Mai-Juin 1940 - autopsie d’un désastre évitable
En ce mois de mai, nous venons de célébrer de 75ème anniversaire de la victoire des alliés contre l’Allemagne nazie. Lors de ces commémorations, avec des cortèges limités (confinement oblige), notre secrétaire d’états aux armés (poste qui ne sert à rien au demeurant), a montré toute la profondeur de ses connaissances, en omettant de citer l’URSS parmi les vainqueurs de 45, qui il est vrai n’est responsable que de ... 85% des pertes allemandes subies pendant tout le conflit. Il a été rappelé de manière grandiloquente la contribution à la victoire finale de la résistance et de l’armée française, qui dans les faits a été limitée, mais ne saurait non plus être dédaignée comme par le commandant chef de la Wehrmacht, le feld marechal Keitel (ou plutôt « Lakeitel », le laquais d’Hitler comme le surnommaient les officiers placés sous ses ordres) juste avant de signer l’acte de capitulation à Berlin (ah les Français, ils ne manquaient plus que çà !)
Il y a en revanche un autre anniversaire qu’on ne commémorera pas, et pour d’évidentes raisons, c’est celui du début de l’offensive allemande sur le front de l’ouest, il y a 80 ans, le 10 mai 1940 à 5h35, et qui allait conduire à la plus grande défaite de l’histoire de France (qui pourtant ne manque pas d'exemples, d'Azincourt à la guerre de 70, en passant par les guerres de François 1er et celle de 7 ans). Il convient néanmoins d’analyser cet épisode, qui restera à jamais un traumatisme dans la mémoire collective française.
L’attaque allemande et le « miracle » des Ardennes
Ainsi donc, il y a 80 ans jour pour jour, le 10 mai à 5h35 du matin exactement, débutait l’offensive allemande sur le front de l’ouest. Conformément au plan jaune (« Fall Gelb »), ou Von Manstein du nom du général allemand qui a proposé ce plan, l’aile nord du dispositif allemand (le groupe d’armée B du général Von Bock) violait la neutralité des Pays-Bas et de la Belgique. L’armée française et le corps expéditionnaire anglais croyant alors que les allemands veulent reproduire le plan de leurs prédécesseurs en 14, s’avancent profondément en Belgique. Dans le même temps, l’aile centrale du dispositif allemand, et porteur de l’attaque principale, représentée par le groupe d’armée A du général Von Rundstedt avance dans les Ardennes. Revenons sur cette dernière attaque que la plupart des historiens qualifient de majeure pour expliquer la défaite de la France. En effet, il a toujours été affirmé que les généraux français ont commis une grave erreur en pensant que les allemands ne pouvaient pénétrer par les Ardennes, car réputées « infranchissables ». C’est oublier que les allemands ont bénéficié en lançant cette attaque d’un coup de chance formidable, que l’on peut qualifier de miracle. En effet le 11 mai, 41 000 blindés et camions des forces allemandes sont bloqués dans un gigantesque embouteillage sur le peu de routes qui traverse les Ardennes. Les alliés auraient pu profiter de cette opportunité pour infliger des pertes considérables aux forces motorisées allemandes, grâce à leur aviation qui il faut le rappeler représentait à l’époque 4500 avions contre 3500 côté allemand. Mais la RAF, qui montrera ces crocs un peu plus tard lors de la bataille d’Angleterre, a été totalement absente. Il est vrai qu’à l’époque le Royaume Uni était dirigé par Neville Chamberlain, l’un des pires dirigeants de l’histoire de cette nation, et le principal « architecte » coté allié des accords de Munich en 38, qui permettra à Hitler de dépecer la Tchécoslovaquie, sans tirer une balle, et surtout de faire main basse sur sa formidable industrie qui contribuera grandement à alimenter la machine guerre nazi. Côté français, les relations entre l’infanterie et l’aviation sont marquées par une absence totale de coordination voire de rivalité, contrairement aux allemands. A noter qu’une partie des avions français avait été rendu inutilisable, de peur que les ouvriers d’usine s’en emparent, dans un contexte du pacte de non-agression signé entre l’URSS et l’Allemagne le 23 Août 39, permettant ainsi à Hitler d’avoir les mains libres à l’Ouest, mais aussi n’incitait pas les fervents communistes français à s’impliquer dans la production de guerre (la répression du gouvernement français envers les membres PCF n’a pas non plus aidé il est vrai).
La percée puis l’encerclement :
En conséquence, les allemands avancent « tranquillement » dans les Ardennes, rencontrant peu de résistance, le contingent des forces alliées étant limité sur ce secteur jugé « infranchissable ». Résultat le 12 mai c’est l’halali, la percée de Sedan (Ville qui décidément ne porte pas chance aux français dixit la guerre de 70) est réalisée par les allemands. Des généraux novateurs comme Guderian et Rommel, fins connaisseurs des rouages de la guerre moderne, ordonnent à leurs « Panzerdivisionen » de foncer tout droit sur la Manche, contre l’avis de leurs supérieurs (illustrant l’esprit initiative qui régnait au sein de l’armée allemande cher au comte Von Moltke à la fin du 19ème siècle), afin de garder l’initiative et empêcher les alliés de reconstituer une ligne de défense cohérente. Leur avance sera stoppée temporairement le 15 mai, par un régiment de tirailleurs marocains, dont le sacrifice est totalement ignoré dans l’histoire française mais salué en revanche par les belges. Le 20 mai, les allemands atteignent la manche, à Noyelles sur Mer dans la baie de Somme. Le piège s’est refermé sur les forces franco-britanniques, composées de 500 000 hommes, et qui se sont bien trop avancées en Belgique, leurrée sur les intentions. En 10 jours, la Wehrmacht a avancé de 400 km (exploit dont les équivalents ont été reproduits seulement par les soviétiques respectivement en juin 44 lors de l’opération Bagration et en Janvier 45 lors de l’offensive Vistule-Oder, avec cette fois-ci les allemands en tant que victimes). Résultat, c’est la panique qui domine du côté du commandement allié. Les britanniques décident d’évacuer (« un peu vite ») leur corps expéditionnaire à Dunkerque. L’avance des forces allemandes, sur ordre d’Hitler, et de Von Rundstedt ne l’oublions pas, est toutefois stoppée. Cela permettra au corps expéditionnaire anglais d’évacuer de manière quasi-intact Dunkerque à l’exception du matériel resté sur place. Ce fameux « Haltbefehl » a souvent été cité comme la première erreur stratégique d’Hitler, offrant aux britanniques l’opportunité de poursuivre le combat par la suite. Ce point de vue est notamment partagé par les « mémorialistes allemands », ces fameux généraux allemands qui ont déclaré après-guerre que la Wehrmacht n’avait commis aucun crime de guerre, et que l’Allemagne avait perdu par la seule faute d’Hitler qui n’avait pas écouté leurs « brillants » conseils. Ils oublient d’une part de préciser, que cette décision d’Hitler était partagée par le haut commandement allemand, et que d’autre part il existait un réel risque que l’aile centrale qui avait atteint la Manche soit coupée en 2 par une contre-offensive venant par le sud des français. Malheureusement, de contre-attaque il y’en aura pas, le commandement français était totalement tétanisé par la fulgurance de l’avance de l’allemande, et incapable de modifier sa stratégie qu’il voulait purement défensive. Rappelons que concomitamment aux attaques des ailes nord et centrale, l’aile sud du dispositif allemand, le groupe d’armée C, prend les frontières opposées à la ligne Maginot, mais ne l’attaque pas, conscient de la puissance que représentait cette ligne de défense. Mais l’objectif n’est pas là. Cette attaque a portée limitée, permet de fixer une partie des forces françaises, mais également de leurrer le commandement allié sur les véritables intentions allemandes. Notons que par ailleurs, fait peu connu, que des troupes françaises avaient également été positionnées en face de la frontière Suisse, dans l’hypothèse ou pour esquiver la ligne Maginot, les allemands avanceraient par la vallée entre le Jura et les Alpes, en violant la neutralité suisse. Un plan qui n’a jamais été envisagé par l’état-major allemand, l’Allemagne ayant et aura toujours un intérêt pendant toute la guerre à conserver la neutralité avec la Suisse, pour pouvoir se procurer des devises ainsi acheter les matières premières dont elle avait besoin pour alimenter sa machine de guerre. Le dicton « à être faible partout, on est fort nulle part » va comme un gant à la stratégie de l’état-major français.
La débâcle puis la capitulation :
La suite, nous la connaissons, les allemands vont liquider la poche de Dunkerque, et ensuite s’enfoncer dans le territoire français assez aisément, faute de la paralysie du commandement français qui n’a pas su adapter son plan assez rapidement et donner des consignes claires à ces troupes. Résultat, les troupes françaises se battent courageusement il faut le souligner, mais de manière décousue, en face d’un ennemi bien organisé, et maitrisant parfaitement l’art de la coordination entre l’infanterie, l’aviation, l’artillerie et les forces blindés.
Des succès locaux seront néanmoins obtenus comme par un certain Colonel de Gaulle à Abbeville, qui avait parfaitement compris qu’il fallait employer dans une guerre moderne les chars dans des unités autonomes, et non seulement en appui de l’infanterie qui était la doctrine du commandement français, enfermé dans ses schémas de 14-18. Notons, au-delà des compétences indéniables de commandement de De Gaulle et de la bravoure du soldat français, que la qualité des chars français, notamment le modèle B1, était en moyenne meilleure que celle des allemands.
