Dans la longue liste des rois de France, grande popularité est octroyée à ceux qui surent faire montre de panache et de munificence. Pourtant force est de reconnaître que cela lénifie singulièrement le rôle de souverains plus effacés mais tout autant, si ce n’est même plus, efficaces en matière d’affaires intérieures comme extérieures. J’avais déjà évoqué il y a plusieurs mois l’action de Charles V, un lettré sur le trône. Il me restait à présenter cette autre figure qui décida du sort du royaume de France en des temps tout aussi troublés : Louis XI (1423-1483), un bourgeois sur le trône.
Un roi disgracieux
Les chroniqueurs s’accordent unanimement sur un point : Louis XI était tellement négligé d’un point de vue vestimentaire que cela n’en rajoutait que davantage à son inélégance physique. Il est vrai que d’extérieur ce petit être juché sur des jambes grêles portant jusqu’à usure apparente des vêtements élimés avait de quoi plonger tout observateur dans un scepticisme réel quant au statut royal de l’intéressé.
Outre son physique peu engageant (entre autres particularités un nez « fort » comme on l’exprime diplomatiquement et un taille peu propice à surplomber ses adversaires), il est évident que Louis XI tranche avec l’apparat de ses prédécesseurs. C’est là aussi un trait de caractère qui ne le rendit guère populaire auprès de la noblesse. Difficile de démêler à ce titre ce qui relève du calcul et de la simplicité naturelle, peut-être même les deux s’entremêlent-ils dans les desseins du souverain…
L’universelle araigne
Car l’homme est un roué, un maître ès ruse et coups tordus. Sa première victime fut son propre père, Charles VII (celui dont le trône fut sauvé par l’intervention de Jeanne la Pucelle, dite d’Arc), dont le désamour fut réciproque. Envoyé au Languedoc à l’âge de seize ans révolus seulement, le dauphin se montre plus qu’habile puisqu’outre la pacification de cette province et la vivification économique de celle-ci, il s’allie aux seigneurs locaux dans une fronde contre le pouvoir royal que l’on dénommera la Praguerie [1]. Les années suivantes n’amélioreront en rien les rapports père-fils, et les succès militaires comme diplomatiques du futur Louis XI n’aidèrent pas à calmer le jeu malgré toute la volonté royale de l’éloigner en lui confiant des missions périlleuses. Ce fut par ailleurs lors d’une de ces tâches qu’il lui fut loisible de mesurer toute l’ardeur de l’infanterie Suisse qu’il eut à affronter [2] et dont il saura se souvenir lors de son épique conflit avec Duc de Bourgogne.
Revenu à la cour, détestant la maîtresse de son père, la superbe Agnès Sorel [3], et la vie dispendieuse qui y est menée, le dauphin se rapproche de sa mère Marie d’Anjou, reine délaissée. Et mieux y parfaire ses manigances de couloirs. Afin de le calmer après une altercation avec sa favorite, Charles VII décide de lui octroyer le Dauphiné qui aurait dû depuis longtemps échoir à l’héritier du trône comme s’était instaurée la coutume à partir de Charles V. Louis XI une fois encore y fera montre de réelles capacités d’innovation comme de bonne gouvernance : justice, économie et armée, le succès est effectif à tous les niveaux.
Cette réussite attisa le courroux de son père qui… attaqua l’apanage de son propre fils ! Sachant évaluer un rapport de force défavorable, Louis XI trouve refuge à la cour d’un des plus puissants seigneurs du Moyen-Âge Européen : le Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, père de Charles le Téméraire. Ce dernier lui accordant l’asile dans des conditions très favorables au château de
Genappe. Une telle réclusion dorée n’en sera pas moins active car Louis tisse inlassablement sa toile et son réseau d’informateurs oeuvre sans discontinuer. Et il fait bien de s’enquérir de la santé du royaume comme de son maître puisque son père disparaît victime d’une septicémie après un arrachage de dent ayant déclenché une infection.
Un dirigeant effacé, un royaume rutilant
Enfin roi en l’an 1461, Louis XI ne perd pas de temps : il revient en France à toute allure se faire sacrer à Reims sitôt l’annonce officielle, pressé de mettre en application toute sa maestria de gouvernant.
Son ancien protecteur, Philippe le Bon, comprend dès le début du règne que Louis XI ne sera pas un souverain lige mais bel et bien une épine conséquente dans le pied de ses ambitions territoriales. Inquiétude d’autant plus justifiée que la victoire de
Castillon en 1453 a définitivement éloigné la menace Anglaise du sol Français. En outre le royaume France s’est considérablement renforcé militairement ces dernières années, y compris sous Charles VII qui avait entrepris de moderniser l’armée pour ne plus faire place à l’amateurisme des osts féodales.
La prise de villes de la Somme, appartenant logiquement au Comte de Charolais qui n’est autre que Charles le Téméraire, dresse contre lui la Ligue du Bien public. Ligue qui réunit grands seigneurs de France, de Bourgogne et de Bretagne. La bataille qui se déroule à Monthléry en 1465 n’aboutira à aucune décision convaincante pour les deux camps. Louis XI prend parti alors de faire ce qu’il maîtrise à merveille : négocier pour éviter de faire gonfler davantage la coalition ennemie et rogner sur les concessions accordées par touches progressives les années suivantes.
