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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Lettre ouverte aux artistes : les vrais pirates ne sont pas toujours ceux (...)

Lettre ouverte aux artistes : les vrais pirates ne sont pas toujours ceux qu’on croit

Afin de nous interpeller sur la place que nous souhaitons accorder à la musique dans notre société, un collectif d’artistes a choisi de respecter une minute de silence à l’occasion de la Fête de la musique. Une société sans musique ? Ce serait le pire des scénarios. Mais les pirates ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

Mettez un type qui n’a jamais fait de voile dans un petit dériveur, sur un étang où souffle une Tramontane de force 10, et je vous garantis qu’il va ramer. A contre-courant ? Peut-être pas. Mais contre le vent, c’est certain. C’est un peu le sentiment que me donne l’industrie du disque aujourd’hui. Sa grand voile claque sous le vent et sur le pont, les mecs rament.

Il y a longtemps qu’ils rament, depuis qu’ils ont raté une occasion unique, celle d’embarquer sur le radeau de Napster, qui n’était certes pas très sécurisant, mais le destin du Titanic sur lequel ils paradaient depuis une quinzaine d’années était déjà scellé. Le beau navire était promis au naufrage. Et c’est ce qui s’est produit, entre 2001 et 2003, entre le sabordage judiciaire de Napster et le lancement d’iTunes Music Store.

Une période désastreuse. « C’est là que nous avons perdu les utilisateurs », confie au magazine américain Rolling Stone Hilary Rosen, qui présidait alors aux destinées de la RIAA, dans le premier volet d’une enquête sur le déclin de l’industrie du disque. «  Le peer-to-peer s’est installé. Et c’est alors que la musique, qui avait une valeur réelle dans l’esprit des gens, n’a plus eu aucune valeur économique, juste une valeur émotionnelle. »

Retour sur l’épisode Napster


Rolling Stone
évoque une rencontre secrète entre Hank Barry, p-dg de Napster, et les dirigeants des principales majors de la musique
- Edgar Bronfmann (Vivendi Universal), Nobuyuki Idei (Sony) et Thomas Middlehof (Bertelsmann) -, qui eut lieu mi-juillet 2000 dans un hôtel de Sun Valley, dans l’Idaho.

Napster proposait une avance sur royalties d’un milliard de dollars et on est passé ce jour-là à deux doigts d’un accord de licence qui aurait permis aux 40 millions d’utilisateurs de son logiciel de continuer à échanger de la musique entre eux, pour un abonnement mensuel de l’ordre de 10 dollars.

Mais « pour les maisons de disques c’était comme se jeter du haut d’une falaise et elles n’ont pas eu le courage de sauter dans le vide », raconte Hilary Rosen, qui évoque, à leur décharge, la pression exercée alors sur elles par les artistes - qui craignaient de voir leurs ventes chez Wal-Mart chuter - et par les détaillants - qui se voyaient directement menacés, à juste titre d’ailleurs, dans leur corps de métier (1).

Nous connaissons tous la suite de l’histoire. Les ventes de disques se sont effectivement effondrées et, depuis, près de 2 700 magasins de disques ont fermé leurs portes sur le seul territoire américain.

Quant aux amateurs de peer-to-peer, dont il était encore temps de circonscrire et de valoriser les nouvelles pratiques à cette époque, ils ont migré en masse vers des dizaines de réseaux d’échange décentralisés et beaucoup plus difficiles à contrôler que Napster.

Ils ne se comptent plus désormais en dizaines mais en centaines de millions. Ils ont téléchargé des milliards de fichiers de musique ces dernières années, et ont enrichi l’industrie du hardware plutôt que celle du disque, en achetant quelques 100 millions de baladeurs iPod.

En revanche, tout cela n’a pas fait tomber un seul centime dans les caisses des labels ou dans les poches des artistes, et les dizaines de milliards de dollars qu’aurait pu rapporter Napster à l’industrie du disque au cours des sept dernières années sont partis en fumée. Triste bilan. A la réflexion, mieux valait certainement prendre le risque de sauter du haut de la falaise.

Sauve qui peut !


En lieu et place de quoi, plutôt que de souquer la grand voile de Napster, les maisons de disques ont préféré fabriquer des rames pour essayer de garder le contrôle de la situation et d’aller de l’avant - ce qui a donné des usines à gaz comme Pressplay et Musicnet, notamment, qui n’ont pas empêché le Titanic de sombrer.

Pire, elles ont mis près de trois ans pour accorder les premières licences à des alternatives légales comme iTunes Music Store, et ont ruiné leur image à coups de procédures judiciaires à l’encontre des internautes, qui n’eurent en réalité d’autres effets que ceux de coups d’épée dans l’eau.

Tout cela pourrait se résumer à quelques mauvais souvenirs - dont la suppression de plusieurs milliers d’emplois dans l’industrie de la musique à l’échelle mondiale, tout de même - si l’on avait su tirer les leçons du passé. Mais il semble que ce ne soit pas le cas. Et personne, encore aujourd’hui, n’a vraiment compris comment on pourrait redresser la barre.

Ce qui ne veut pas dire que dans le lot, certains n’ont pas pigé comment sauver leur peau. Comment ? Par la financiarisation à outrance de l’économie de la musique, ce qui d’ailleurs ne lui est pas propre. C’est aujourd’hui le lot de pans entiers de l’économie mondiale, sur lesquels des milliers de fonds d’investissement privés sont en train de faire main basse.

Que Warner Music ou EMI pèsent deux fois moins en terme de chiffre d’affaires qu’il y a dix ans, qu’ils emploient deux fois moins de personnes, qu’ils produisent deux fois moins d’artistes, cela n’a pas vraiment beaucoup d’importance pour Thomas H Lee Partners, actionnaire principal du premier, ni pour Terra Firma, candidat au rachat du second.

L’essentiel, pour eux, est de pouvoir se sucrer rapidement sur la bête, afin de rembourser au plus vite les prêts contractés pour financer ces acquisitions, et que les dividendes soient au rendez-vous.

Que les portefeuilles d’artistes aient à subir une nouvelle cure d’amaigrissement, que de nouvelles charrettes de plusieurs centaines de professionnels de la musique soient réduites au chômage, tout cela ne relève finalement que des dommages collatéraux. L’important, c’est que les restructurations et les réductions des coûts menées tambour battant permettent de renouer rapidement avec la croissance.

Et qu’à cela ne tienne s’il faut remercier certains hauts dirigeants pour leur gestion désastreuse de la crise et leur manque de vision et d’anticipation avec un gros chèque, comme celui, de 4,6 millions de livres, que devrait recevoir le Français Alain Lévy, éjecté récemment de la tête d’EMI Music.

Le faux divorce des artistes et du public


Dès lors, je comprends que vous, artistes, vous interrogiez, et que vous vous soyez enfermés dans un certain mutisme, le temps d’une minute de silence symbolique, à l’occasion de la Fête de la musique.

Pourtant, nous n’avons jamais autant vécu en musique. Nous n’avons jamais autant écouté votre musique. Nous ne l’avons jamais autant aimée. Nous ne vous avons jamais autant aimés. D’où vient donc ce sentiment que le public et les artistes sont presque en instance de divorce aujourd’hui ?

En réalité, tout nous rapproche. Parce qu’en tant qu’ouvriers de la création, dont le quotidien est fait de précarité et de prise de risque, ce qui est somme toute le propre de tous les métiers de la création, vous nous ressemblez de plus en plus.

Ou plutôt nous vous ressemblons de plus en plus, au fur et à mesure que les mutations technologiques et économiques en cours nous contraignent à réinventer chaque jour notre avenir, nos métiers, notre culture, notre société, et à trouver de nouveaux repères, à recréer du lien social, ce en quoi la musique, votre musique, nous aide parfois beaucoup plus que n’importe quoi d’autre.

Cette précarité et cette culture de la prise de risque permanente que vous avez choisi d’assumer dès le départ en tant qu’artistes, même si vous saviez qu’au final, statistiquement, il y aurait peu d’élus, nous sommes chaque jour de plus en plus nombreux à devoir l’assumer aussi comme vous.

D’une certaine manière, vous êtes nos grands frères et nos grandes sœurs, parce que votre statut préfigure plus que jamais celui qui sera bientôt aussi le nôtre : celui de l’intermittence. Et à cet égard, vous êtes pour nous des modèles.

