Les Lieder sublimes de Schubert
J'aime les leader de Schubert. Particulièrement quand ils sont interprétés par ce chanteur au physique très inhabituel, qui fait passer une émotion tout-à-fait rare et exceptionnelle dans les oeuvres du compositeur. Thomas Quasthoff - c'est son nom - a fait face à un handicap important pour devenir une star et finalement se retirer en 2012 pour des raisons de santé. Mais quel chanteur ! Quel talent chez ce baryton-basse qui a su redonner vie à l'âme de Franz Schubert !
Contrairement à Mozart, Haydn et Beethoven, Schubert a donné au lied une place centrale dans son œuvre. Il est devenu le maître de ce genre musical. Certains de ces leader sont même restés très célèbres, comme l'"ave Maria" qui est, en fait, extrait de son cycle "La Dame de lac".
L'Ave Maria, tirée de « La Dame du lac » '"Das Fräulein vom See" opus 52, D.839)
Le lied « Ellens dritter Gesang » (« Troisième chanson d'Ellen », hymne à la Vierge), est célèbre aujourd'hui sous le nom d'Ave Maria. Ce morceau est en fait une adaptation tirée de La Dame du Lac, un chant poétique de Walter Scott, publié en 1810. Dans ce poème, le personnage d' Ellen Douglas, la dame du lac, s'est enfuie avec son père. Ils se cachent dans la grotte du Lutin afin d'éviter d'attirer la vengeance du roi sur leur hôte, Roderick Dhu, le chef du clan alpin, qui les a protégés depuis que le roi a ordonné leur exil. Ellen adresse une prière à la Vierge Marie, lui demandant son aide. Roderick Dhu, qui se trouve plus haut dans la montagne en train d'exhorter sa tribu au combat, n'entend pas le chant d'Ellen.
Ave Maria ! Jungfrau mild .................................Ave Maria ! Douce vierge,
Erhöre einer Jungfrau Flehen..........................Ecoute la prière d'une jeune femme,
Aus diesem Felsen starr und wild..................De ce rocher immobile et sauvage
Soll mein Gebet zu dir hinwehen.....................Ma prière doit être emportée vers toi.
La Truite ("Die Forelle", opus 32, D.550). Ce lied est également très célèbre.
Comme la technologie moderne permet aujourd'hui de se confectionner des juke box vidéos, je me suis concocté cette playliste dédiée aux lieder de Schubert.
Playliste de quelques lieders de Schubert :
Si Goethe surtout exercera une grande fascination sur le compositeur, ce dernier ne reçut que mépris et indifférence de la part du grand poète. Et c'est bien dommage.
Franz Schubert a écrit plus de six cents lieder. De formes diverses.
- Forme strophique simple : c’est la forme la plus ancienne et la plus habituelle. La même musique est réutilisée à chaque strophe. Il est adapté à des poèmes à la prosodie très régulière. Exemple : "Auf dem Wasser zu singen" (À chanter sur l’eau),
- Forme strophique variée. Pour mieux calquer le contenu sur les variations du texte, le compositeur modifie certaines strophes : "Der Lindenbaum" (le Tilleul),
- De forme tripartite de type AAB, héritée du Moyen-Age : couplet, couplet, envoi : "Die Forelle" (la Truite), "An Sylvia" (A Sylvia : de Skakespeare, extrait des « Deux Gentilshommes de Vérone »), "Du bist die Ruh" (Tu es le repos),
- la forme continue "au travers" (Durchkomponiert) : "Gretchen am Spinnrade" (Marguerite au rouet) et "Erlkönig" (Le Roi des aulnes).
- En forme de rondo : c'est-à-dire de forme strophique avec alternance couplet-refrain, mais avec des couplets interprétés différemment. Exemple : "der Musensohn" (Le Fils des muses) où, entre chaque strophe du poème, une ritournelle pianistique fait office de refrain.
Voici un survol de son oeuvre.
La Belle meunière ("Die schöne Müllerin" D. 795). Les textes sont de Wilhelm Müller. C'est l’histoire malheureuse d'un pauvre meunier, amoureux. C'est aussi le récit d'une quête spirituelle où le ruisseau symbolise l’errance. Schubert est séduit par ce personnage de meunier brûlé d’un amour impossible auquel il s’identifie et qui attend la consolation de la mort.
