Les jeunes, les moins jeunes et Bob Dylan : like a rolling stone
La chanson de Bod Dylan « Like a rolling stone » a aujourd’hui plus de 40 ans ; pourquoi est-elle toujours d’actualité ?
L’autre jour, dans le métro, un type, entre 25 et 30 ans, lisait Like a rolling stone, le livre que Greil Marcus a consacré à la chanson de Bod Dylan. Je me suis demandé quel écho pouvaient avoir chez les jeunes les paroles du vieux barde :
"How does it feel / How does it feel / To be on your own / With no direction home / Like a complete unknown / Like a rolling stone ?"
(Qu’est-ce que cela te fait / Quand on se retrouve seule / sans maison où aller / Comme une parfaite inconnue / Comme une pierre qui roule.")
Les jeunes sont inquiets de la précarité, ceux qui manifestent à l’occasion du CPE, et aussi ceux, issus d’autres milieux, qui ont fait les émeutes des cités l’an dernier. D’autres gestes moins visibles - je pense au suicide et autres manifestations intimes de la perte du goût de vivre - disent d’une autre manière l’ampleur du problème. Le rapprochement entre cette inquiétude des jeunes et l’expression qu’en donnait Bob Dylan m’inspire deux réflexions.
1. Les jeunes trouvent dans la chanson, hier comme aujourd’hui, un espace virtuel dans lequel ils peuvent exprimer les sentiments qu’ils ont de leur existence, et être entendus et se reconnaître. De ce point de vue, le fossé des générations que décrivait Margaret Mead voici quelques décennies semble bien ne pas s’être refermé, mais au contraire devenir vertigineux ! On a d’un côté cet espace où les jeunes se disent et peuvent être entendus, et de l’autre les communautés institutionnelles barricadées comme des forteresses, qui montrent de façon répétitive leur incapacité à faire une place aux jeunes autrement que comme consommateurs.
Aujourd’hui l’espace d’expression interactive des jeunes s’est développé, encore et toujours par la musique, mais aussi avec de nouveaux vecteurs. Le téléphone portable et ses SMS et MMS, les nouvelles possibilités qu’ouvre Internet (chat, blogs) vont élargissant la capacité des jeunes à s’entendre et à se reconnaître. La fracture avec "les vieux" et leurs institutions d’un autre âge risque de devenir dramatique.
2. Mais parlons justement des vieux. D’abord, pour remarquer qu’il existe des seniors dont la précarité n’a rien à envier à celle des jeunes. Ensuite, si l’on écoute Bob Dylan et Greil Marcus, on peut se dire que nos générations (à nous, "les vieux") n’ont pas fait que bétonner de l’institution. Les trentenaires critiquent la génération précédente, "ceux qui ont fait la révolution pour prendre des bastilles dont ils ne descendent plus" (*), et leurs critiques sont malheureusement pertinentes. Mais la génération des quinquas et plus, c’est aussi celle des Beatles, des Rolling Stones et de tant d’autres qui ont mis du mouvement, du doute, de la compréhension, de l’amitié, bref, de l’humanité dans la mécanique des sociétés post-modernes. Je connais des instituteurs, des ingénieurs, des agriculteurs, des électriciens, des médecins, des boulangers, et quantité d’autres quidams, qui durant toutes ces années ont créé tranquillement de la société autour d’eux, produit sans bruit du lien et du sens, tout simplement en essayant d’être au plus près des valeurs auxquelles ils tiennent.
Cela nous ramène à Bob Dylan, qui est de passage en France pour sa xème tournée. Je l’ai vu à deux reprises et je n’ai pas eu de chance, à chaque fois il n’était pas dans un bon jour. La première fois, à Bercy, déjà je le voyais à peine, point minuscule très loin sur la scène. Il était clair qu’il n’avait pas la pêche, certaines chansons signalaient un état de grande désespérance, et ce fond de morosité était parfois à la limite du supportable. Mais il fit une interprétation de Don’t think twice inoubliable... La deuxième fois, il était dans un état de grande irritation, dont Tom Petty qui l’accompagnait était la victime immédiate. Alors, comment sera-t-il, cette année : léger, comme dans Lay lady lay, militant, comme dans Political world, mystique, sombre, rocky, country, folk ?
C’est la surprise, et c’est ce qu’on aime : cette authenticité que le temps n’a pas usée, cette capacité à faire le pont entre l’intérieur de nos âmes et le monde. Sur scène, en face de nous, ou de l’autre côté de l’océan, on a une personne, comme vous et moi, et du coup le monde n’a plus tout à fait le même goût.
(*)Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau in Génération 69 : Les trentenaires ne vous disent pas merci, Eds Michalon
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