J'étais à la recherche de ce que les anglophones disaient de la France et de l'Europe en ce moment et je suis tombé sur ce texte qui traite de la sortie du film « Les Hommes Libres » de Ismael Ferroukhi, à propos des musulmans qui ont sauvé des juifs durant la seconde guerre mondiale.
Je n'ai fait que traduire cet article, à l'origine publié dans le NY Times du 3 octobre 2011 par Elaine Sciolino. L'initiative tendant à mettre en lumière ces faits trop souvent méconnus et la couverture médiatique de ce film étant menacée par l'arrivée du « Tintin » de Spielberg, j'ai donc effectué une simple traduction de cet article afin de rappeler qu'il a existé une époque durant laquelle l'antagonisme entre juifs et arabes était moins prononcé, et aussi afin de montrer les américains parlent de cette période.
Comment une mosquée parisienne a abrité des juifs durant l'holocauste
Elaine Sciolino, 3 octobre 2011, New York Times
Les histoires concernant l'holocauste ont été documentées, déformées, clarifiées et passées au filtre de la mémoire. Aujourd'hui de nouvelles histoires continuent d'arriver, parfois pour altérer la grande et incomplète mosaïque de l'histoire de l'holocauste.
L'une d'elle, racontée dans un film français sorti la semaine dernière, focalise sur un improbable sauveur de juifs durant l'occupation nazie en France : le recteur de la mosquée de Paris.
Les musulmans, semble-t-il, ont sauvé des juifs des nazis.
« Les Hommes Libres » nous conte un courage qui n'est pas mentionné dans les livres français. D'après cette histoire, Si Kaddour Benghabrit, le fondateur et recteur de la grande mosquée de Paris, a fourni un refuge et des certificats d'appartenance à la religion musulmane à un petit nombre de juifs pour leur permettre d'échapper aux arrestations et à la déportation.
C'était plus simple qu'il n'y paraît. Au début des années 40 la France abritait une large population de nord-africains, incluant des milliers de juifs séfarades. Les juifs parlaient l'arabe et partageaient beaucoup des traditions et des habitudes quotidiennes des arabes. Ni les juifs ni les musulmans ne mangeaient de porc. Les hommes musulmans et juifs étaient tous deux circoncis. Leurs noms étaient souvent très proches les uns des autres.
La mosquée, une forteresse carrelée de la taille d'un pâté de maison sur la rive gauche, servait de lieu de prière, bien sûr, mais était aussi une oasis de calme où les visiteurs étaient nourris, habillés et pouvaient se baigner et parler librement en restant dans les jardins.
Il était possible pour un juif d'y entrer.
« Le film est un événement », dit Benjamin Stora, un éminent historien de l'Afrique du Nord qui est aussi consultant pour le film. « Beaucoup de choses ont été écrites sur la collaboration des musulmans avec les nazis. Mais le fait que les musulmans aient aidé les juifs est un fait trop méconnu. Il existe encore des histoires à écrire et à raconter. »
Le film, dirigé par Ismael Ferroukhi, est présenté comme une fiction inspirée de faits réels et construit autour de l'histoire de deux personnages ayant réellement existé (autour d'un trafiquant autodidacte). L'acteur français Michael Lonsdale joue Benghabrit, un leader religieux natif d'Algérie et un habile manipulateur politique qui fait visiter la mosquée aux officiers allemands et à leurs épouses tout en utilisant apparemment ces visites pour aider des juifs.
Mahmoud Shalaby, un acteur palestinien vivant en Israël, joue Salim – à l'origine Simon – Hilali, le plus populaire chanteur arabophone de Paris, un juif qui a survécu à l'holocauste en se faisant passer pour un musulman. (Pour rendre son identité crédible, Benghabrit fit graver le nom du grand-père d'Hilali sur une pierre tombale dans le cimetière musulman de la ville de Bobigny dans la banlieue parisienne, d'après la nécrologie française du chanteur. Dans une scène intense du film un soldat allemand tente de prouver que Hilali est juif et l'emmène au cimetière pour clarifier sa religion).
La vision historique reste incomplète, car la documentation est brouillonne. Une aide fut accordée aux juifs sans que celle-ci fasse partie d'un quelconque mouvement organisé par la mosquée. Le nombre de juifs en ayant bénéficié est inconnu. La preuve la plus probante, jamais corroborée, fut apportée par Albert Assouline, un juif nord africain qui s'échappa des camps d'un camp allemand de prisonniers. Il clama que plus de 1700 combattants de la résistance – incluant des juifs mais aussi un nombre moins important de musulmans et de chrétiens – ont trouvé refuge dans les sous-sols de la mosquée, et que le recteur a fourni à de nombreux juifs des certificats d'appartenance à la religion musulmane.
