Le poids d’un livre
L’indifférence qui tue.
Ce que je vais vous narrer là tient d’abord de mes expériences personnelles mais naturellement aussi de confidences que d’autres apprentis écrivains m’ont faites lorsque nous nous rencontrions, dans l’improbable espoir de vendre nos œuvres. Celui ou celle qui se lance dans l’incroyable aventure de l’écriture ignore alors combien il met de lui-même dans ces quelques feuilles de papier brochées qu’il tente d’exposer à la curiosité des autres.
Puis, petit à petit, l’aventurier découvre que ce n’est pas son roman ou son recueil qu’il expose mais bien sa propre personne. Il est tout entier dans son écrit, c’est lui-même qu’il soumet ainsi à l’éventuel désir d’achat qu’un tiers. C’est alors que se noue le plus épineux problème que fait naître cette douce folie éditoriale.
Vous êtes là avec votre production, la prunelle de vos yeux et vous attendez le curieux, lecteur de surcroît, ce qui est de plus en plus compliqué, dégagé pire encore des injonctions médiatiques car vous ne bénéficiez naturellement d’aucune promotion ou alors dans les pages locales d’un quotidien. L’improbable client passe souvent sans un regard, ni pour vous ni surtout pour votre beau roman. Combien sont-ils à regarder la couverture ? Bien peu. Combien osent feuilleter l’objet, lire un petit passage ? Encore moins …
Vous n’avez même pas un regard, encore moins un petit mot. Vous êtes ravalé au rang de produit de super-marché, un produit certes mais qui n’a pas bénéficié d’une publicité à la télévision. C’est vous dire à quel point vous n’êtes rien. Il faut accepter cette humiliation, se dire que dans le nombre, il y aura bien une exception et que vous aurez ainsi sauvé votre journée.
Tout ceci est, vous vous y êtes préparé ou bien vous avez fini par l’accepter, le lot des auteurs anonymes, de ceux qui ne seront jamais connus et encore moins reconnus. Vous comprenez que l’expérience est plus que douloureuse, elle met à mal votre ego, vous fait descendre de ce piédestal illusoire que vous vous étiez construit tout à votre bonheur d’avoir lu votre nom sur une couverture.
Mais le pire est à venir, le plus destructeur sans doute. Quand vous dites autour de vous, à des amis très proches ou bien à des membres de votre famille, plus douloureux encore, que vous avez publié un livre et qu’en retour il ne se passe rien, pas le plus petit commentaire, pas la moindre envie de voir la chose qui vous met pourtant en émoi, vous perdez pied, vous sombrez dans la colère et l’envie de rompre avec ces odieux personnages.
La terre se fendille, le ciel explose et vous êtes là, comprenant à quel point vous n’êtes rien à leurs yeux. Vous ne parvenez pas à susciter le plus petit intérêt, ils passent à autre chose, détournent les yeux, évitent soigneusement de vous répondre. Vous découvrez que vous êtes entouré de sourds. Le choc est terrifiant et l’envie de tout bazarder vous lamine.
Alors quand ceux-là qui vous ont réduit à rien se permettent en prime de dire du mal de votre enfant tout en ayant scrupuleusement refusé de le parcourir, vous comprenez que vous n’avez plus jamais rien à faire avec eux. C’est une déclaration de guerre, une agression sournoise et destructrice à laquelle ils se livrent en toute conscience. Vous tournez la page d’une longue amitié, vous dénouez un lien familial, vous gommez un passé qui n’était qu’hypocrisie.
Voilà à quoi doit s’attendre le candidat à l’édition. Le livre est un terrible révélateur. Le livre mais aussi tout autre forme de production artistique ou artisanale. J’imagine le luthier dont les proches ne daignent même pas regarder son dernier instrument, le sculpteur qui n'héritera d’aucun regard pour le buste qu’il vient d’achever. Ceux-là aussi comprendront alors que l’ingratitude, l’indifférence, le mépris sont les plus certains horizons qui vous attendent.
Ce billet m’était nécessaire. Il expliquera peut-être à quelques personnes les raisons de ma fuite, de ma colère ou de ce sentiment d’exclusion qui sont nés de pareille situation. Le mal est fait, il est trop tard pour revenir en arrière, les paroles s’en vont tandis que les écrits, gravés dans le marbre, restent à jamais et brisent le cœur, les amitiés et les liens illusoires.
Romanesquement leur.
104 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON