Les grands concertos pour orgue
L’orgue est assurément un instrument à part, avant tout dédié à la célébration des offices religieux dans les églises. C’est là qu’était – et qu’est encore assez largement - sa place naturelle. Les compositeurs ont pourtant peu à peu réussi à affranchir l’orgue de ce seul rôle rituel pour lui donner une dimension concertante profane. Voici un florilège de concertos pour orgue qui, comme tous les exercices de ce genre, n’engage que son auteur...
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L’organisation d’un concert destiné à l’orgue et à l’orchestre pose, on l’imagine aisément, des problèmes particuliers, et peu de salles possèdent un orgue de grande qualité ou disposant des « jeux » exigés par telle ou telle partition concertante. C’est sans doute la raison pour laquelle le répertoire de l’orgue est beaucoup moins étoffé que celui des instruments solistes de l’orchestre, excepté dans le domaine des musiques sacrées (messes, cantates, oratorios, motets) où la richesse sonore de ses timbres et l’amplitude des sons produits servent parfaitement la solennité des rites religieux. Il y a pourtant dans le répertoire concertant dédié à l’orgue de superbes opus.
Il est impossible de résumer en quelques mots l’évolution, au fil du temps, d’un instrument à vent aussi complexe que l’orgue dont le « buffet » en bois recèle bien des secrets, à commencer par la soufflerie, de même que les différents tuyaux, ici à bouche biseautée telles les flûtes à bec, là à anche libre tels les hautbois, ou à anche battante telles les clarinettes. Mais que ce soit dans ses formes les plus anciennes, sans pédales ni jeux étendus, dans ses formes plus évoluées, augmentées de « jeux gambés » destinés à reproduire les sons des cordes, ou dans ses versions contemporaines les plus perfectionnées, l’utilisation de cet instrument dans la musique concertante ne s’est jamais totalement démentie, malgré un intérêt moindre des compositeurs pour cet exercice au cours du 19e siècle. L’aventure débute tout naturellement dès la période baroque.
Si l’on excepte Antonio Vivaldi (1678-1741) dont on ne connaît que des doubles ou triples concertos faisant appel à l’orgue, et probablement destinés à être joués par les demoiselles de La Pietà, c’est en effet à Georg Friedrich Haendel (1685-1759), lui-même organiste de grand talent, que l’on doit la première incursion dans le domaine de l’orgue concertant. Dès 1730, il écrit des œuvres destinées à servir d’intermèdes aux oratorios qu’il a composés. Avec 16 concertos dédiés à cet instrument, principalement groupés dans les opus 4 et 7 du compositeur, Haendel nous offre une belle illustration de son génie créatif, et l’on comprend pourquoi Beethoven avait une admiration sans borne pour lui. Le concerto en sol mineur opus 4/1 et plus encore le concerto en si bémol majeur opus 7/1 illustrent parfaitement cette incontestable réussite, marquée par la virtuosité, la gaîté et un incontestable charme mélodique.
Jean Sébastien Bach (1685-1750) tient évidemment une place de tout premier plan dans le répertoire des grands organistes, et pas seulement pour ses préludes, toccatas, fugues et autres chorals. Bach n’a jamais composé de concerto pour orgue, les 5 œuvres inscrites à son catalogue étant des transcriptions de partitions de Vivaldi et du prince de Saxe-Weimar. La plus remarquable de ces œuvres est incontestablement le concerto en ré mineur, en réalité une transcription-réduction pour orgue seul du concerto pour 2 violons, violoncelle et cordes opus III/11 tiré du fameux recueil L’Estro Armonico de Vivaldi. L’orgue dialogue ici avec lui-même dans ce qu’André Isoir qualifie de « Chef d’œuvre chez Vivaldi, et sommet de la série transcrite par Bach ». D’aucuns préfèrent le concerto en la mineur, lui aussi transcrit et réduit à partir d’un autre concerto de L’Estro Armonico (opus III/6), composé par Vivaldi pour 2 violons et cordes. À chacun de juger.
