troubles, des émeutes et des évasions d’internés sur son territoire, l’Australie mise sur les îles-prison et négocie des contrats avec ses petits voisins du Pacifique. Malgré le refus des Fidji, des contacts sont toujours en cours, outre Nauru, avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles de Kiribati, Palau et Cocos.

Le navire est aussi largement utilisé à des fins répressives. Jadis les bagnards et autres forçats et bannis étaient transportés vers des destinations lointaines, pour un voyage sans retour. La France expatria ainsi ses délinquants, prostituées et marginaux vers le Canada, pour enfin envoyer certains condamnés en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie. Mais ce sont les Anglais qui poussèrent cet art à l’extrême, d’abord par les déportations massives vers l’Australie, puis en instaurant des bateaux-prisons au large de ses côtes pour y interner les soldats de Napoléon faits prisonniers, puis les républicains irlandais.

Plus tard, ils réutilisèrent la méthode pour désengorger momentanément les maisons d’arrêt de terre ferme. Cependant, si étymologiquement, le bagnard évoque les bains de mer, les conditions d’incarcérations qu’ont subies ces réprouvés sont loin de celles du séjour idyllique promis par le Club Méditerranée.

Dans l’éloignement des criminels et des indésirables, on retrouve en contraste, la peur de l’invasion qui vient de la nuit des temps et de la Grande Muraille de Chine, avec son désir de laisser les « barbares » extra muros. Jadis, les dangereux sauvages étaient des hordes supposées sans culture, arrivant tels les Huns ou les Mongols pour piller les richesses des peuples dits civilisés. De nos jours, les barbares sont intra-muros, ils sont arrivés clandestinement ou avec un visa touristique dans les pays des nantis. Ce sont quelquefois des nationaux de basse classe sociale qui polluent l’environnement des riches et dont il faut impérativement se protéger. Pour ceux qui voient en chaque étranger ou chaque membre d’une classe défavorisée un Attila potentiel, le désir de s’en protéger les entraîne à construire des barrières, nouvelle muraille chinoise, protégeant et rendant inaccessibles leur petit domaine de privilégiés. Ceux qui en sont évincés ne peuvent que ressentir l’exclusion et quelquefois expriment leur agressivité par le biais de la délinquance. Ne pouvant posséder eux même, ils désirent détruire le jouet de l’autre. Cela explique en grande partie les saccages et les dégradations lors des mouvements insurrectionnels.

Enfin, quand on fait le rapprochement entre séquestration et naufrage au niveau psychologique, on peut comprendre qu’après ses longs mois de captivité au Liban, Jean-Paul Kaufmann ait fait un lien entre détention et îles désertes. Dans son livre, « L’arche des Kerguelen  » il fait un parallèle en demi-teinte entre séquestration et insularité. Le choix des austères îles australes n’est ni anodin ni fortuit.

De leur côté, les Etats-Unis ne sont pas de reste dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Ne sachant que faire de leurs prisonniers de guerre entassés à Guantanamo, ils ont entamé des négociations avec de petits états insulaires pour exporter leurs indésirables supposés dangereux. Mais qui voudra de ces encombrants réprouvés d’aujourd’hui ? D’autant qu’ils risquent de devenir de plus en plus nombreux et qu’ils ne pourront tomber dans les oubliettes de l’histoire du fait de l’œil intrusif des caméras, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme.

Mais la pire situation fut probablement celle vécue sur l’île fluviale de Nazino sur l’Ob, où des déportés du stalinisme en arrivèrent à s’entretuer et à se dévorer en 1933.

Bon nombre d’anonymes finirent leurs jours dans des bagnes insulaires ou en relégation comme en Nouvelle-Calédonie, à l’île du Diable ou au Château d’If. L’île de Ré fut elle aussi longtemps le lieu de départ pour le bagne, sans espoir de retour. Mais les Français ne furent pas les seuls à utiliser des îles comme colonie pénitentiaire.

Alexandre Selkirk ayant donné l’exemple en se faisant débarquer, son île devint par la suite une prison chilienne. Alcatraz, l’île des pélicans, hébergea contre leur gré de nombreuses fortes têtes venus d’autres pénitenciers américains jusqu’en 1963. Le véritable prisonnier d’Alcatraz qui servit de modèle au film de John Frankenheimer avec Burt Lancaster et qui devint ornithologue n’en est qu’un des plus célèbres résidents avec Al Capone.

Enfin, en Afrique du Sud, Robben Island restera à jamais gravé dans les mémoires comme un lieu de relégation, à cause de son illustre prisonnier politique. Tout comme à Sainte-Hélène, Gorée, Alcatraz ou au Château d’If, il s’est développé à Robben Island un tourisme pénitentiaire avec visite édifiante des cachots et utilisation de la notoriété des célèbres enfermés qui y séjournèrent.

De nos jours, le pénitencier mexicain des îles Marias est probablement l’une des dernières prisons insulaires encore en activité.

L’étude de l’existence de ces relégués et bannis est une source enrichissante quant à la psychologie de personnes proches des naufragés, la cruauté de l’encadrement pénitentiaire en supplément. Toutes les conditions sont réunies pour voir se développer en ces lieux le sadisme des gardiens loin du regard du monde. A l’opposé, l’île devient un excellent laboratoire de l’imagination pour celui qui veut en sortir coûte-que-coute, les récits d’évadés célèbres en sont la preuve flagrante. A la longue, il se crée, sinon une complicité ou une connivence entre gardiens et détenus, mais une cohabitation routinière. L’histoire de la relation au long cours qui s’établit entre Nelson Mandela et son geôlier est représentative de ce propos.

Une étude récente, 2002, fait un inventaire non exhaustif mais très documenté de la détention insulaire. Il s’agit d’« Iles-prisons, bagne et relégation », d’Eric Fougère qui reprend certains des sites mentionnés dans cet article.

 

Quelques sites significatifs :

§ Le château d'If

Cette forteresse fut édifiée en 1527, sur ordre de François Premier au large de Marseille, dans les îles du Frioul. Ce fort a servi essentiellement de centre d’incarcération pendant près de quatre siècles bien que sa vocation première ait été de défendre l’accès de la ville contre les pirates barbaresques puis contre les Anglais.

Les deux premiers détenus à y être enfermés furent deux modestes pêcheurs provençaux en 1540. Ensuite se succédèrent sans discontinuité, huguenots, républicains, révoltés et anarchistes qui eurent droit à son hospitalité forcée. Le Château d’If fut bel et bien une prison politique et les derniers détenus furent libérés en 1914.

En dehors du romanesque Edmond Dantès, le château reçu la visite d’honorables personnalités qui se seraient bien passées de cette invitation. Citons parmi les plus connus, le Marquis de Sade, Mirabeau et Auguste Blanqui, l’éternel enfermé. Devenu monument historique en 1926, la forteresse est depuis lors l’un des sites touristiques les plus visités de Marseille. Un gardien de phare y officia jusqu’en 1950.

 

§ Robben Island

Bien que pénitencier depuis le XVIIème siècle, la prison de Robben Island (l’île aux phoques en afrikaner) n’est entrée dans la légende comme le lieu de l’insupportable que depuis que Nelson Mandela et certains de ses compagnons de lutte y ont purgé des peines de détention. Ce qui interpelle le plus, c’est qu’après une aussi longue et injuste captivité de 18 ans dans ce pénitencier, celui qui allait devenir le premier président d’une Afrique du Sud libérée de l’apartheid, n’ait pas développé une haine farouche et un esprit revanchard, mais en soit sorti grandi, auréolé d’une mansuétude que n’eurent jamais certains de ceux qui ne restèrent enfermés que peu de temps.

Alors qu’il aurait pu devenir vindicatif et aigri une fois libéré, Mandela ne s’est pas transformé en tyran paranoïaque. Son comportement de chef d’état fût à mille lieues de la conduite de fantoche et de corrompu de nombreux leaders de l’ANC ou du Zimbabwe voisin. Un prisonnier et un naufragé amènent sur une île leur propre bagage, celui qui est dans la tête et non dans une valise. Celui de Mandela était riche en sagesse et en discernement ce qui lui a permis de sublimer l’épreuve. Car le prisonnier de Robben Island ne fut pas un Vendredi docile et bon enfant. Bien au contraire, il sut affirmer sa personnalité et son identité et bien que détenu, il ne fut jamais asservi.