Dans son livre de 2006, « Parmi les justes », Robert Satloff, le directeur de l'institut de politique du Proche-Orient à Washington, révélait des histoires concernant des arabes qui avaient sauvé des juifs durant l'holocauste, et incluait un chapitre concernant la grande mosquée. Dalil Boubakeur, l'actuel recteur, lui confirmait que des juifs – peut-être plus d'une centaine – reçurent des papier d'identité musulmans de la mosquée, sans en spécifier le nombre exact. Monsieur Boubakeur disait que des musulmans amenaient des juifs de leurs connaissances à la mosquée pour qu'ils reçoivent de l'aide et que l'imam supérieur, qui n'était pas Benghabrit, en était le responsable.
Mr Boubakeur a montré à Mr Satloff une copie d'un document du ministère des affaires étrangères datant de 1940, extrait des archives françaises. Il montre que l'occupant soupçonnait le personnel de la mosquée de délivrer de faux papiers musulmans aux juifs. « L'imam fut convoqué, d'une manière menaçante, pour mettre fin à ces pratiques » dit le document.
Mr Staloff déclare lors d'un entretien téléphonique : « Quelqu'un doit séparer le mythe des faits. Le nombre de juifs protégés par la mosquée devait approcher quelques douzaines, pas des centaines. Mais il s'agit d'une histoire qui transporte un puissant message politique et qui mérite d'être racontée ».
En 1991 un documentaire télévisé intitulé « une résistance oubliée : la mosquée de Paris » de Derri Berkani, et un livre pour enfants intitulé « la grande mosquée de Paris : comment des musulmans ont sauvé des juifs durant l'holocauste », publié en 2007, explore également ces faits.
Ce film récent a té tourné dans un palais vide au Maroc, avec l'aide du gouvernement marocain. La mosquée de Paris a refusé de donner une quelconque permission de filmer. « Nous sommes un lieu de culte », a déclaré Mr Boubakeur lors d'une interview. « Il y a des prières cinq fois par jour. Tourner un film serait perturbant. »
Benghabrit tomba en disgrâce pour ses camarades musulmans car il s'opposa à l'indépendance algérienne et resta favorable à l'occupation de son pays natal par la France. Il mourut en 1954.
Durant leurs recherches pour le film, Mr Ferroukhi et Mr Stora ont appris de nouvelles histoires. Après la première projection une femme leur demande pourquoi le film ne mentionne pas de juifs ashkénazes originaires d'Europe de l'est qui auraient pu être sauvés par la mosquée. Mr Stora explique alors que la mosquée n'est pas intervenue sur le destin des juifs ashkénazes, car ils ne parlaient pas arabe et ne connaissaient pas la culture arabe.
Elle me dit : « c'est faux. Ma mère a été sauvée et protégée par un certificat en provenance de la mosquée ».
Mercredi, le jour de la sortie du film, des centaines d'étudiants de trois communautés différentes provenant des grandes écoles parisiennes furent invitées pour une projection spéciale et une séance de questions-réponses avec Mr Ferroukhi et ses acteurs.
Certains ont posé des questions banales. « Où avez-vous trouvé les vieilles voitures ? » (Dans une agence de location de voitures anciennes). D'autres ont réagi avec curiosité et méfiance, voulant savoir quelle était la part du film basée sur des faits, et comment il était possible que des juifs aient été pris pour des musulmans. Certains furent médusés que les nazis aient persécuté seulement les juifs, et aient laissés les musulmans tranquilles.
Ces réactions ont été inclues au film, qui sera distribué aux Pays-Bas, en Suisse et en Belgique. (Les droits pour l'exploitation aux États-Unis ont été vendus également). Le quotidien Le Figaro dit qu'il « reconstitue merveilleusement l'atmosphère de l'époque ». L'hebdomadaire L'Express l'a qualifié de « sortie scolaire idéale, présentant moins d'intérêt pour une séance nocturne ».
Cela importe peu pour Mr Ferroukhi. Il a déclaré qu'il avait contacté les ministères de la Culture et de l’Éducation pour que le film soit montré dans les écoles. « Cela rend hommage aux gens de notre histoire qui sont restés dans l'ombre. » a-t-il déclaré. « Cela montre une autre réalité, que les musulmans et les juifs ont pu vivre en paix. Nous devons nous souvenir de ça – avec fierté ».