Relativement méconnu en France, l’organiste bohémien František Xaver Brixi (1732-1771), titulaire durant 44 ans de l’orgue de la cathédrale Saint-Guy de Prague, a principalement composé des messes et autres pièces religieuses comme le voulait sa charge. Mais c’est moins à ces œuvres sacrées qu’il doit aujourd’hui sa notoriété qu’à ses 8 concertos pour orgue qui occupent une place de choix dans le répertoire. Tous sont caractérisés par une remarquable inspiration mélodique qui a valu à Brixi une grande popularité en son temps et le respect sincère du jeune Mozart. Le concerto pour orgue et orchestre en fa majeur est sans doute celui qui illustre le mieux le talent de ce compositeur.
Également connu dans une version pour flûte, le concerto pour orgue en sol majeur de Carl Philip Emmanuel Bach (1714-1788), composé peu après 1750, fait partie des œuvres favorites des organistes. Il est ici interprété de superbe manière par l’Orchestre de chambre Jean-François Paillard et l’inoubliable Marie-Claire Alain. Enjouée, brillante, cette œuvre de celui que beaucoup considèrent comme le plus doué des fils Jean Sébastien Bach mérite incontestablement sa place dans les anthologies de l’orgue concertant.
L’organiste, pédagogue et éditeur de musique Michel Corrette (1707-1795) a écrit 6 concertos pour orgue qui ont fait de lui le pionnier du genre en France après que Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) ait ouvert la voie de la musique concertante dans notre pays. Ces œuvres sont groupées dans l’opus 26, publié en 1756. Encore très marquées par l’écriture baroque, elles témoignent d’un sens inné de la mélodie et d’un remarquable savoir-faire qui justifient pleinement que ce compositeur émerge peu à peu du trop long oubli dans lequel il était injustement confiné, sans doute victime de la légèreté de ses « Concertos comiques » reprenant ou paraphrasant des chansons populaires pour chasser la « mélancolie ». Il est difficile de détacher un concerto de cet opus 26. Eu égard à la brièveté des œuvres (8 à 12 minutes), le mieux est encore de les écouter toutes, par exemple dans l’excellente version (lien) qu’en ont gravé René Saorgin et l’Ensemble baroque de Nice.
Antonio Soler (1709-1783) est un cas à part. Les 6 concertos de ce compositeur espagnol, destinés à être joués en duo avec l’Infant Gabriel, appartiennent en effet à un genre particulier. Pas d’orchestre ici, mais 2 orgues (ou deux clavecins) qui se répondent dans un dialogue galant, tout à la fois joyeux et brillant, aux antipodes de l’ambiance austère de l’Escurial où, sous l’œil de l’Inquisition, vivait et composait le Padre au service de l’Infant d’Espagne. Le concerto n°3 en sol majeur est une excellente illustration du style du compositeur, directement influencé par le très fécond Domenico Scarlatti (1685-1757).
Dans l’immense production de Joseph Haydn (1732-1809), difficile de dire combien le génial musicien a composé de concertos pour orgue (ou clavecin) et orchestre. Les musicologues s’accordent toutefois à considérer comme incontestables les concertos numérotés de 1 à 6 dans le groupe XVIII de la nomenclature Hoboken, le n°7 étant la transcription d’un trio antérieur. Composés avant l’entrée à la cour du Prince Esterhazy en 1761, ces concertos sont intéressants en cela qu’ils montrent une inspiration de transition entre le baroque, dont Haydn se détachait de plus en plus, et cette écriture classique dont il allait devenir sinon le père fondateur, du moins le pilier le plus emblématique avant l’avènement gu génial Mozart. Le concerto n°1 en ut majeur et le concerto n°2 en ré majeur illustrent bien le talent mélodique du jeune Haydn et l’on comprend, à leur écoute, comment a pu se développer l’engouement pour celui qui allait devenir l’un des plus grands compositeurs de l’Histoire.
Principalement réputé de son temps pour ses talents d’organiste, le Bohémien Johann Baptist Vanhal (1739-1813) a laissé à la postérité un concerto pour orgue et orchestre à cordes en fa majeur qui mérite de figurer dans les anthologies du genre et permet de mieux comprendre l’estime que lui portait Mozart. Composé, de manière très classique, en trois mouvements (allegro moderato, adagio, finale allegro), ce concerto est une illustration parfaite du style galant qui prévalait alors dans les cours des rois et des princes.