 

§ L’île du Diable

L'île du Diable au large de Kourou, en Guyane Française est surtout connue pour le bagne qu’elle a abrité. Elle mérite bien son nom, bien que faisant ironiquement parti des îles du Salut. C’est Jean-Baptiste de Chanvalon qui leur donna leur nom en 1763, quand il y installa des colons survivants d’une épidémie. Le nom prémonitoire d’île du Diable aurait été donné par les Amérindiens, bien avant l’arrivée des premiers bagnards, suite à une superstition y localisant les forces du mal.

Détenus politiques et condamnés de droits communs vont se succéder de 1849 à 1946. Sous le Second Empire on dénombre jusqu’à 300 détenus, dont des politiques, mais en 1866, il n’en reste plus qu’un seul, ce qui relativise la dimension répressive du Second Empire. L’île est devenue alors un lieu de confinement pour les lépreux du continent afin d’éviter la contagion. Puis avec l’avènement de la Troisième République, le bagne reprendra de l’activité, jusqu’à l’arrivée du Capitaine Alfred Dreyfus qui débarque à Cayenne en 1895 avant de séjourner sur l’île.

Le bagne ne sera définitivement fermé qu’en 1946, malgré l’intervention remarquée du journaliste Albert Londres fustigeant bien avant la seconde guerre mondiale, les conditions inhumaines de détention. Il faut dire que le climat chaud et humide, la présence continuelle de moustiques et d’araignées venimeuses n’en fait pas un lieu idéal de villégiature. Les bagnards ne survivaient en moyenne guère plus de cinq ans dans ces conditions. Le journal du Capitaine Dreyfus décrit en détail les vicissitudes du climat et des nuisances qu’il a dû subir.

Outre Dreyfus, ont été déportés de nombreux anarchistes et ex Communards, comme Charles Delescluze, Clément Duval, Marius Jacob, sans compter des milliers de condamnés de droit commun, dont Guillaume Seznec qui restera dans l’île de 1928 à 1948. Henri Charrière arriva en Guyane en 1931 avant d’être relégué sur l’île. Son livre de souvenirs publié en 1969, d’ailleurs contesté quant à sa véracité historique, inspira le film Papillon avec Steve Mc Queen et Dustin Hoffman en 1973.

De nos jours, l’île dépend du Centre Spatial de Kourou, qui en autorise la visite en dehors des jours de tirs de la fusée Ariane.

 

§ Fort Boyard

Fort Boyard est situé entre l'île d’Aix et l'île d’Oléron. Il s’agit d’une longue bâtisse de pierre de 68 m sur 31 m destinée à protéger le port de Rochefort contre un éventuel débarquement anglais. Malgré une tentative infructueuse de Vauban, il fallut attendre Napoléon pour que le projet se concrétisât partiellement entre 1804 et 1809. Mais les véritables travaux reprirent sous Louis-Philippe en 1841 pour s’étaler jusqu’en 1848, bien que la menace anglaise soit devenue obsolète. C’est seulement sous Napoléon III que le la construction du fort fut enfin achevée et devint une garnison. Militairement devenu totalement inutile, fort Boyard devient une prison insulaire pour les soldats prussiens capturés en 1870, puis pour les Communards.

La thèse de médecine d’Anatole Boisgard, Le scorbut observé au fort Boyard sur les détenus de la Commune au point de vue de l'étiologie et du traitement, tendrait à prouver que les conditions d’incarcération étaient loin d’être idéales. Le scorbut généré par la carence en vitamine C, ainsi que d’autres carences en vitamine comme le béribéri, étaient fréquents dans le milieu carcéral et la marine à voile. Les Anglais furent d’ailleurs les premiers à embarquer des citrons à bord de leurs navires pour éviter le scorbut. Les oubliés de Clipperton et les ouvriers des conserveries de Saint-Paul eurent aussi à en pâtir.

Bref, malgré son coût élevé et les efforts mis en œuvre pour sa construction, Fort Boyard est finalement abandonné par l’armée en 1913. Il sera victime des pillards, de tirs d’exercice de l’armée allemande pendant le second conflit mondial avant d’être vendu à un Belge en 1962. N’ayant pas les moyens de le restaurer, le nouveau propriétaire revendra son bien à la société de production de jeux télévisée de Jacques Antoine qui le rétrocède au Conseil de Charente-Maritime en l’échange de travaux et d’une exclusivité d’exploitation. L’aventure pouvait commencer sur le petit écran. Le fort fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques afin de le protéger d’aménagements fantaisistes.

Mais avant la pérennisation du jeu de télévision éponyme, Fort Boyard avait déjà attiré l’œil des caméras. D’abord en 1967 pour un film, « Les Aventuriers » de Robert Enrico avec Alain Delon et Lino Ventura, puis pour un épisode de « La Chasse au Trésor  » animé par Philippe de Dieuleveut en 1981. Ensuite la légende était créée et les candidats pouvaient reconstituer des aventures avec épreuves sportives et initiatiques dignes de l’île au Trésor.

Depuis 1990, sans discontinuer, une équipe (et non des candidats isolés, pour bien marquer la solidarité d’un groupe totalement factice) s’évertue dans un environnement de théâtre en carton-pâte à surmonter crainte, phobies et difficultés dans le but de s’approprier des pièces d’or aussi fausses que nature. Le tout est mise en scène pour reconstituer les fantasmes d’adolescents, dans un environnement de roman à deux sous, avec un Père Fouras (du nom d’une localité voisine) maitre de cérémonie ésotérique, d’un nain dynamique et mobile représentant de la minorité visible du handicap et d’une présentatrice en short qui joue les faire-valoir.

 

§ Alcatraz

La prison d’où l’on ne s’échappe jamais ! De fait seul trois évadés ne furent jamais retrouvés ; se sont-ils noyés, ont-ils disparu à jamais cachés dans l’anonymat d’une ville ? Nul ne le saura. Par contre, on ne peut oublier Al Capone et tant d’autres délinquants qui ont fait la célébrité de la prison. Lieu de relégation de détenus venus de tous les Etats-Unis, Alcatraz concentra surtout ceux qui présentaient un risque d’évasion ou qui posaient des problèmes de sécurité à l’administration des établissements fédéraux du continent.

Située sur une île de la baie de San Francisco, la prison d’Alcatraz a remplacé en 1909 une forteresse militaire établie en 1850, qui servit d’abord de prison pour l’armée avant de recevoir des civils à partir de 1939 jusqu’en 1963. Après une occupation par des Amérindiens à titre de protestation pour attirer l’attention sur leur cause en 1969, la prison est devenue un site touristique pour les amateurs d’oiseaux et pour les nostalgiques de l’histoire pénitentiaire.

Mais ce sont de drôles d’oiseaux en cages qui ont forgé la légende d’Alcatraz. Le site fût choisi en raison de la température de l’eau relativement basse et des forts courants alentour, idéaux pour prévenir toute velléité d’évasion. Etablissement fédéral, Alcatraz reçut entre ses murs des captifs dont le plus célèbre fut Al Capone, mais aussi « Machine gun » Kelly, Alvin Karpis, l’un des nombreux « ennemi public numéro 1, que l’Amérique sort régulièrement de son chapeau et l’un des fils de Ma Baker. En près de 30 ans il n’y eut que 14 tentatives d’évasion concernant 36 détenus. Ils furent tous rattrapés ou tués par les gardiens à l’exception de trois (peut-être cinq) dont on ne retrouva jamais les corps, se sont-ils noyés ou bien ont-ils réussi leur évasion, mystère ? Quant à Robert Stroud, immortalisé par le film « le prisonnier d’Alcatraz », il y passa 17 ans et s’intéressa aux oiseaux, symbole de liberté par procuration pour cet enfermé.

La prison fut finalement fermée en 1963 pour des raisons de coût de remise aux normes et de maintenance.

 

§ Sainte- Hélène

La petite île de l’Atlantique sud restera à jamais en mémoire comme le bagne impérial où finit l’Empereur des Français. Elle symbolise à la fois l’exil et l’ennemi héréditaire de la France dans l’inconscient collectif de toute une nation. Sainte-Hélène est une glorification de l’échec à la française, bien avant le syndrome de Fachoda et sa fameuse reculade face aux Britanniques.

