Le désir... de sa mise en mots à sa mise en acte
Ce texte est tiré d’un mémoire réalisé en 1987 par une étudiante à l’issue de ses trois années de Formation à Partir de la Pratique (FPP). J’en livre ici un fragment de l’introduction qui met en évidence l’indigence symptomatique du langage, des mots, à traduire la pensée – et les désirs – du parlant, ou de l’écrivant. (cf. les nombreux billets sur la novlangue publiés récemment sur AgoraVox)
Titre du mémoire :
Sur le chemin de ma pratique, j’ai rencontré Freud, Spitz, et Lacan
L'objet de notre recherche nous désigne plus que nous ne le désignons.
Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu.
En considération de cette citation de Bachelard, la difficulté que j'ai eue à définir l'objet de ma recherche – la psychanalyse – ne serait-elle pas l’expression de ma difficulté à me définir, moi, en tant que personnage consistant dans mon propre milieu ambiant ?
Je parle de consistance, connaissant les sentiments qui m'habitent. Et je dis là clairement quels sont mes désirs par rapport à ma Formation à Partir de ma Pratique (FPP) : un désir de reconnaissance paternelle ! Je le dis en sachant parfaitement ce qu'il y a d'illusoire à une telle attente. Le titre d'un doctorat de psychologie n’avait pas éteint, disons-le très honnêtement, ma soif de savoir.
En évoquant cette irrésistible ascension, je me prends à songer au mythe de Sisyphe et au parallèle qui peut être fait avec le complexe d'Œdipe et la quête du phallus. Pour comprendre le vécu œdipien et l'empreinte qu'il laisse sur une personnalité adulte, il suffit de se souvenir de l'allusion que fait Freud dans « Au-delà du principe de plaisir », à l'attente vaine de l'enfant par rapport au parent de sexe opposé :
« La recherche sexuelle, qui se voit assigner des limites par le développement corporel de l'enfant, n'aboutit pas à une conclusion satisfaisante ; d'où, plus tard, cette plainte : je ne puis rien mener à bien, rien ne peut me réussir. Le lien de tendresse qui attachait l'enfant surtout au parent de sexe opposé, a succombé à la déception, à l'attente vaine de la satisfaction, à la jalousie que suscite la naissance d'un nouvel enfant, cette preuve sans équivoque de l'infidélité de l'aimé ou de l'aimée ; sa propre tentative, menée avec un sérieux vraiment tragique, pour créer lui-même un enfant, échoue de façon humiliante ; la diminution de sa part de tendresse, les exigences croissantes de l'éducation, les paroles sévères et, à l'occasion une punition, lui révèlent finalement toute l'ampleur du dédain qui est devenu son lot […] La perte d'amour et l'échec portent au sentiment d'estime de soi un préjudice durable qui reste comme une cicatrice narcissique. »
Lorsque cette blessure narcissique se trouve conjointe au désir de pénis chez la femme, c’est-à-dire à l’inacceptation de son état de manque, on peut, sans prendre de risque, faire un parallèle entre le mythe de Sisyphe, ce déni de la différence des sexes, et le comportement d'échec qu'il entraîne dans la vie quotidienne. Sisyphe, roi de Corinthe, renommé pour sa cruauté, fut condamné à rouler un rocher jusqu’au sommet d'une montagne d'où il retombait continuellement. De même, cette quête du phallus à travers la séduction du « pater universitas », l'institution universitaire, me paraît vaine en fonction de la démesure de mon attente : faire reconnaître mon enfant chéri – entendre : mon mémoire de formation – engendré dans la douleur face à une assemblée de patriarches, autant de « super phallus » imbus de leurs pouvoirs, dont celui de m’accorder le sésame supposé ouvrir la porte des âmes. Voilà pour les titres !
Quant à mon choix pour une Formation à Partir de la Pratique, j’aspirais à n'être plus tributaire des idéologies de ceux qui transmettent le savoir. Je souhaitais me confronter seule à ce savoir en fonction des besoins rencontrés dans ma pratique.