Par la diversité de votre création, par votre grande capacité d’adaptation, vous n’avez pas démérité dans ce rôle. Mais par notre fidélité, par notre amour grandissant de la musique, nous, le public, n’avons pas démérité non plus.

Toute la création de valeur de ces dernières années, même si elle ne vous a pas encore directement profité, c’est nous qui l’avons suscitée, créée ou soutenue, par l’invention et par l’adoption de nouvelles pratiques, par la définition d’une nouvelle sociologie de la musique, qui se fonde sur des valeurs d’échange et de partage. Ne sont-ce pas aussi des valeurs que vous privilégiez ?

Il n’est pas encore trop tard pour renouer le dialogue, ni pour réfléchir à la meilleure manière de mener, ensemble, notre barque. Car nous sommes tous, public et artistes, dans le même bateau.

Contre le vent par la force du vent

S’il est un enseignement que nous devrions tirer ensemble des épisodes précédents, c’est un très vieil enseignement que les philosophes nous ont déjà donné dans l’Antiquité : tout l’art de la voile consiste à avancer contre le vent par la force du vent.

Le vent du piratage ne continue de souffler que parce que l’inertie de certains, qui s’échinent à ramer à contre-courant, maintient un statu quo dommageable pour tous.

C’est par la force des nouvelles pratiques d’échange et de partage qui se sont développées et qui continuent à se développer sous des formes de plus en plus riches et élaborées - hier sur les réseaux peer-to-peer, aujourd’hui sur les blogs et via des plates-formes d’hébergement comme Rapidshare, ou encore sur les réseaux sociaux et le Web 2.0 - que nous avancerons ensemble contre toutes les idées reçues, contre tous les conservatismes, contre tous les abus, contre tous ceux qui voudraient briser ce lien inaliénable qui nous unit.

Rien ne dit que ces pratiques-là, en particulier, seront adoptées par le plus grand nombre, ni qu’elles constitueront la seule manière de consommer de la musique. Le CD et le téléchargement continueront à adresser d’autres segments de marché.

Peut-être y aura-t-il de moins en moins de gens pour acheter des disques au supermarché ou dans les surfaces spécialisées, et de moins en moins de supermarchés et de surfaces spécialisées pour en vendre. Mais d’autres continueront à en acheter par correspondance sur Internet.

Un certain nombre s’abonneront à des banques de 600 000 albums comme MusicMe ou Rhapsody. Certains préféreront le modèle de radio personnalisé de Last.fm ou les forfaits de téléchargement de eMusic. Et le plus grand nombre continuera à écouter le dernier single de Linkin Park, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’avant-dernier, sur des radios FM formatées.

Enfin, il y a ceux qui constituent peut-être votre meilleur public, et qui privilégient des pratiques communautaires de partage et d’échange.

Parce ce que ces pratiques sont le fait des plus passionnés et des plus prescripteurs d’entre nous, de ceux qui sont le plus à même de réhabiliter et de faire vivre des pans entiers du patrimoine de la musique enregistrée, il est indispensable de les autoriser et d’imaginer des moyens de les monétiser. Ne répétons pas la même erreur qu’avec Napster.

Qui sont les vrais pirates ?

D’ailleurs, ceux qui se livrent à ces pratiques consentent déjà à payer, et la difficulté n’est pas vraiment d’obtenir ce consentement. Parfois même, ils s’acquittent d’un abonnement mensuel à Rapidshare pour le simple plaisir de partager avec d’autres leur passion pour des phonogrammes qu’ils ont dûment achetés, alors qu’ils pourraient s’en tenir à les écouter dans leur coin.

Et ils manifestent la plupart du temps un profond respect pour les artistes qui les ont enregistrés.

Quant à ceux qui téléchargent les albums qui sont ainsi mis à leur disposition, ils consentent à payer eux aussi, pour plus de commodité, un abonnement à Rapidshare. Sauf que cet argent n’atterrit pas dans vos poches, et c’est ce qu’il faut changer.

Vous vous demandez quelle place tous ces gens-là accordent dans leur coeur à la musique, et quelle place ils veulent lui voir accordée dans notre société. La réponse tient simplement en trois mots : la première place. Vous me permettrez de douter, en revanche, qu’il en soit de même dans l’esprit de certains financiers qui s’intéressent aujourd’hui d’aussi près au business de la musique.