Schubert, fut dans un premier temps influencé par le lied artistique, ce qui le fera composer sur les textes assez longs de Schiller. Cela a donné des "Durchkomponiert", à savoir des lieds aux formes complexes. Mais "La Belle meunière" est un exemple de son retour à des formes simples et strophiques. Souvenirs des chansons populaires viennoises.
Le Roi des aulnes ("Der Erlkönig" opus 1, D.328), d'après un poème de Goethe. Un père assiste, impuissant, à la mort de son fils enlevé par le roi des aulnes. Le roi des Aulnes est très représenté dans la littérature allemande comme une créature maléfique qui hante les forts et entraîne les voyageurs vers leur mort.
Marguerite au rouet ("Gretchen am Spinnrade" opus 2, D.118 : une adolescente que foudroie l’amour ne peut trouver le repos.
La Jeune Fille et la Mort ("Der Tod und das Mädchen", opus 7 no 3, D.531 d'après un poème de Matthias Claudius.
Das Mädchen :.......................................................... La jeune fille :
Vorüber ! Ach, vorüber !............................................ Va-t'en ! Ah ! va-t'en !
Geh, wilder Knochenmann !...................................Disparais, odieux squelette !
Ich bin noch jung, geh Lieber !...............................Je suis encore jeune, va-t-en !
Und rühre mich nicht an..........................................Et ne me touche pas.
Le Voyage d'hiver ("Winterreise " D. 911)
« Winterreise » (Voyage d’hiver) nous fait traverser un paysage glacé qui appartient autant à l’univers mental du musicien qu’à une description de la nature. Ce sont des Lieder sinistres composés en 1827 sous le choc de la mort de Beethoven. C'est l'œuvre la plus triste du compositeur, il n'y a aucune issue ; l'hiver est la mort. Il semble certain que le compositeur se soit identifié, dans les poèmes de Müller, à cet homme blessé par un amour non partagé qui, solitaire, voyage dans l'hiver.
Voici quelques lieder de ce cycle.
- Bonne nuit ("Gute Nacht") constitue le premier lied. La tonalité est donnée : mineure. Schubert dit "adieu" sur un rythme de marche. "
Fremd bin ich eingezogen,............................................Étranger je suis arrivé,
fremd zieh ich wieder aus.............................................Étranger je repars.
- Le Tilleul ("Der Lindenbaum")
- Courage ! ("Mut !")
Fliegt der Schnee mir ins Gesicht,...............................La neige me vole au visage
schüttl ich ihn herunter...................................................Je me secoue et elle tombe.
Wenn mein Herz im Busen spricht,.............................Quand en ma poitrine mon cœur parle,
sing ich hell und munter,...............................................Je chante, allègre et gai.
- Le joueur de vielle ("Der Leiermann"). Par ce dernier lied du cycle, le poète demande au joueur de vielle, qui représente la mort, s'il peut le rejoindre pour en finir.
Wunderlicher Alter,..........................................................Merveilleux vieil homme,
soll ich mit dir gehn ?.....................................................Devrais-je partir avec toi ?
Willst zu meinen Liedern...............................................Veux-tu pour mes chants
deine Leier drehn ?........................................................Tourner ta vielle ?
Le Chant du cygne ("Schwanengesang" D. 957)
il s'agit ici d'un ensemble composite formé de poèmes rassemblés par son frère après sa mort. C’est l’éditeur qui donne à l’ensemble le titre apocryphe de « Schwanengesang ». Le recueil posthume comporte 14 lieder sur des poèmes de Ludwig Rellstab, Heinrich Heine et Johann Gabriel Seidl. Les lieder de Schwanengesang sont tour à tour légers et tranquilles (Frühlingssehnsucht, Die Taubenpost), dramatiques, voire hallucinés. On y trouve aussi Ständchen (« Sérénade »). Die Taubenpost (« Le pigeon voyageur »), au ton joyeux et léger, qui clôt le recueil et est souvent considéré comme la dernière composition de Schubert.
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