Quelques mots sur cette pratique :
Je suis en stage didactique chez un psychanalyste depuis trois ans et souhaite exercer dans le futur cette profession. Je conduis une psychanalyse sous sa supervision. En plus de la responsabilité de cette âme qu’il m’a confiée, je reçois avec lui des patients en entretiens préliminaires, personnes seules en quête de sens ou d’identité, ou des familles confrontées à des drames. Néanmoins, mes interventions directes dans ma pratique restent très minimes compte tenu de la difficulté à gérer une relation thérapeutique duelle dans laquelle un tiers ferait incursion.
La première nécessité que j'ai rencontrée dans ma pratique a été de comprendre ce qui se passe dans la relation entre l’autre et moi. J'avais quelques outils pour le faire compte tenu de mon cursus universitaire et du chemin analytique que j'ai déjà parcouru (cinq ans). Mais je ne parvenais pas à sortir de la confusion. J’avais appris la théorie lacanienne du grand Autre, mais ne parvenais pas à me voir – dans le regard du patient – ce grand Autre. À la vérité, j'avais le sentiment de ne rien savoir. Bien qu’ayant étudié Freud, je ne parvenais pas à faire le lien entre ses écrits et ma pratique. Aujourd'hui, je pense que bon nombre d'exemples livresques sont soigneusement choisis, la réalité du praticien n’est jamais si claire. Il ne peut pas parler en termes de classification nosographique, mais d'émergences. Il me semble aussi que l’on ne saurait aborder une personne sans une certaine « virginité de savoir », car chacun est unique, et une véritable écoute ne saurait se faire sans porter attention à ses propres affects face à ceux de l’autre (transfert), et sans cette singularité d'écoute, si particulière et si différente de celle de la vie normale. C’est une ouverture à ce qui va nous être dit qui demande des dispositions inhabituelles, qui imposent d’aller chercher au fond de soi des ressources inconnues.
Car, avant d'avoir reçu, écouté, et analysé, je ne sais rien ; et je n’en sais jamais plus que ce que le patient veut bien m'apprendre. C’est un apprivoisement...
J'ai cherché à mettre des mots sur cette réalité transférentielle à double sens en m’appuyant sur les représentations du psychisme humain élaborées par d'autres, avec un certain souci de rigueur scientifique. C’est dans ce but que je me suis tournée vers Freud, puis vers Spitz, et pour finir vers Lacan, pour me faire ma propre représentation du fonctionnement de cette éternelle et mystérieuse Psyché humaine, au travers de sa traduction en mots… et en actes.
J’ai fini par accepter, à contrario de l’idéologie freudienne, que ce qui se passe entre l’autre et moi – le transfert – ne pût être dissocié de ce qui se passe entre moi et l’autre – le contre-transfert –. C’est à Lacan que je dois cette prise de conscience, et son acceptation pleine et entière.
[…]
Université Lyon 2 – UER de Psychologie et Sciences Sociales
Krishna Burkman – juin 1989
Depuis une vingtaine d’années aujourd’hui, Krishna Burkman n’exerce plus la psychanalyse comme elle le convoitait jadis. Son désir de réalisation sociale s’est exprimé ailleurs, dans l’enseignement, la recherche et l’écriture, dans un domaine dont les apparences n’exhibent que peu de liens avec son cursus et sa formation initiale.
Ma conclusion serait d’encourager le jeune adulte de la génération montante à se faire confiance en s’abandonnant – au sens d’Alexandre Jollien dans son « petit traité de l’abandon » – au but du but qu’il poursuit, pour ne pas reproduire inconsciemment le mythe de Sisyphe : plutôt que rouler ton rocher sur la première montagne de ton choix, n’hésite pas à changer de montagne, pour trouver le chemin qui sera le tien. Pour trouver ta voie, il te faudra écouter tes voix intérieures, autant sinon plus que celles de tes maîtres.
Références bibliographiques :
René Spitz (1 et 2) et son ouvrage De la naissance à la parole
Alexandre Jollien et des extraits de son Petit traité de l’abandon
Entretiens avec Alexandre Jollien sur Arte :
De chaire et d’âme
La distance thérapeutique
La souffrance a-t-elle un sens ?
La fragilité de l’être humain
Crédit photos : plus.google.com
Texte publié avec l’accord de K. Burkman.
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