Les vrais pirates ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

(1) Tout le monde n’a pas réagi de la même manière, puisque les labels indépendants britanniques regroupés au sein de l’AIM, notamment, avaient accepté de licencier leur catalogue à Napster.


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13 réactions à cet article    


  • Valerie H 25 juin 2007 10:16

    Très intéressant « état des lieux » !


    • Philippe Astor Philippe Astor 25 juin 2007 11:33

      Bonjour Demian, je crois que tu m’as lu de travers. 1/ Je ne chiale pas. 2/ Je ne suis pas de ceux qui exigent que la musique soit gratuite. Simplement, je suis soucieux de clarifier une certain nombre de choses dans le discours à sens unique ambiant.

      D’ailleurs, je t’invites à écouter les interventions des artistes (en video) sur le site CHUT dédié à leur opération. De manière assez surprenante, il n’est pas du tout à sens unique.

      http://chutleblog.typepad.fr/chut2/


    • Muadib 25 juin 2007 15:06

      L’artiste Demian West a parlé, il n’acceptera pas que ses toiles soient échangées sur le net.

      Ce dont on lui sera gré d’ailleurs.


    • Vincent 25 juin 2007 15:45

      je remarque que les com de demian sont, comme à son habitude, très constructifs et argumentés !!


    • Jael 25 juin 2007 17:53

      Demian West vous êtes sans doute un génie. Génie incompris comme il se doit n’est-ce pas ? Vous faites dans la provocation sur des sujets que vous ne maitrisez manifestement pas...

      Votre vision de la chose est si grotesque que vous devez être sponsorisé par Universal. Vous écrivez sans doute ses lignes infames avec une casquette « Warner ». Quand à ce que vous appellez de la désinformation c’est au contraire une analyse clairvoyante de la situation actuelle. Retournez à votre « art » et laissez en paix les grands discuter des choses que vous ne comprenez pas.


    • Forest Ent Forest Ent 25 juin 2007 14:22

      Excellent article.

      Une précision : une des raisons qui ont poussé les majors à refuser internet est qu’elles faisaient partie d’ensembles plus vastes ayant d’autres intérêts.

      A l’époque, WMG appartenait à Time Warner, UMG à Vivendi, BMG en partie à Sony, tous groupes investis également dans la vidéo, internet, ... Leur stratégie de « grande convergence » à la Messier s’est trouvée prise totalement à contrepied.

      Or il y a pour elles beaucoup plus grave que la perte du marché musical : la perte du marché vidéo, 5 fois plus important et enjeu de pouvoir politique.

      La « guerre » que la RIAA et la MPAA ont lancée contre les internautes se joue maintenant sur youtube entre Viacom et Google. Les créateurs de musique en sont les otages.


      • chatsauvage 25 juin 2007 18:09

        Je crois que maintenant l’habitude est prise et de toute manière, que les majors de l’industrie du disque récoltent l’argent d’un côté ou d’un autre, ils nous le prennent quand même.

        Sony et Philips vendent de la musique, des lecteurs et/ou graveurs de DVD, les supports eux-mêmes, et qui sont tous taxés. Que l’argent leur vienne d’un côté ou de l’autre, peu leur importe au fond.

        Ils ne changeront de politique que s’ils ont quelque chose à perdre, et je ne pense pas que pour l’instant ce soit le cas, et le pire, c’est qu’on ne peut même pas menacer de les boycotter, puisque si on le faisait, ce seraient les artistes et les équipes qui les accompagnent qui en souffriraient.

        Et nous aussi par la même occasion, puisque nous nous priverions de l’art qui est si cher à nos cœurs.


        • ckl.kookus 25 juin 2007 23:35

          Vaste débat ...

          On parle souvent des majors (Universal / Sony BMG / EMI / Warner qui représentent environ 70% du marché mondial), mais relativement peu des labels indépendants (les autres).

