Musique : à qui le téléchargement gratuit nuit-il ?
Le téléchargement gratuit – illégal – de musique est aujourd’hui considéré comme un vol au regard de la loi et selon l’opinion massivement diffusée sur les grandes antennes. Pourtant, lorsque vous téléchargez un album, il ne disparait pas comme lors d’un vol, un vrai. Et les possibilités que le téléchargement permet d’entrevoir sont considérables.
La première chose qui me frappe depuis qu’existe la mise en ligne à titre gratuit de musique est l’ouverture que cela a généré chez les mélomanes. A la banale question « t’écoutes quel genre de musique ? », aujourd’hui, beaucoup vous répondront quelque chose comme « de tout ». Mais il n’en a pas toujours été ainsi et fut un temps, pas si lointain, où l’on explorait beaucoup moins les différents styles musicaux. Désormais, il suffit de taper sur Google le nom d’un artiste pour pouvoir se procurer bien plus de choses de lui que vous n’en trouverez en magasin. Et comme nombre de sites référencent les discographies, les commentant, les détaillant (à commencer par Wikipedia), il est très facile de se plonger dans un style jusqu’alors inconnu. Ainsi, celui qui voudra se mettre au Jazz ou au Rap pourra en quelques minutes en connaître les artistes majeurs et s’en procurer les principaux albums. Imaginez-vous devoir vous immerger dans le jazz à coups de Cd à 10€ pièce (et je prends là une estimation basse). La chose est moins aisée. On peut très bien découvrir un artiste en le « piratant » et se faire par la suite le plaisir d’acheter le disque qui nous va bien (pour l’objet et la qualité de son qui l’accompagne). Et aller le voir en concert.
L’accès gratuit à (une partie de) la culture n’est-il pas un rêve que le progrès technique nous permet de caresser ? L’idée que le pauvre comme le riche ait accès à la même diversité musicale ne paraît pourtant pas mauvaise et, s’il existe bien d’autres filtres comme autant de barrières à l’accès à un certain champ culturel, la possibilité de faire tomber la barrière financière mériterait d’être saluée comme le progrès qu’elle est.
D’ailleurs, nombre d’artistes ayant rencontré un franc succès commercial se sont prononcés pour. Et d’autres, après avoir été refoulés par les maisons de disques, ont pu percer grâce à Internet, à commencer par Arcade Fire, aujourd’hui reconnu comme un groupe majeur de ce début de XXIème siècle. Comme quoi, le téléchargement gratuit ne leur nuit peut-être pas tant que ça...
Malheureusement, on préfère nous montrer tous ces artistes qui se déclarent contre le téléchargement, les déjà trop riches Metallica, U2, Goldman et j’en passe. Ces mêmes artistes qui explosent leur précédent record de rentabilité à chaque nouvelle tournée en pratiquant des prix de plus en plus prohibitifs. Le tout, bien souvent, sans avoir sorti un album ne serait-ce que potable depuis des lustres.
Mais ce sont surtout les 3 énormes majors (Universal, Sony, Warner) qui ont à y perdre dans l’histoire. 88.59% des parts du marché mondial de la musique en 2011 et respectivement 6.5 (en 2011), 4.9 (2013) et 2.9 (2012) milliards de chiffre d’affaires selon Wikipedia. A ce prix là, on comprend que Pascal Nègre ait fait le tour des plateaux tv et rédactions pour dire que le téléchargement gratuit, c’est mal ! Pour eux, la musique est avant tout une histoire d’argent. N’oublions pas que la règle, s’il ne devait y en avoir qu’une, pour une entreprise capitaliste (a fortiori une firme multinationale tentaculaire qui rachète tout sur son passage), est celle de la maximisation du profit. Il n’y a aucune raison pour que l’une de ces 3 majors se soucie de nous dénicher l’artiste qui va révolutionner la musique s’il n’a aucune chance de vendre, et vendre beaucoup. Qui nous dit que des chanteurs aux voix aussi peu vendeuses que Bob Dylan, Jimi Hendrix ou Neil Young auraient aujourd’hui une chance de convaincre une entreprise ayant pour objectif la rentabilité à court terme ? Pour ses 3 premiers albums, Prince a exigé de son label (Warner, tiens tiens...) une avance de 180 000$ et une liberté artistique totale (en gros, jouer tous les instruments, écrire, composer et produire tous les titres). Pareille requête serait aujourd’hui absolument inimaginable. Le modèle de production et de distribution de la musique est non seulement en décalage total avec son temps, le temps d’Internet, mais il est aussi nuisible à l’épanouissement de l’art – majeur, n’en déplaise à Gainsbourg ! – qu’est la musique. Et si rien n’est fait, le téléchargement gratuit nuira effectivement à de nombreux artistes.
Bien que traitée comme un vulgaire produit de consommation, la musique est un art, et même si l’État met en place des lois coercitives et répressives, à moins de passer directement à la solution purement totalitaire, il n’arrivera pas à endiguer le téléchargement. La musique devrait être considéré comme un bien commun auquel tout le monde a accès et le progrès technique nous permet dorénavant de nous approcher de cet idéal. Court-circuitons les distributeurs et les maisons de disques voraces, mettons en place une plate-forme publique de téléchargement, sans but lucratif, ouverte à quiconque voudra y déposer sa musique et à qui voudra l’écouter, moyennant par exemple un forfait mensuel que l’on pourrait faire payer à la fois par le « téléchargeur » et par l’opérateur. Ou mettons en place une licence globale, mais faisons quelque chose, il est temps.
Car oui, la possibilité existe désormais d’inventer un nouveau modèle de distribution et de production de la musique, plus juste, plus sûr et moins inégalitaire pour les artistes, moins onéreux pour le mélomane qui s’enrichira à tous les niveaux. Mais les intérêts de quelques uns, qui ne sont finalement presque rien, sont privilégiés à ceux de presque tous. Encore...
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