Écrit, probablement en 1779, pour la pianiste aveugle Theresa von Paradis, le séduisant concerto pour orgue et orchestre en ut majeur d’Antonio Salieri (1750-1825) est une œuvre en deux parties (allegro ma non molto, allegro assai) dont l’effectif est déjà beaucoup plus coloré, notamment par l’apport des trompettes. Un véritable plaisir d’écoute pour les amateurs.
On doit à Josef Gabriel Rheinberger (1839-1901) non seulement deux concertos pour orgue, mais aussi d’avoir été l’un des principaux moteurs de la renaissance de cet instrument, assez largement tombé en désuétude au cours du 19e siècle. Paradoxalement, le 1er concerto en fa majeur opus 137, d’une couleur résolument sombre, donne moins la parole à l’orgue que le second, écrit en mode mineur. D’une remarquable richesse mélodique, le 2e concerto pour orgue en sol mineur opus 177, créé à Munich en décembre 1894 sous la direction de Richard Strauss, s’inscrit déjà résolument dans le post-romantisme. Il demande une grande virtuosité à l’organiste, mais lui procure également une réelle satisfaction, comme le confirme le célèbre élève de Rheinberger, le médecin et organiste Albert Schweitzer : « J’ai rarement joué de l’orgue avec autant de plaisir que lorsque j’ai interprété votre concerto. » On croit sans peine le bon docteur.
Bien qu’elle ne soit pas dénommée « concerto », la symphonie pour orgue et orchestre écrite en 1924 par Aaron Copland (1900-1990), alors qu’il étudiait encore la composition auprès de Nadia Boulanger, prend toute sa place ici, à la fois pour la grande qualité de son inspiration et pour sa structure originale. Composée de 3 mouvements de longueur croissante, cette « symphonie » débute par une sorte d’élégie pastorale qui laisse ensuite la place à une inspiration résolument moderne, et parfois jazzy, que vient conclure un final enlevé. En réalité, cette œuvre, où se côtoient des incursions contrapunctiques dissonantes, des références à l’écriture d’Igor Stravinsky, des clins d’œil à la culture de Brooklyn, et même une brève citation d’« Au clair de la lune », n’est ni un concerto ni une symphonie. Il s’agit plutôt d’une fantaisie qui n’a pas grand’ chose à voir avec la célèbre symphonie en ut mineur de Camille Saint-Saens (1835-1921) où l’orgue est délibérément une partie d’orchestre lorsqu'il intervient dans les 2e et 4e parties de l’œuvre.
Incontournable, le concerto pour orgue, cordes et timbales en sol mineur de Francis Poulenc (1899-1963) figure au répertoire de tous les grands virtuoses. Écrit, de manière atypique, en un seul mouvement comportant 7 tempos, cette œuvre maîtresse, immédiatement reconnaissable par son introduction puissante, est caractérisée par un style inspiré à Poulenc tout à la fois par la musique baroque et par l’élan spirituel qu’il ressent depuis sa rencontre avec... la Vierge noire de Rocamadour. Une première privée, avec Maurice Duruflé à l’orgue et Nadia Boulanger à la direction, a lieu le 16 décembre 1938 chez la duchesse de Polignac, commanditaire de l’œuvre. Après quelques petites retouches, la première publique intervient le 21 juin 1939 à la salle Gaveau, toujours avec Duruflé à l’orgue, mais sous la direction de Roger Désormière.
De nombreux autres compositeurs ont écrit des œuvres dignes d’intérêt pour l’orgue concertant. Parmi eux, l’on trouve notamment (dans l’ordre alphabétique) Hendrick Andriessen (1892-1981), Thomas Arne (1710-1778), Charles Avison (1709-1770), Enrico Bossi (1861-1925), Carl Heinrich Graun (1703-1759), Giuseppe Sammartini (1695-1750), ou Charles Wesley (1757-1834). À chacun d’explorer le répertoire pour constituer sa propre collection de « favoris ». Bonne écoute à tous !
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