          Quel impact du piratage (au sens large) sur ces structures ? Il semblerait que le temps ne soit pas au beau fixe non plus pour certains indés même s’ils avaient été quelque peu épargnés lors des premières vagues ... Certaines structures ont subies de plein fouet cette mutation du marché (Overcome Records, Warpath Records dans le domaine Metal par exemple) et se sont cassées la gueule.

          Est-ce souhaitable ? Rien n’est moins sûr. Tant la mort des majors qui vampirisent les artistes (marges sur un titre sur iTunes & co ?) ne m’arrachera probablement que des sourires sadiques, tant la disparition de certains labels qui sont véritablement des aubaines et des faire-valoir pour les artistes me semble tout à fait préjudiciable.

          Devant les nouvelles possibilités technologiques le simple fait d’acheter un disque devient un presque un acte militant : ne pas acheter un disque d’un major c’est participer à la déchéance de ce type d’agglomérat purement financier. Soutenir un label ou directement un groupe en achetant ses productions, c’est participer au dévellopement d’une scène en laquelle on se reconnait.

          Mon choix est fait. A chacun de faire le sien.

          Pour les curieux, une interview croisé de cinq gérants de labels « underground » indépendants oeuvrant dans le milieu du Metal extrême :

          http://darkmag.net/interviews/44/

          C’est très instructif.

          Extrait choisi :

          « I.T : Les gens qui téléchargent à gogo et qui ont une collection à 99 % virtuelle (ce qui n’est donc pas une collection ou une discothèque) n’achèteraient de toute façon pas l’album. C’est une vision des choses. Vision que je ne partage pas mais je ne vois pas d’issue à cet état de fait. Non, ce n’est pas la rançon de la gloire. Comme tout ce qui est gratuit, les gens se jettent dessus comme des morts de faim. J’aimerais connaître le pourcentage de personnes qui téléchargent un album et qui l’achètent par la suite, je sais que beaucoup disent faire ça mais dans la pratique est-ce bien vrai ? Comme je disais, tout est affaire de conception par rapport à l’art et au produit en tant que tel. Si tu soutiens vraiment un artiste, tu achètes son disque, c’est fort logique, après si la musique n’est qu’un simple passe-temps avec toutes les connotations péjoratives de l’expression, soit. Si les gens qui téléchargent sauvagement sont satisfaits comme ça, grand bien leur fasse, je ne vois pas ce que je pourrais y faire personnellement. J’ai un ami qui n’a même pas de matériel hi-fi chez lui, toute la musique qu’il écoute passe par son ordinateur. Même quand il achète des disques, car il en achète, il n’écoute pas le disque. Quand il le reçoit, il le rippe en mp3 sur son ordinateur, range le CD dans le boîtier et ne le ressors plus jamais, il regarde l’artwork de temps en temps. Encore une fois, tout est affaire de conception, j’espère que je ne viendrais jamais à écouter de la musique seulement avec mon ordinateur car je trouve ça vraiment triste. De toute manière, je dois dresser un constat pessimiste sur le sujet, je crois qu’on va vers ça et pas seulement pour les disques. Tout doit être plus rapide, plus numérique, prendre moins de place, les gens n’aiment plus les supports, ils veulent des données plutôt, c’est vachement plus fun. C’est une évolution qui même si je ne l’apprécie pas semble indéniable et surtout dévastatrice quand on observe un peu comment fonctionne le monde actuellement. A quand le nouvel album de Darkthrone en clé usb en magasin ? On va se marrer tiens... » Source : Darkmag.net.

          Aller, au plaisir !


          • Philippe Astor Philippe Astor 26 juin 2007 11:03

            Très bon commentaire CKL, merci. C’est vrai que les labels indépendants souffrent particulièrement de la crise. Et qu’ils ont besoin d’aide.

            J’ai eu l’occasion de rencontrer les gens d’Overcome il y a deux ans, c’était des battants, qui avaient réussi à reconstituer tout un réseau de distribution pour les musiques extrêmes, relancé leur vente par correspondance, et qui avaient alors des projets très intéressants dans le numérique.

            Je regrette autant que vous qu’ils aient mis la clé sous la porte. D’ailleurs à l’époque, ils n’ont bénéficié d’aucune aide des pouvoirs publics pour franchir le cap du numérique.

