Elle a sans doute été l'une des plus grandes musiciennes du 19e siècle avec les Allemandes Fanny Mendelssohn et Clara Schumann. Mais si l’on parle encore de la sœur du génial Félix Mendelssohn et de l’épouse du tourmenté Robert Schumann, la Française est, quant à elle, tombée dans un oubli presque total, y compris sur le territoire national. Une indéniable injustice...
Jeanne-Louise Dumont naît le 31 mai 1804 dans une famille d’artistes : son père, Jacques-Edme Dumont est un sculpteur renommé, et sa mère, Marie-Élisabeth Courton, est apparentée à la famille Coypel dont plusieurs membres ont été des peintres célèbres. Tandis que son frère aîné, Auguste Dumont, suit la voie du père en devenant lui-même un talentueux sculpteur, c’est vers la musique, et plus particulièrement le piano, que se tourne Louise.
Très vite, la jeune fille montre des dispositions pour l’instrument. Á tel point, si l’on en croit le redouté critique et musicologue belge François-Joseph Fétis, qu’après avoir reçu dans un premier temps l’enseignement d’une élève de l’Italien Muzio Clementi, elle bénéficie des conseils de deux autres grands pianistes et compositeurs : le Slovaque Johann Nepomuk Hummel et l’Allemand Ignaz Moscheles. Trois musiciens européens de renom qui, directement ou par personne interposée, contribuent à faire de Louise une pianiste tout à la fois virtuose et capable d’une très grande expressivité.
Un quatrième grand nom de la musique se penche ensuite sur l’éducation de cette jeune fille, manifestement très douée : Antonin Reicha, professeur au Conservatoire national de Paris où Louise, alors âgée de 15 ans, entre en 1819. Sous la houlette du talentueux pédagogue bohémien, elle y apprend l’art du contrepoint et les techniques de composition.
C’est dans cette vénérable institution qu’elle rencontre le flûtiste marseillais Aristide Farrenc, « monté » à Paris en 1815. Tombée amoureuse de cet érudit de culture italienne, Louise suspend ses études à 17 ans pour épouser Aristide en 1821. Un mari éclectique qui, au fil du temps, diversifiera son activité en se faisant éditeur de musique et en rédigeant une importante anthologie intitulée « Trésor des pianistes ». Séduit par le talent de son épouse, Aristide deviendra également son « imprésario ».
Entretemps Louise complète sa formation auprès de Reicha puis compose ses premières œuvres. Il s’agit tout naturellement de pièces écrites pour son instrument de prédilection : le piano. Bien que classiques dans leur forme et leur inspiration, ces pièces démontrent déjà les qualités créatrices de la jeune femme. Il faut toutefois attendre 1840 pour que Louise aborde la musique de chambre, et l’année suivante pour qu’elle entreprenne la composition de sa première symphonie, après avoir pourtant écrit deux ouvertures pour orchestre dès 1834.
Les années « quarante » forment d’ailleurs la clé de voûte de la carrière de Louise Farrenc. Outre le fait qu’elle succède en 1842 à Jean-Louis Adam comme professeur de piano au Conservatoire – un poste qu’elle occupera jusqu’en 1872 –, Louise Farrenc compose en une dizaine d’années : 2 quintettes avec piano, 3 symphonies, 2 trios pour piano, violon et violoncelle, 1 sextuor pour instruments à vents, et 1 nonette pour cordes et instruments à vents. Suivront durant les années suivantes quelques œuvres importantes, et notamment 2 autres trios, l’un pour piano, clarinette et violoncelle et l’autre pour piano, flûte et violoncelle.
Hardiesse et chaleur
Indiscutablement, ces œuvres sont empreintes d’indéniables qualités d’écriture qui placent sans contestation possible Louise Farrenc parmi les grands compositeurs français de l’époque. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter son superbe et très expressif nonette – créé en 1850 avec la participation du grand violoniste Joseph Joachim –, et surtout ses trois symphonies.
Composée en 1841, la symphonie n° 1 est caractérisée d’emblée par la sombre tonalité d’ut mineur, avant d’alterner ensuite, entrecoupés par un cantabile romantique, des thèmes dramatiques et vigoureux qui, mieux qu’un long discours, illustrent l’admiration que portait Louise Farrenc à Beethoven et Schubert. Créée à Bruxelles en février 1845 sous la direction de Fétis, cette symphonie soulève l’enthousiasme du public mais aussi des critiques comme le montre cette appréciation de La Belgique musicale : « ... il peut être donné à une femme de marcher avec succès dans l’épineuse voie des Haydn, des Mozart et des Beethoven. [...] L’œuvre de madame Farrenc dénote du caractère, de la hardiesse et de la chaleur, et les masses instrumentales y sont mises en mouvement avec une entente remarquable des effets. » Bien accueillie à Bruxelles, cette symphonie est également reçue quelques semaines plus tard très favorablement à Paris, dans la salle du Conservatoire, par un public pourtant très difficile. Louise Farrenc fait désormais partie du gotha de la musique, comme le confirmera plus tard Hector Berlioz dans le sillage de Robert et Clara Schumann, admiratifs du talent de la Française.
Les symphonies en ré majeur n° 2 et en sol mineur n° 3, respectivement composées en 1845 et 1847, n’ont sans doute pas la même puissance et le même pouvoir de séduction que l’ut mineur, mais sans atteindre à la qualité des œuvres orchestrales de Berlioz, elles rivalisent sans aucun doute avec les symphonies de cet autre compositeur contemporain de Louise, tout aussi injustement méconnu : George Onslow.
