La 9e symphonie de Beethoven a 200 ans !
7 mai 1824, théâtre de la Cour impériale de Vienne : le grand Ludwig van Beethoven, bien qu’il soit très affecté par la surdité, dirige la première de cette 9e symphonie hors normes dont il vient d’achever la composition. L’œuvre reçoit un accueil triomphal du public viennois. Elle ne sera jamais surpassée par quiconque. De très nombreux musicologues et des millions de mélomanes sur la planète considèrent même qu’en matière de musique symphonique, elle est le chef d’œuvre absolu…
En réalité, Beethoven a longtemps mûri son projet. Dès 1785, alors qu’il n’est encore qu’un adolescent âgé de 15 ans, il est séduit par le poème de Friedrich von Schiller intitulé An die Freude (À la joie). Fortement imprégné lui-même des idées des Lumières dont il se nourrit, et notamment des concepts de Liberté et de Fraternité entre les peuples théorisés par les philosophes, le jeune Beethoven décide qu’il mettra tôt ou tard en musique le poème lorsque le moment sera venu. Un projet qu’il confirme en 1793 dans une lettre à la romancière Charlotte von Lengefeld, l’épouse de Schiller.
En 1808, ce n’est pas le poème de Schiller qu’il met en musique, mais un texte que rédige, à sa demande, son ami Christoph Kuffner sur un thème de rapprochement fraternel entre les hommes, favorisé par les Arts, dont l’inspiration rappelle le poème de Schiller. Beethoven intègre ce livret dans une œuvre étonnamment méconnue de nos jours, la superbe Fantaisie chorale pour piano, solistes, chœur et orchestre op. 80. Le traitement choral y préfigure nettement celui du 4e mouvement de la 9e symphonie, au point qu’on l’a souvent présenté comme une « esquisse » de celui-ci.
Des années passent. En 1817, Beethoven n’a plus écrit de symphonie depuis 5 ans. C’est à la demande de son ami Ferdinand Ries, sollicité, semble-t-il, par la Royal Philharmonic Society de Londres, qu’il entreprend de composer une 9e, et même une 10e symphonie. Beethoven a d’ores et déjà matière à plusieurs mouvements. Il y travaille durant plusieurs années, en alternance notamment avec la création de sa Missa solemnis, de plusieurs Lieder et de sonates pour piano, mais sans réellement s’attacher à finaliser une nouvelle œuvre symphonique.
En 1823, trois des mouvements de la 9e symphonie sont prêts. Mais Beethoven bute sur le quatrième. Non qu’il soit en mal d’inspiration. Mais il est confronté à un dilemme. Soit il reprend pour le finale l’idée de mettre en musique An die Freude de Schiller, et de ce fait introduit dans une symphonie des solistes vocaux et un chœur, ce qui n’a jamais été réalisé auparavant. Soit il reste fidèle aux structures habituelles et compose un finale instrumental dont il dispose d’ores et déjà de la matière. Au terme d’une longue et difficile réflexion, son choix est fait. Ce sera, écrit-il dans une lettre, « un finale du genre de ma Fantaisie pour piano avec chœurs, mais sur une bien plus grande échelle. »
En effet, quel finale ! 25 minutes grandioses – à peine moins long que la 8e symphonie entière ! – qui vont marquer à jamais l’histoire de la musique. Précédée par des dissonances sauvages et un rappel des thèmes des précédents mouvements, survient soudain la voix humaine : « O Freunde, nicht dieser Töne ! », clame le baryton en invitant ses « amis » à changer de ton et à partager avec lui un chant joyeux. Ce que font les autres solistes et le chœur en entonnant tous ensemble la musique du fameux livret de Schiller. L’« Hymne à la Joie » est né : un « tube » planétaire qui parle aux peuples de tous les continents en quête de fraternité et d’harmonie. En 1972, il devient l’hymne officiel du Conseil de l’Europe, et en 1985 celui de l’Union européenne.
L’intérêt de la 9e symphonie en ré mineur op. 125 ne doit évidemment pas être résumé à ce seul mouvement choral, aussi somptueux soit-il. Les trois mouvements qui le précèdent sont également représentatifs du génie de Beethoven. À commencer par le premier dont les accents sombres et tumultueux annoncent, après une entrée mystérieuse suivie d’une phase de chaos, la puissance de cette œuvre magistrale appelée à emporter le public durant les 70 minutes de son exécution. Et de fait suivent un scherzo envoûtant et survolté, marqué par un usage inhabituel des timbales et la survenue d’un trio étonnamment serein, puis un adagio apaisé et mélodieux en forme de thème et de variations, entrecoupé par deux étonnants épisodes de fanfare, qui sonne comme un appel à la méditation et à l’élévation spirituelle.
Lors de la première du 7 mai 1824 au Theater am Kärtnertor (le théâtre impérial de Vienne), c’est Beethoven en personne qui conduit l’orchestre, bien qu’il soit déjà atteint d’une surdité très avancée. On le dit même quasiment sourd. Au point que lorsque les dernières notes s’éteignent, le compositeur reste tourné vers les musiciens alors qu’éclatent dans la salle les applaudissements chaleureux et les clameurs enthousiastes du public. Légende ou vérité, l’on rapporte que c’est la contralto Caroline Unger qui aurait pris Beethoven par le bras pour qu’il se retourne et puisse, à défaut de l’entendre, voir le triomphe réservé à son œuvre par les Viennois.
Cette scène étonnante prend toute sa force dans les mots qu’a consacrés Victor Hugo à l’œuvre de Beethoven : « Ces symphonies éblouissantes, tendres, délicates et profondes, ces merveilles d’harmonie, ces irradiations de la note et du chant sortent d’une tête dont l’oreille est morte. Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils. » Un propos que n’aurait pas renié Richard Wagner : dans ses mémoires, le compositeur a écrit que Beethoven a « élevé l’esthétique au rang du sublime ». En quelques mots, tout a été dit !
Vidéo : 9e symphonie par le West-Eastern Divan Orchestra et les solistes et chœurs de l’Opéra de Berlin dirigés par Daniel Barenboïm à la Philharmonie de Berlin.
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