            Malgré tous leurs efforts pour redorer le blason de ces musiques, et les faire valoir comme une culture populaire à part entière, le ministre de la Culture d’alors (RDDV) n’a pas jugé utile de lever le petit doigt pour eux.

            Il y avait alors des dossiers bien plus urgent pour monsieur RDDV, comme le vote de la loi DADVSI.

            Par contre, on voudrait accorder des crédits d’impôts aux filiales de majors. Et aus indés aussi, bien sûr, mais ce genre de dispositif d’aide ne bénéficie qu’à ceux qui font des bénéfices et paient des impôts sur ces bénéfices. Et il y a peu de labels indés dans ce cas, malheureusement.

            Au delà de la gène que j’éprouve à l’idée que les pouvoirs publics soutiennent financièrement, et sans qu’aucune contrepartie ne soit discutée a priori, des filiales de multinationales dont les actionnaires n’hésiteront pas à fermer leurs bureaux en France du jour au lendemain si leurs dividendes l’exigent, au delà du fait que ces filiales françaises de majors sont elles aussi des petites PME dont la disparition serait dommageable pour la production française, je me pose sérieusement la question de la pertinence de cette politique de soutien.

            Je ne défends pas le comportement boulimique de ceux qui « téléchargent à gogo » sans jamais rien payer. Je considère justement dans cet article que c’était un erreur de ne pas essayer de faire payer les utilisateurs de Napster à l’époque.

            Maintenant, que les nouvelles générations n’aient plus le même rapport au support physique, c’est une autre affaire. En même temps, elles ont un rapport beaucoup charnel avec les artistes, qu’elles vont voir de plus en plus sur scène. Et s’interroger sur les moyens de soutenir et d’accompagner cette propension à se tourner vers le spectacle vivant ne serait pas idiot.

            Vous évoquez la situation des labels indés (qui n’ont quasiment plus de distributeurs aujourd’hui, en dehors des agrégateurs numériques), mais qu’en est-il de celle des petites salles de concert ? Elle n’est pas bien meilleure, et c’est tout aussi dommageable, y compris pour les artistes et pour les labels, qui ont tout intérêt à se diversifier dans le développement de leurs artistes sur scène et à en tirer des revenus.

            Ce serait un tort, par ailleurs, de ne pas chercher à mettre à profit - voire même capitaliser sur - la propension des nouvelles générations à échanger, partager, prescrire la musique autour d’elles et à créer du lien social et des communautés à travers elle, pratiques qui ont toujours existé d’une certaine manière (combien de LP des copains ai-je copié sur des K7 à l’époque...) mais qui prennent aujourd’hui une nouvelle dimension avec Internet.

            Dans le budget de plusieurs dizaines d’euros que je consacre à la musique chaque mois, je préfèrerais que les 10 euros d’abonnement que je verse ponctuellement à Rapidshare ou à d’autres hébergeurs aillent dans les caisses d’une société RapidMusicShare ayant pignon sur rue et qui reverserait une partie conséquente de ses revenus aux ayant droit.

            Les nouvelles pratiques d’échange qui se développent via Blogspot et des services d’hébergement comme Rapidshare portent dans leur grande majorité sur du back catalogue et même sur du très vieux fond de catalogue auquel elles redonnent une seconde vie.

            C’est d’autant plus encourageant que, comme l’a constaté le sociologue de la musique et auteur-compositeur François Ribac dans une étude récente, il n’y a plus aujourd’hui de fossé générationnel en matière de musique. Les jeunes d’aujourd’hui peuvent autant apprécier Hendrix, Led Zep et les Beatles qu’Eminem ou 50 Cent.

            Mon fils de 11 ans, qui écoute beaucoup de rap, se trémousse aussi sur Aerosmith ou Wishbone Ash lorsque j’en écoute. Et ma fille de 18 ans apprécie autant les Rolling Stones que Nickelback ou Nine Inch Nail. Les parents ne considère plus (ou de moins en moins) que la musique des jeunes est de la merde et vice versa.

            Non contente de créer du lien social, la musique crée donc aussi du lien intergénérationnel. Ce n’est pas une vue de l’esprit, ce sont des sociologues qui le constatent. Si ce n’est pas de la culture, si ça ne constitue pas une transmission d’un patrimoine, alors c’est que je ne comprends rien.

