Mon fils de 17 ans écoute Tokio Hotel, est-ce grave docteur ?
Les
municipales de mars ne doivent pas occulter cet événement important pour la
jeunesse française, Tokio Hotel, ce fabuleux (selon ses fans) groupe de pop
rock allemand, à l’audience internationale, comme du reste Abba ou Patrick
Hernandez, repousse son concert prévu au Parc des Princes le 20 juin parce que
quelques fans ont écrit au groupe que ce jour-là, il n’y a pas piscine, mais des
épreuves du bac. Et donc nos quatre membres affectivement, émotionnellement
touchés, ayant du reste séduit les filles de l’ex-épouse de Sarkozy, placées en
tête de gondole un soir de festif du 14 juillet mémorable, ont décidé de réagir
(notons du reste que cette année 2008, la fête nationale se voudra fédérale
pour fédérer les cultures européennes lors de bals voulus promoteurs des
spécialités italiennes, espagnoles, etc., la France présidant l’Europe). Ne nous perdons
dans cet exposé qui n’a d’autre intérêt que d’évoquer un fait sans intérêt,
sauf pour les parents d’ados qui, à 17 ans, écoutent encore Tokio Hotel. Il y
en a, puisque ce sont eux qui ont fait déplacer la date du concert, les rares
qui ont eu le malheur, et on les comprend, ah que cette société est dure pour
notre jeunesse, surtout pour les malheureux sur qui les épreuves anticipées du
bac sont tombées ce 20 juin 2008. C’est un scandale. Que fait le ministère,
inapte à organiser les épreuves du bac dans le contexte d’un concert prévu de
longue date par ce groupe culte et de culture, promoteur de l’enseignement de
l’allemand, plus doué dans cette tâche que cet abscons Goethe, alors que ce même ministère organise les vacances scolaires de février pour remplir la
fréquentation des stations de ski !
Les
Allemands sont une grande nation culturelle. Ils ont inventé le krautrock ;
fulgurants ces Allemands, les seuls à suivre et dépasser sur quelques styles le
rock anglo-saxon en 1970, génies comme ils l’ont été par le passé, moins que
les Français avant la guerre, mais ils se sont rattrapés ; ils ont quelques pointures du rock, Nina
Hagen, Scorpions, d’autres en pop rock comme l’insupportable Lou Bega. Ils sont
présents sur la scène mondiale, pour le meilleur et le pire. Tokio Hotel fait
dans le tape-à-l’œil jeuniste, mais, au moins, ils le font avec un
professionnalisme signant la marque de fabrique allemande et symbolisant de ce
fait la puissance économique de l’Allemagne, autant que sa puissance
culturelle. Pour un jeune français, aller à un concert de Tokio Hotel, en être
fan, c’est comme pour le jeune adulte intégré dans une structure économique
pouvoir piloter une Golf, la voiture chic et classe du « beauf sans âme »,
mais jouant les parvenus qui sont arrivés à parvenir. Est-ce à dire que Tokio
Hotel prépare les jeunes à bosser pour acquérir une Golf ? Nous n’en
savons rien.
Tokio
Hotel ne doit pas être décrié ni vilipendé. Ce groupe aborde des thèmes
existentiels comme le divorce, des parents évidemment, car à 10 ans de quoi
peut-on divorcer si ce n’est de son enfance et de ses nounours en peluche ;
la déception amoureuse, thème évidemment crucial, surtout dans une cour
d’école ; le suicide, là c’est plus sérieux, un authentique thème de
société, pas comme du temps de Let’s Spend des Stones où l’on rêvait
d’avoir une fille dans son lit. Et la solitude, un sujet très original, mais
déjà planché par Léo Ferré et sur lequel il n’y a plus rien à dire. Bref, Tokio
Hotel aborde des sujets existentiels d’un âge mature, malgré l’apparence gamine
de ses membres. Ils s’inscrivent néanmoins dans une époque formatée aux
lectures de Harry Potter. Un monde fantasmagorique. Auquel on peut
échapper par quelque magie dont on connaît les deux faces, la maléfique, et
l’autre. Tokio Hotel, groupe emblématique d’une génération en quête d’idole,
comme les précédentes, celles qui ont adoré Claude François ou les Beatles.
Mais avec Tokio Hotel, on ne sait pas exactement où on se situe, car les idoles
d’antan avaient une prise sur le monde, notamment la génération Woodstock.
Tokio Hotel n’ouvre pas vraiment sur la société et semble s’adresser à
l’affectif, au sentiment émotif, flattant l’onanisme de l’ego, la magie d’un
monde infantile où tout se crée à partir d’un SMS. Bref, parfaitement adapté à
ceux qu’on appellera la génération Sarko parce qu’ils ont eu 14 ans en 2008. Et
qui sont préparés à devenir les autistes narcissiques d’un monde d’ego où les
plus radicaux finiront comme les otakus japonais, prostrés et jubilatoires dans
une piaule de 6 mètres carrés encombrée de posters d’idoles et connectés aux
jeux en ligne et aux forums de discussion.
Alors,
est-ce grave que votre fils écoute Tokio Hotel à 17 ans ? Je dirais oui,
mais une rédemption est possible, ou plutôt une résilience. Après tout, c’est
vous qui êtes responsable. Vous auriez dû vous inquiéter quand votre fils
suçait son pouce à l’âge de 8 ans, jouait à la poupée quand il avait 10
ans, alors qu’il dormait à 12 ans avec ses ours en peluche offerts par sa
tante quand il avait 5 ans. Mais soyez quand même optimiste, on peut écouter
Tokio Hotel à 17 ans et briguer une mairie à 40 ans d’ici vingt ans. Nombreux
parmi ceux qui ont tenté de se présenter en 2008 furent fan de Dorothée,
Goldorak, Chantal Goya et Vanessa quand elle chantait Joe le Taxi.
Reste
le niveau musical de Tokio Hotel. Leur participation lors des dernières
festivités du 14 juillet signe la grandeur des goûts musicaux de notre président, un authentique mélomane qui croit que Barbelivien sera joué par
Boulez et vénère Sardou comme d’autres eurent prisé Wagner. Tokio Hotel, et
c’est un autre point commun, est tout aussi apprécié aux Etats-Unis que Carla
Bruni, sévèrement écornée par la critique après la sortie de son disque là-bas,
célébrité oblige. La prestation des jeunes rockers allemands à Los Angeles fut jugée
sévèrement par des journalistes à qui on ne la fait pas. Les fans verront sans
doute la marque d’un réflexe anti-européen. Les vrais esthètes seront sans
doute rassurés d’une culture américaine qui sait encore où sont les marques et
les valeurs, sévère justement à l’égard des produits musicaux issus d’Europe et
tout aussi goûteux que la soupe américaine. Ce qui permet, malgré les frasques
géopolitiques de Bush, de croire encore en l’Amérique. Et Tokio Hotel ? Un
météore qui ne pourra pas perdurer en l’état plus de trois ans et finira comme
les Spice Girls, dans les soldes de l’industrie culturelle.
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