Dès les années 50 Louise Farrenc compose moins. Elle préfère désormais se consacrer à ses cours au Conservatoire et collaborer au prodigieux travail de compilation des œuvres pour clavier depuis le 16e siècle que réalise son époux, organisant même des concerts où elle joue certaines des pièces redécouvertes dans les manuscrits des compositeurs du passé. Aristide décédé le 31 mai 1865, Louise lui succède et publie les années suivantes les derniers volumes du « Trésor des pianistes », un ouvrage monumental qui fait encore référence de nos jours.
Louise Farrenc meurt à Paris le 15 septembre 1875, trois ans seulement après son départ du Conservatoire. Elle laisse une œuvre encore trop méconnue. Certes, l’enregistrement en 2001 de l’intégrale des symphonies par l’Orchestre de Bretagne sous la direction de Stefan Sanderling, puis l’organisation par l’Auditorium du Louvre en 2005 d’un cycle de concerts Farrenc/Schumann ont contribué à sortir Louise de l’ombre. Mais de manière modeste, même si de nouveaux enregistrements sont apparus ici et là, et si le nom de Farrenc apparaît désormais dans des concerts de musique de chambre. Peut-être s’est-elle rendue fautive, comme on le lit parfois, de n’avoir pas composé pour l’opéra en un siècle ou ce genre était particulièrement prisé ? Un péché capital, semble-t-il, si l’on en juge par l’oubli qui a également frappé Onslow, coupable du même crime. Par chance, l’oubli n’est pas forcément définitif. Puisse cet article contribuer, même très modestement, à rendre à cette femme remarquable une part de la reconnaissance que mérite son grand talent.
Par chance, elle commence à intéresser les organisateurs de concerts et les éditeurs de musique. Espérons que ce ne sera pas un effet de mode sans lendemain et que Louise Farrenc sera progressivement mieux connue du public, à l’image du Chevalier de Saint-Georges (18e siècle), durablement sorti de l’oubli par l’éditeur Arion dans les années 70.
Euh... oui, mais à quoi correspond cela ? Il ne s’agit ni d’un site, ni d’une adresse de messagerie habituelle. J’avoue humblement ne pas comprendre comment y accéder.
Les compositions de Louise Farrenc ne manquent pas de charme et je peux comprendre qu’elles vous séduisent puisqu’elles ne sont pas, ici et là, sans rappeler Hummel et Spohr. Mais comme celles de ceux-ci, elle restent en deuxième division et ses dernières oeuvres que j’ai écoutées, une sonate pour violon et un trio, ne m’ont pas mis les poils à la verticale. Votre titre n’est pas encore celui qui convient car elle n’est pas véritablement un grand nom de la musique même si, il me semble, Berlioz a déclaré qu’elle avait un talent rare...pour une femme !
On peut toujours discuter d’un titre, et je peux vous avouer que j’ai hésité entre « grand nom » et « grande dame », avant d’opter pour la première formulation car la seconde eût été réductrice et quelque peu machiste.
Comment d’ailleurs ne pas considérer que Louise Farrenc n’est pas un grand nom de la musique, entre son oeuvre de composition, la part importante quelle a pris dans la rédaction et l’édition du Trésor des pianistes, et sa réputation de pédagogue et de pianiste virtuose ? Il suffit d’ailleurs (Berlioz mis à part) de la comparer aux compositeurs français de son temps, tels Adam, Auber ou Onslow, pour se convaincre qu’elle fait partie des tous meilleurs musiciens de son époque, rivalisant même avec de nombreux compositeurs étrangers beaucoup plus connus qu’elle. J’irai même jusqu’à dire qu’elle vaut un Chopin dont la réputation très flatteuse est nettement plus liée à sa liaison avec George Sand qu’à la qualité de sa musique, exception faite d’une cinquantaine de courtes pièces remarquables pour le piano.
Quant à Hummel et Spohr, ils ont bénéficié de grands honneurs et ont été très longtemps considérés parmi les plus grands avant de voir leur étoile pâlir. Mais les choses vont et viennent, et c’est ainsi qu’au début du 20e siècle, l’immense Mozart était lui-même snobé avc sa « musique pour enfants »...
Je peux vous suivre quand vous comparez Ferrenc à Onslow, Auber ou Adam mais au sujet de Chopin vous délirez ! Ce dernier n’a négligé que l’orchestration, le reste rend Farrenc négligeable. Il a été, après Mozart peut-être, le plus grand maitre du contrepoint qu’il a réinventé avec la couleur romantique. Très peu de compositeurs ont montré une telle aisance dans la conduite des voix. Contrairement à votre héroïne, il a su transformer le style de salon en une version instrumentale du bel canto et réaliser la synthèse la plus parfaite entre la mélodie de longue haleine et le mouvement polyphonique. Et je pourrais continuer longtemps...
ps vous féliciterez de ma part ceux dont la culture musicale est inversement proportionnelle à la faculté de me moinsser !
« Les éléments sont durs, mais gardons le cap », écrivez-vous.
Vous avez raison, ce n’est pas maintenant qu’il faut « lâcher le morceau », mais au contraire renforcer le combat pour faire avancer des valeurs de progrès en grand danger .
Mais tout cela est évidemment usant, et quoi de mieux que la musique pour retrouver, durant un moment, la sérénité,et pour recharger les batteries ?
La musique, c’est la beauté, l’élévation de l’âme, la paix intérieure. Bref, dans une période agitée, c’est la meilleure thérapie qui existe.