            Réfléchissons simplement au moyen de valoriser tout ce patrimoine de la musique enregistrée, de monétiser cette transmission de patrimoine, sans chercher à se gaver dessus en imposant un copyright trop restrictif.

            L’idée qu’un ado puisse télécharger des dizaines d’albums des années 60, 70 ou 80 dont la production a déjà été largement amortie contre un forfait de 10 € par mois ne me choquerait pas. Rappelez-vous ce qu’étaient les clubs de vente par correspondance des majors, qui bradaient des albums de back catalogue sortis il y a tout juste 18 mois pour quelques malheureux francs prélevés tous les mois.

            Dans les faits, ces jeunes férus de musique paient des abonnements à Rapidshare. Ca ne changerait rien pour eux de les payer à RapidMusicShare, et ce serait une nouvelle manne financière pour les labels, y compris les labels indépendants, puisque quantité d’albums indés des années 80 (des Hot Pants, des Sherifs, des Batmen, d’OTH...) s’échangent sur les blogs et dans les forums aujourd’hui.

            Dans cette affaire, soyons pro-actifs et non pas réactionnaire.

            En parallèle, il faut bien sûr se poser la question de la politique culturelle à mener et du soutien à apporter à l’industrie du phonogramme, qu’elle soit indépendante ou non. A mon sens, la définition de cette politique repose d’abord sur la négociation.

            D’accord, par exemple, pour étendre les droits voisins sur les enregistrements à 75 ou même à 95 ans (contre 50 aujourd’hui), comme le réclame l’industrie phonographique, à condition d’autoriser les échanges que j’évoquais plus haut, dans un cadre légal bien sûr, en les monétisant de manière raisonnable sur le modèle de l’abonnement. Ce serait faire du donnant-donnant. Et c’est je pense ce qu’il faut faire.

            En ce qui concerne le soutien à la production indépendante, je crois salutaire également d’encourager des initiatives comme le MILA à Paris, dans le 18ième - mise à disposition de locaux à loyers modérés par les HLM de Paris à des petites pépinières d’entreprises culturelles, en favorisant le partage de ressources (salles de réunion, équipements divers) et de compétences, avec un minimum de soutien financier et logistique des collectivités locales. C’est une initiative qui est en train d’essaimer et c’est heureux.

            Il me paraît également indispensable de soutenir toutes sortes d’initiatives innovantes en matière de distribution indépendante. Je ne parle pas de distribution numérique mais de distribution physique, puisqu’on ne peut pas vraiment compter dans ce domaine sur les surfacers spécialisées ou sur les supermarchés, qui se désengagent du disque.

            On pourrait réfléchir au développement de la vente itinérante sur les marchés, par exemple, à la reconstitution d’un tissus de disquaires de proximité sur la base de nouveaux concepts de magasins (des lieux ou l’on séjourne, se sustente, écoute de la musique, navigue sur le net, joue en réseau, échange, se rencontre, etc.). Je ne suis pas détenters de toutes les idées qui peuvent survenir dans ce domaine.

            Des fonds ont été débloqué par l’Etat pour financer ce genre d’initiatives. Encore faudrait-il qu’ils ne soient pas toujours raflés par les mêmes cercles parisiens et que l’Etat soit moins mauvais payeur.

            Je suis de ceux qui sont convaincus de la nécessité de lancer un véritable plan Marshall pour la musique. Il y va de l’avenir de notre politique d’exception culturelle en la matière. Ce n’était pas un enjeu de l’élection présidentielle. La culture dans son ensemble n’était pas un enjeu de cette élection. Et c’est bien dommage.


          • hadrien 26 juin 2007 10:02

            Bel article !

            J’avais laissé un message similaire sur un autre sujet mais :
            - 1 album téléchargé n’est pas égal à un album non acheté
            - personne n’écoute ses 40 ou 60 gigas de musiques
            - les maisons de disque se sont permises la ventre d’un même album sur au moins 3 supports différents (t’as acheté le disque, achète la cassette pour ton Wlakman et tiens, vla le CD car tu peux plus écouter le reste....)
            - la durée de farbication d’un album a été diminuée par 10 depuis des décennies principalement grâce au numérique, ces baisses de frais n’a jamais été repercutées sur le prix final consommateur
            - depuis que les maisons de disques n’ont plus le monopole, le niveau remonte !