 

§ Guantanamo

Cet inventaire ne pouvait se terminer sans évoquer cette tristement célèbre enclave américaine sur l’île de Cuba dont le nom évoque malencontreusement une chanson de Joe Dassin et le soleil des tropiques. Base militaire existant bien avant la révolution castriste de 1959, elle fut imposée à Cuba après la guerre hispano-américaine de 1898. Guantanamo a brusquement changé d’affectation et devient l’épicentre de l’activité carcérale après les attentats du Onze Septembre de par la volonté de George Bush de fédérer le patriotisme autour d’une cause commune, la lutte contre le terrorisme islamiste. Dans le cadre de la traque de ses ennemis en Afghanistan, les Etats-Unis ont déporté et interné dans ce centre de détention plusieurs centaines de prisonniers de guerre qui y ont subi des interrogatoires plus que musclés pour rester dans le ton neutre.

Selon les opinions politiques du lecteur cette situation est parfaitement justifiée ou totalement scandaleuse et inacceptable. L’auteur ne veut pas ici entamer une polémique sans fin hors de propos dans un tel ouvrage. Notons cependant, en dehors de toute connotation morale et d’engagement sur le terrain politique, que les interrogatoires poussés à l’extrême ne donnent la plupart du temps des résultats que dans les premières heures suivant l’arrestation, soit dans le cas précis, bien avant l’arrivée des détenus sur le sol de la base américaine des Caraïbes. Les plus pusillanimes se mettent à table après quelques gifles ou simples menaces. Ce qui est extorqué par la suite est le plus souvent sujet à caution. Le précédent des procès staliniens, de la Résistance et de la guerre d’Algérie ont prouvé que le plus souvent, les « complices des terroristes » avaient le temps de se restructurer, de changer de plan et de cachette. Après les premiers sévices et intimidations, l’accusé avoue à peu près tout et n’importe quoi.

Les « conspirateurs, les ennemis du régime », sous Staline, en sont même arrivés à confesser leurs accointances avec les services secrets brésiliens ! Torturez Brigitte Bardot et elle vous avouera dans un râle avoir dépecé un bébé phoque dans sa jeunesse sous le regard complice de Roger Vadim ! En fin de compte, les méthodes utilisées à Guantanamo peuvent être considérées plus comme un châtiment se voulant exemplaire que comme un moyen efficace d’interrogatoire et d’investigations. Et même dans les cas où la torture physique n’est pas appliquée, il existe une volonté délibérée de déstabilisation et de désorientation psychologique extrême pour obtenir des aveux, dont on peut douter de la crédibilité.

Ce lieu de détention mérite cependant d’être exploré sur deux volets :

 

o Deuxièmement, on ne peut que constater que de telles méthodes sont aussi un moyen exceptionnel d’étudier le comportement d’individus soumis à des conditions extrêmes d’isolation et d’étudier leurs réactions, la modification de leur résistance physique et psychologique.

On pourrait oser parler d’une anthropologie dévoyée de son objet initial, quitte à en frémir. Sans cautionner les motivations de telles méthodes et les procédés utilisés, il est certain que les résultats ont fait et feront l’objet d’une analyse poussée ne serait-ce que pour préparer les personnels en mission spéciale à résister le plus longtemps possible à des conditions d’incarcération s’ils se font capturer en terrain ennemi. Le parallèle avec le naufragé est donc évident. On fait immédiatement le rapprochement avec Alexandre Selkirk ou Ben Gunn de l’île au trésor.

Mais, si tant dans la réalité que dans la fiction, ces êtres abandonnés ont eu à subir l’isolement et craindre devenir fou, ils ont dans leur malchance été le plus souvent été épargnés de brimades et sévices imposés par d’autres humains. Et quand il y eu dérapages et sévices comme à Clipperton, Pitcairn, Juan de Nova ou suite aux naufrages du Batavia et du Santiago, jamais un état n’en fut le commanditaire délibéré, en dehors du régime d’apartheid sud-africain.