En 1467, Philippe le Bon décède, laissant son fils Charles seul aux commandes d’un très riche duché mais éclaté en deux parties territoriales distinctes, bloqué à la fois par le duché de Lorraine comme par le royaume de France dans son inclination à la création d’un domaine uni. Pendant que Louis XI s’occupe à mater la noblesse féodale dont il a pu récemment mesurer toute la capacité de nuisance, Charles le Téméraire se rapproche de l’Angleterre par son mariage avec la sœur du roi, visant à s’assurer d’un allié puissant lorsque le conflit sera ouvert avec la France.
Tout sépare Louis de Charles. Là où l’un se distingue par son aspect maladif et malingre, l’autre est de nature vigoureuse et de belle stature. L’un est souple et clair dans l’édification de sa toile tandis que l’autre est tout aussi entêté que brouillon diplomatiquement. Et enfin l’un est patient et sage là où l’autre est hyperactif et excessif.
C’est pendant sa tentative de contrecarrer indirectement la volonté d’expansion de son voisin Bourguignon que Louis XI va commettre l’une des rares imprudences de son règne : l’entrevue de
Péronne en 1468 va tourner au cauchemar, obligeant le roi de France à parjurer ses soutiens flamands alors en rébellion contre le duc. Impulsif et colérique, le duc de Bourgogne manque même de le passer par le fil de l’épée, se « contentant » d’obtenir la Champagne en apanage, disposant de la sorte d’un pont entre les deux entités bourguignonnes. Cette victoire agrandissant dans le même temps l’appétit de Charles qui entrevoit de futures conquêtes sur les marches de son duché.
Seulement Louis XI une fois libre revient sur sa parole, avançant avec ses légistes des motifs de non respect du traité signé sous la contrainte. Charles furieux de ce retournement estime qu’il faut en finir militaire et à cette fin dévaste le nord du royaume, Amiens subissant de plein fouet la fureur du Téméraire. Néanmoins contre toute attente, Beauvais va par sa résistance acharnée empêcher la progression du duc qui devra se tourner sur d’autres fronts pour éviter de s’enliser inutilement dans un siège consommateur de ressources. Louis XI soudoie ou appuie toutes les forces susceptibles de contrer les ambitions hégémoniques de Charles. Et ce sont justement les Suisses, alliés du roi de France, qui infligeront deux terribles défaites à la puissante armée bourguignonne :
Grandson et
Morat. Esseulé de tout renfort Anglais par le traité de Picquigny entre la France et l’Angleterre conclu un an plus tôt, Charles le Téméraire dont le manque de tempérance est criant va se lancer dans une fuite en avant létale.
Epilogue : prospérité et unité
La dernière geste du Téméraire trouvera sa conclusion sous les remparts de
Nancy après un siège mené en dépit du bon sens où la découverte de son cadavre mutilé par les coups d’épée et les crocs des loups sonnera le glas des ambitions démesurées du plus redoutable adversaire de la royauté Française.
Louis XI n’en a pas pour autant tout à fait terminé avec l’affaire bourguignonne puisque la fille de Charles le Téméraire, Marie, est marié à Maximilien d’Autriche qui entend bien ne pas se laisser déposséder de la formidable dot territoriale de sa fraîche épouse. Indécis pendant cinq années où les escarmouches se succèdent, la situation est réglée de guerre lasse à la mort de Marie : les deux monarques signent le traité d’Arras en 1482 et se partagent la Bourgogne. Après tant de sacrifices et de retournements de situation, la France est sortie vainqueur des luttes à répétition contre l’ennemi Anglais puis Bourguignon.
Toute cette activité militaire n’empêcha aucunement des réformes de se mettre en place, Louis XI se souciant de rentrées d’argent pérennes pour la mise en œuvre de sa grande politique. Pour ce faire, il redonne plein essor aux foires, améliore les infrastructures routières, supprime les péages entre les fiefs et stimule l’exploitation minière. Le roi ne se contente pas de la sorte à ponctionner ses sujets mais vise à valoriser le pays en intervenant largement dans le champ économique tout en veillant à disposer d’une administration efficiente quant à la gestion des deniers.
Le 25 août 1483 s’éteint celui qui inlassablement avait comploté pour un objectif unique : assurer au royaume de France un avenir prometteur et rayonnant. Laissant à son fils, le jeune Charles VIII, la charge de prendre les rênes du plus puissant Etat occidental d’alors, mais ceci est une autre histoire…
[1] S’il est attesté que Jean II d’Alençon fut l’instigateur du complot avec d’autres grands seigneurs, la vivacité d’esprit de Louis XI ainsi que sa rancune persistante à l’égard de son père l’amenèrent à devenir la caution politique de cet affront.
[2] En 1315, les Autrichiens apprirent à leurs dépens toute la qualité des montagnards Suisses à
Morgarten où 9 000 soldats ne purent venir à bout des 1 500 combattants helvètes.
[3] Que l’on ne saurait réduire à un rôle d’oie blanche. La favorite du roi d’alors savait défendre ses intérêts et ceux qui lui étaient proches, sans compter les largesses de Charles VII à son égard comme ce manoir offert à Nogent-sur-Marne.