            Je ne suis pas pour le gratuit, loin de là, mais pour la chasse impitoyable à ceux qui se sucrent sur le talent d’un autre ! L’argument aussi qui veut que la maison de disque prend des risques et produits seraient valables si le dernier Halliday etait moins cher que les ptits inconnus, ce n’est pas le cas non plus !


            • Simplet Le Jeune Simplet Le Jeune 27 juin 2007 02:20

              Un détail me chicote fortement, il s’agit du chapitre concernant l’intermittence dans lequel un léger mais malheureux amalgame m’interpelle.

              D’abord parce que si les conditions standards du travail d’un courageux lève-tôt se rapproche de l’intermittence, je n’ose imaginer ce qui sera accordé à ces feignants d’artistes (l’art ne saurait être qu’un loisir, après tout...)

              Mais surtout (tant qu’ils existent) parce que les véritables lésés du « piratage musical » - du moins ceux qui méritent mon attention - ce sont les auteurs et les compositeurs, qui en tant que tel n’ont pas accès à ce statut (à moins d’être interprètes). Donc (à moins de passer en boucle à la radio, ce qui exclut d’office les p’tits nouveaux) pour eux c’est une perte totale de leur unique revenu.


              • Philippe Astor Philippe Astor 27 juin 2007 10:10

                Il ne s’agit pas de ne plus rémunérer les auteurs. Si vous considérez des services Web 2.0 come Blogmusik ou Jiwamusic, par exemple, des accords ont été passés avec la SACEM qui rémunèrent les auteurs.

                L’intermittence est un moyen de sécuriser le parcours professionnel des « travailleurs » du spectacle et des métiers de la création, pas seulement celui des artistes (une majorité de techniciens sont concernés). Le régime diffère du régime général des Assedics en raison du caractère précaire de ces professions.

                Plus notre parcours professionnel se précarise, plus l’intermittrence est un modèle dont on est susceptible de s’inspirer pour le sécuriser un tant soit peu, ce qui est l’objectif aujourd’hui de la droite comme de la gauche.

                Vous faites bien de souligner que les auteurs-compositeurs n’en bénéficient pas, de même que les écrivains, par exemple, et ce ne sont pas ceux qui, à quelques rares exceptions près, roulent le plus sur l’or dans ces métiers. En moyenne, un sociétaire de la Sacem touche moins de 1000 € par an en France. Et comme quelques uns touchent plusieurs M€, on peut aisément imaginer qu’ils sont très nombreux à ne rien toucher.

                Alors effectivement, on peut se poser la question du contrat social qui nous lie aux auteurs-compositeurs, et s’interroger sur la manière dont il doit être rédéfini à l’heure d’Internet et d’une très forte propension au mashing (réutilisation d’oeuvres originales pour faire des remix).

                Cela dit, la Sacem n’a connu qu’en 2006 une légère érosion de ses perceptions (- 0,2 %), la première depuis 1992, malgré la crise du marché des supports enregistrés (avec des perceptions en baisse de 10,2 % l’an dernier). Les revenus provenant de la redevance pour copie privée ont décliné eux aussi, de 4,6%.

                Ces baisses de ressources, qui concernent aussi celles provenant des stations de radio (- 5,5 %), sont compensées par par les gains obtenus dans les secteurs émergents du multimédia, de l’Internet et de la téléphonie mobile qui, bien qu’encore marginaux, ont progressé de 23,2 % en 2006, par une hausse continue des perceptions en provenance des médias audiovisuels et par la progression des droits généraux (+ 5,9 %), dont ceux en provenance des concerts (+ 13 %) représentent un bon quart.

                Dès lors, on ne peut pas dire que les auteurs-compositeurs soient à l’heure qu’il est les plus exposés à la crise.


              • Simplet Le Jeune Simplet Le Jeune 27 juin 2007 11:11

                Je suis globalement d’accord (quoique même si les auteurs touchent peu, cela n’amoindrit pas leur qualité de victime), et mon propos tenait surtout à compléter l’article en précisant que les vraies victimes aussi sont pas toujours celles que l’on croit... smiley

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