Car même à Nazino, les meurtres et le cannibalisme entre déportés furent le résultat de l’incurie de la bureaucratie soviétique et non une volonté délibérée de faire une expérience. Par contre, Guantanamo est définitivement le résultat d’une volonté gouvernementale, à mille lieues de Robinson ou d’un programme de divertissement. Mais l’existence de ce pénitencier très spécial, en dehors de toute législation, doit être perçue plus comme une opération de communication vis-à-vis de l’opinion publique américaine que comme un réel moyen d’investigation anti-terroriste.

Enfin, malgré les craintes de certains de nos compatriotes de voir s’installer une dérive sécuritaire du gouvernement français, il ne peut être question de transformer Clipperton en établissement pénitencier. En dehors de toute considération morale et de l’exemple peu reluisant de Guantanamo, les contraintes financières qui ont été à l’origine de la fermeture d’Alcatraz, sont encore plus colossales si l’on considère ce petit territoire français. Et puis, en ce début de millénaire, on voit mal la France recréer l’île du Diable comme lieu de relégation de ses indésirables  !


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6 réactions à cet article    


  • easy easy 16 février 2012 11:20

    Poulo Condor étant à ajouter à cette liste.


    • Georges Yang 16 février 2012 11:32

      Merci d’avoir signalé cet oubli, ce bagne de l’Indochine française n’a rien à envier à Cayenne


    • easy easy 16 février 2012 12:11

      Le bagne de Cayenne était, selon les moments et contextes, globalement orienté vers un principe de peuplement (de la Guyane) après purge de la peine. La France ayant toujours eu des soucis de peuplement de ses lointaines possession (Cf votre précédent papier sur Clipperton, île de la Passion, île aux crabes)

      Idem pour bien d’autres bagnes dont celui de Nouvelle-Calédonie, Australie...

      Dans ces bagnes de conditionnement au peuplement de l’endroit, on s’arrange pour que les prisonniers en sortent vivants et avec quelque espoir
      Bien des Dreyfus et Papillon ont pu cultiver des potagers pendant leurs peine

      Différemment, les prisons île de type Alcatraz étaient conçus autour d’une idée d’enfermement à vie de grands bandits.



      Et différemment encore, les îles prisons de type Guantanamo et Poulo Condor sont conçues autour d’une idée de torture sans fin à faire subir à des opposants politiques. Ce sont les pires.



      A souligner alors que Gorée était conçue autour d’une seule idée de regroupement de colis avant expédition et que Elis Island était conçue autour d’une idée de mise en quarantaine avant immigration



      Sur Guantanamo, vous avez parlé d’île mais le cas est tangent et vaut d’être remarqué. Car outre le fait que ce n’est pas exactement une île prison c’est très paradoxalement une prison hyperpolitique et donc torturante installée carrément sur le territoire global d’un ennemi politique.
      A se demander chaque jour à quoi pensent Castro & Frères qui savent que juste derrière leur chambre à coucher, leur ennemi essentiel torture tranquillement des tout-compte-fait alliés



      Mais surtout, il était possible d’aborder le fait du renversement de notre regard sur la mer. Maudite et infréquentable avant Sissi, elle conduisait au réflexe d’y installer des prisons. Depuis Sissi, il y a un inconscient collectif qui pousse à considérer que les prisons-îles sont trop balnéaires.
      A mettre alors en parallèle avec notre inversion du regard sur le soleil ou bronzage.


    • Jean-paul 16 février 2012 18:47

      Alcatraz la nouvelles serie tv americaine .


      • Vipère Vipère 16 février 2012 19:18

        A Saint Pierre et Miquelon, les prisonniers ne sont pas enfermés !


        C’est inutile, ils ne pourraient pas se faire la malle ! De sorte qu’ils sont mêlés aux insulaires, une réinsertion qui se fait naturellement, de sorte que leur peine terminée, Ils ne sont plus bouclés pour la nuit !



        • Vipère Vipère 16 février 2012 19:31

          Dans le film Invictus réalisé par Clint Eastwood, la cellule de Nelson MANDELA est en effet, de dimension minimale, l’espace y est très restreint !


          On se demande comment il a échappé à des troubles psychiatriques durant une si longue détention. 

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