Il convient à ce sujet de briser un mythe, et je suis loin d’être le premier à le faire ni le dernier, concernant la soi-disante supériorité de l’arme blindée allemande. Nous avons tous en tête, pour les spécialistes d’entre nous, les images des mastodontes de l’armée allemande, tels le légendaire « Tigre » ( Redoutable il est vrai grâce à son blindage frontale et son mortel canon de 88mm, mais produit à seulement 1600 exemplaires contre à titre de comparaison pour le Sherman américain.. 50 000 exemplaires), le soi-disant meilleur char du monde le « Panther » (davantage remarqué par les tankistes allemands par ses fréquentes pannes de moteur) et autre « Elephant « tout droit directement sortis du bestiaire des usines de guerre allemande. Sauf que ces modèles sont entrés sur le champ de bataille qu’à partir de fin 42-début 43. En réalité, les allemands étaient équipés en 1940, au 2 tiers de chars légers (Pz1 & 2 principalement) et pour le reste de chars moyens (Pz3 & 4 essentiellement), qui certes sont adaptés à la guerre de mouvement, mais disposent d’un blindage relativement mince et d’une faible puissance de feu. Notons enfin pour conclure à ce sujet, que les français disposaient également d’un avantage quantitatif (2574 chars français contre 2285 allemands).
Mais quelques succès locaux n’empêchent pas la débâcle générale. Les lignes françaises sont enfoncées le 10 Juin. Paris est déclarée ville ouverte le 11 Juin 1940. L’armistice est signé le 22 Juin 1940 sur le lieu et dans le wagon mêmes ou avait été signé l’armistice du 11 Novembre en 1918, à Rethondes dans une clairière de La Forêt de Compiègne. Avant l’arrivée d’Hitler, on recouvre avec le drapeau à croix gammée le monument représentant un aigle renversé, transpercé par une épée, symbolisant la défaite de l’empire germanique agresseur face aux valeureuses troupes françaises. L’Allemagne venait d’obtenir sa revanche (par pour longtemps !).
Conclusions :
Nous venons de le voir, les causes de l’écrasante défaite française, en dépit d’un équipement supérieur aux allemands sont multiples.
Coté allemand les facteurs de la victoire sont les suivants :
- Un plan audacieux, qui est exécuté parfaitement, avec une certaine dose de chance (cf miracle des ardennes)
- Une maitrise parfaite de la coordination entre les 4 armées (aviation, artillerie, blindée, et infanterie)
- Une grande souplesse dans le mode de commandement, avec l’armée qui fixe le cadre général, charge aux niveau inférieur (division, régiment) de l’adapter aux circonstances locales. L’esprit d’initiative est encouragé. La désobéissance des Rommel et autre Gudérian permettra un encerclement rapide des forces francobritanniques
Coté français les facteurs de la défaite sont les suivants :
- Un étatmajor prisonnier de son schéma purement défensif, qui disperse ses forces de la Manche à la frontière italienne, et surtout qui ne réagit pas vigoureusement en lançant une contre-attaque pour briser l’encerclement des forces alliés en Belgique.
- Des services de renseignements totalement incompétents, qui n’ont pas su déceler les intentions de l’ennemi, causant la dispersion des forces tout au long du front.
- Une structure de commandement sclérosée, qui ne facilite pas les décisions rapides, face à un ennemi rodé à la guerre de mouvement. Pour citer un exemple, parmi tant d’autres, notons le cas de la 55ème division du général Lafontaine, dont l’ordre de contrattaque sur Bulson (commune du département des Ardennes) lancé le 13 mai à 20 heures et dont l’exécution commence le 14 mai à 7 h 30...
- Une armée britannique, pas très brillante, avec une RAF quasiinexistante au-dessus du sol français, et un corps expéditionnaire qui a un peu vite évacué à Dunkerque…
Dans ce tableau noir, citons néanmoins des points positifs comme la combativité de la troupe française. Contrairement à un mythe bien répandu, et popularisé par le film « la 7ème Compagnie » (film français ayant fait le plus d’entrées au cinéma en Allemagne sic), les soldats français se sont bien battus, subissant des pertes définitives de 60 000 hommes, contre 40 000 infligées aux allemands. Aussi faute de savoir contre-attaquer, la France a manié avec une certaine expertise l’art de la retraite. Le directeur du musée du Louvre organisera ainsi l’évacuation de l’ensemble des œuvres de l’institution, qui auraient fini sans cette action très certainement dans la galerie personnelle du Goering (puis en Russie avec la victoire de l’armée rouge). Également, l’or de la Banque de France a été évacué (2500 tonnes !) hors du territoire métropolitain, au grand désarroi des allemands, qui auraient apprécié de pouvoir les monnayer auprès de la Banque Fédérale Suisse contre des devises.
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