La beauté est quelque chose d’objectif
S'il y a bien une thèse qui fait dissensus aujourd'hui c'est celle-ci. Que ce soit dans le monde académique ou dans la rue, la quasi totalité des individus considèrent que la beauté est quelque chose de subjectif. Pourtant, la plupart des gens sont prêts à admettre que bien des choses sont objectives (par exemple beaucoup de gens sont d'accord que la science vise à découvrir une connaissance objective du monde, ou encore qu'il y a des principes éthiques objectivement valables), mais pas concernant la beauté.
Je vais essayer de présenter quelques éléments argumentatifs en faveur de la thèse selon laquelle la beauté est quelque chose d'objectif, en me basant sur un livre de Roger Pouivet, Le réalisme esthétique. L'auteur ne va pas forcément aussi loin que la présente thèse, mais je fais l'hypothèse que la plupart des éléments qu'il présente permettent d'arriver à une thèse plus forte.
Le livre de Pouivet est construit autour de 3 parties bien distinctes. La première vise à montrer qu'il existe un monde réel, indépendant de nous (c'est la thèse du réalisme métaphysique), la deuxième que l'on peut connaître ce monde sans avoir besoin de fondement certain à notre connaissance (c'est la thèse du réalisme épistémologique).
La dernière partie aborde ce qui nous intéresse ici : la question du réalisme en esthétique, que je ne vais pas différencier ici d'une conception objectiviste.
Un premier élément intéressant réside dans le fait que les gens ont une tendance à être intuitivement objectivistes lorsqu'ils évaluent esthétiquement, spontanément, quelque chose. Par exemple, les gens s'exclament « C'est beau ! » devant quelque chose qu'ils considèrent comme étant beau, et non « J'ai l'impression que ceci est beau ». Il y a donc une forme de tendance intuitive à l'être humain à penser sa perception esthétique comme étant objective. Ce qui est curieux vu que la plupart des gens acceptent aussi la thèse selon laquelle la beauté est quelque chose de subjectif.
Alors, comment défendre l'objectivité de la beauté ?
Prenez un papillon avec de grandes ailes bleues, et imaginez que vous le trouvez beau. Il vous est impossible d'imaginer ce papillon-ci comme n'étant pas beau, sauf si vous modifiez certaines de ses propriétés (par exemple vous pouvez l'imaginez sans ailes). Ainsi, la propriété d'être beau du papillon est constitutive et indissociable de ses autres propriétés, et donc la propriété esthétique du papillon est une propriété réelle du papillon, et objective puisqu'elle ne dépend pas de votre bon vouloir (vous ne pouvez pas considérer ce papillon comme étant laid par jeu de l'esprit).
Pouivet affirme toutefois que les propriétés esthétiques sont des propriétés extrinsèques (qui dépendent d'une relation entre individu et objet), et non intrinsèques. Ainsi, si l'être humain n'existait pas, peut-être que la beauté n'existerait pas non plus (ce qui intuitivement peut surprendre je trouve).
Pouivet développe ensuite une théorie intéressante sur la compétence esthétique. Tout comme il y a des réactions appropriées à avoir face au danger (par exemple, en cas d'incendie ne pas rester au beau milieu du brasier) il y aurait des réactions appropriées à avoir face aux propriétés esthétiques. Ces réactions appropriées nous permettent de tendre vers le bien (soit vers la réalisation de notre nature humaine), et sont le fruit de dispositions (vertus) adéquates que nous devons développer. Ce sont ces dispositions (vertus) adéquates qui font que nous ressentons les émotions appropriées face à telle ou telle propriété esthétique.
Les individus incapables de ressentir des émotions devant la beauté sont donc des handicapés ou des incompétents esthétiques (et c'est là que l'on voit comme cette thèse peut choquer), et la bonne inculcation des bonnes dispositions esthétiques découle de la bonne socialisation (éducation/formation) esthétique.
En conclusion, il est évident que ces quelques éléments que j'ai retenus de ma lecture de Pouivet ne sont pas suffisants pour justifier une thèse aussi forte que celle que j'avais envie de soutenir, mais ils permettent toutefois d'introduire le débat et de montrer quelques pistes pour remettre en question les (quasi) dogmes du subjectivisme (relativisme) esthétique.
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