Larry Clark : Delanoë hisse son cache-sexe
Le Paris de Bertrand Delanoë, retranché derrière la loi, a décidé d’interdire aux ados l’expo de Larry Clark, adophile photographe américain, qui depuis des décennies leur colle aux baskets. Alors, Larry, trop hard ? Ou Bertrand trop mou ?
Avant des photos, Larry Clark, pour moi, ce fut d’abord des films. Bully, Kids, Ken Park. Films à l’érotisation maximale, sous couvert de raconter des histoires d’ados américains. Beaucoup de corps jeunes, nus, filmés ras du pubis, offerts, dans des situations scabreuses, violentes, sales ou drôles. Un peu comme la série « Skins » qu’a diffusé Canal. Un peu, mais plus hard. Dans les films de Clark, on baise, on se branle, on sniffe, on fume, on se prend la tête avec son vieux, qui distribue quelques mandales, on tue aussi parfois, on partouze, on sodomise, on pleure, on ravale une existence pas très rose, on cultive la haine et la colère. Et on baise. On baise a deux, a trois. On se masturbe en s’étranglant avec sa ceinture de robe de chambre. On éjacule dans la suffocation. C’est ça Larry Clark. C’est ce quotidien là qu’il a choisi de filmer. C’est ces fractures, ces fêlures, ces échappatoires aussi d’une période sensible de l’existence, l’adolescence. On peut trouver ça choquant. C’est cru. C’est excitant aussi, parfois. C’est violent, crade, mais au bout du compte, ça raconte une histoire, des histoires. Ca raconte des extraits de vie. C’est « la vraie vie » de ces ados, jure Larry Clark. On pourrait rejeter ça comme étant les délires d’un vieux pervers, sauf que…sauf que il faut voir ces films, et surtout ces acteurs. Il faut voir jusqu’où ils vont devant la caméra du réalisateur, à quel point ils lui font confiance. Les jeunes filles comme les jeunes hommes. Il faut voir comment ils jouent (très bien) de scènes assez dures quand même, et pas pour la gloire : ces films n’ont pas pour vocation de starifier quiconque. Ils passent inaperçus, ou pas loin. Mais donc en les voyant, en observant ces jeunes acteurs donner tant à la caméra, se mettre totalement à nu, c’est peu de l’écrire, on accorde à Clark la légion d’honneur de la sincérité. Il n’est pas le voyeur, il devient celui qui permet à ces ados de s’exprimer, de libérer peut-être aussi leurs fantasmes ou simplement d’être eux-mêmes, devant la caméra, sans honte, sans pudeur, sans peur. Il devient leur complice, presque leur ami, celui à qui on va dévoiler son mal ou son bien être.
Le problème aujourd’hui, c’est que Larry a un peu vieilli, qu’il n’est pas loin d’avoir la tronche du vieux lubrique qu’il n’a jamais été, et que du coup, en exposant ses photos d’il y a 30 ans, ces sexes juvéniles mais costauds, ces seins hamiltoniens, ces flingues, ces piqûres, ces scènes de presque bondage, il crée le trouble. Notre jeunesse peut elle voir ça ? Non dit le législateur, donc non, dit la mairie de Paris. Dans ce cas là, la loi n’étant pas née d’hier, pourquoi avoir confirmé l’expo, il était encore temps de l’annuler. Mais bon, aux moins de 18 ans le musée sera fermée, décrète Delanoë. Libre d’accès par contre aux vrais vieux pervers de tous âges qui fort de leur carte vermeille vont venir reluquer ces corps si jeunes, si nus. Les moins de 18 ans, non. Larry du coup s’étrangle : comment peut-on interdire son expo sous prétexte de « pornographie » à un public qui se vautre nuit et jour sur les sites de cul sur Internet ? A quoi ça rime ? Il a pas tort, Larry, mais pas tout à fait raison non plus. Dans sa défense, un peu de confusion. D’abord on ne doit pas faire croire que le seul loisir des ados sur le net est d’aller chercher l’adresse de tous les sites de cul existants. Ensuite, les ados qu’a photographié Larry Clark ne sont pas « tous les ados », de même que les ados de la série « Skins » ne ressemblent peut-être pas à tous les ados. L’adolescence est un vaste débat qui ne se résume pas à des branlettes, des partouzes et des joints, c’est parfois pire, parfois plus soft, souvent un peu des deux. Tous les ados américains ne ressemblent pas aux ados de Clark. En revanche, là où il a raison c’est sur l’absurdité de l’interdiction aux « moins de 18 ans ». Ce type d’interdiction, réservée au X, ne se justifie plus, aujourd’hui que le porno est libre d’accès, grâce à internet. On pourrait diffuser des pornos sur TF1 à la place des Experts que ça ne changerait pas la face de la société. Parce que les « moins de 18 ans » ne regardent plus de toute façon cette télé là. Et que la ménagère de moins de 50 ans ne serait pas mécontente, de temps en temps, de se mater une production Marc Dorcel. Le porno est devenu banal. Plus dangereux du tout. Son interdiction ne sert plus à rien. Alors en quoi la vue d’un jeune homme non adulte la bite à l’air à côté d’une jeune fille non adulte la piqûre dans un bras pourrait-elle être dangereuse pour un jeune adolescent français, ou une jeune adolescente française ? En rien, sans doute. Parce qu’il ne faut pas prendre les adolescents français pour des demeurés qui n’ont aucun sens critique, aucun recul et deux neurones, ils savent faire la part des choses. En revanche, la vue d’un tel cliché exciterait sans aucun doute les pit bull associatifs, jamais avares de procès, de coups d’éclat comme on l’a déjà vu dans le passé. C’est de ça dont Delanoë et Girard ont voulu se prémunir. Au mépris de la simple notion de liberté artistique, au mépris d’un simple bon sens, d’un certain sens de la politesse aussi, quand on invite quelqu’un comme Larry Clark, ou quelques artiste que ce soit, qu’on lui promet une expo dans Paris, on ne lui chie pas dans les bottes au dernier moment, au nom de la loi, soi disant.
Il y a dans le cliché qui illustre cet article, cette nudité trash, ce sexe, cette piqûre, ce mélange, il y a cette orgie de découverte qui illustre bien quand même l’adolescence, période de transformation, de passage d’un point à un autre. Il y a dans ce noir et blanc une certaine poésie, qu’on retrouve dans de vieilles photos des Stones, du Velvet, il y a du plaisir aussi, surtout. Du plaisir. A venir, à prendre. Avant d’avoir plus de 18 ans, et de s’en tenir aux lois. Et à leurs perversions.
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