Nicole Louvier, le retour ?
La vie et les œuvres de Nicole Louvier, romancière, chanteuse, poète, musicienne et surtout femme libre, nous proposent trois énigmes.
- d’abord le pourquoi vrai de la rupture entre dix petites années de vie publique et quarante longues années de silence privé ;
- ensuite la dissemblance des destins entre artistes contemporains de même trempe qui à un certain moment fréquentèrent les mêmes amateurs dans des manifestations semblables et en usant de modes d’expression identiques ;
- et surtout où est, qui détient la clef d’accès au travail de réflexion, de création, d’écriture accompli entre 1968 et 2003, travail dont elle a affirmé entre temps l’existence mais qui demeure pratiquement inaccessible.
Nicole Louvier, née l’été 1933, a commencée à être lue comme romancière et écoutée comme chanteur-compositeur l’été 1953 soit vingt ans plus tard. De 1953 à 1968, sur une durée de quinze ans, elle publia cinq romans, quelques poèmes, trente cinq chansons réparties entre une vingtaine de disques, et fut vedette de nombreux spectacles, partant en tournée jusqu’au Japon.
Journaliste radiophonique, elle produisit des émissions centrées sur la chanson…
Puis elle disparût de ce qu’il est convenu de nommer le paysage audio-visuel. Quelques brèves réapparitions médiatiques, dont une sur Radio-Bleue en 1991, ne la firent point sortir de l’ombre où elle s’était dissimulée. A son décès, au printemps 2003, Hélène Hazéra inséra dans une de ses émissions à Radio-France un court éloge retraçant sa carrière.
Ce site contient une collection de photographies, anciennes il est vrai, d’articles de presse, de liens vers des vidéos ou des articles de blog, une bibliographie et une discographie. La biographie en est provisoirement absente, du fait de trois énigmes non résolues. Les deux premières découlent de particularités de sa carrière, de sa vie même, née s de particularités qui ne peuvent qu’attirer l’attention.
Première énigme : soudaine et temporaire
La première est le décalage entre la manière dont Nicole Louvier vécût ses premières années de créatrice en paroles et musiques et le long et obstiné silence qui suivit l’arrêt de ses prestations publiques.
Entre 1953 et 1960, elle est dans tous les journaux et périodiques. Des publications telles que l’Express, La Vie Parisienne, Bonnes Soirées, Lisette même, hebdomadaire pour adolescentes, Music*Hall, y vont de leur couplet. Ses disques s’éditent et se rééditent. Ses livres se vendent, se critiquent, sont remarqués par des cercles de bibliophilie. La radio passe ses chansons. Elle est distinguée en 1962 par un prix quasi sur mesure.
Puis à partir de 1965, la marée redescend pour ne jamais remonter.
Lucien Rioux, dans son livre Vingt ans de chansons (Arthaud 1966) explique cet évanouissement par deux raisons convergentes :
- menace intérieure : la préciosité archaïque du style – en fait, du contenu verbal, décalé par rapport au canon un peu gnangnan des paroliers du moment –, facteur à la fois attractif et fragilisant,
- menace extérieure : la concurrence d’une Marie-José Neuville – la collégienne de la chanson inquiétait moins la morale dite bourgeoise, encore que Le monsieur du métro fit quelques vagues – infiniment moins complexe, et lancée par Pathé-Marconi – avec obligation contractuelle de se coiffer nattée jusqu’à vingt ans – dans le sillon ouvert par Nicole Louvier elle-même.
Une revue courageuse, sérieuse, obstinée à défendre et illustrer les chanteurs francophones les plus marginaux et les plus éloignés des circuits commerciaux, Paroles et Musique, créée l’été 1980, publiera en sept ans plus de six cent études sans, à ma connaissance, ma collection relue, dire un mot sur elle. Même dans les petites annonces, ni recherche ni offre…
D’ailleurs, pendant de longues années, ceux de ses livres échappés au pilon se vendent chez les bouquinistes à des prix dérisoires. Ses disques ne sont même pas exposés dans les bacs des bradeurs de vinyles. Quelques partitions subsistent au catalogue d’Enoch et Cie, mais qui se les est procurées ?
Il faut attendre l’été 1991 pour que la revue Je Chante publie des notes d’interview et une discographie de référence.
Depuis quelques années, en effet, un frémissement s’empare des mémoires.
- En 2003, année de sa mort, une fidèle, Geneviève Glatron, réédite pour un cercle privé certains de ses textes.
- En 2004, deux de ses chansons interdites sont mises en scène dans un spectacle de Bagdam, à Toulouse.
- En 2005 un poète contemporain avoue sur son site que "c’est pendant l’hiver 1955-1956 qu’un jeune surveillant d’internat (lui) fit découvrir Nicole Louvier, dont on chuchotait que si elle chantait les petits pages c’était dans une perspective allégorique associant à des amours interdites la réhabilitation de pratiques amoureuses médiévales ".
- En 2006 un amateur crée une page Nicole Louvier sur WikiPédia.
- En 2007 une blogueuse décide de mettre en ligne le texte de la plaquette introuvable Chansons interdites. Remarquer au passage que Gallimard, qui a repris le fond de La Table Ronde, a classé ses titres hors collection et ne semble pas s’en préoccuper.
- En 2008 Dany Lallemand et les éditions musicales I.L.D. réalisent sur CD une reprise de vingt-trois enregistrements anciens, enrichie de deux inédits. Un amateur des premiers jours réalise des montages vidéo et en a déjà mis en ligne plus d’une vingtaine sur YouTube.
Deuxième énigme : pourquoi certains et pas d’autres ?
La deuxième est la différence de traitement entre, par exemple, une Nicole Louvier et un Georges Brassens : même goût pour les mots et pour un art global, publication de romans, recueils et chansons, attitudes libertaires et libératrices, et en fin de compte, pour l’un une gloire bien charpentée, pour l’autre un effacement bien orchestré.
C’est à peu près à la même époque qu’ils sont connus comme chanteurs - compositeurs - interprètes, bref comme artistes complets. Une photographie les rassemblant avec Gilbert Bécaud, Odette Laure et Philippe Clay,présentant les cinq révélations de l’année, est publiée par Paris-Match en février 1954.
Brassens est certes de douze ans son aîné ; il est autodidacte de la littérature, comme elle de la musique, et a commencé par une activité littéraire orientée poésie [ A la venvolle, Messein 1943, etc…] puis roman [ La lune écoute aux portes, 1947, etc…] avant de s’aventurer sur les planches, avec une guitare et un micro. Mais ils ont de nombreux points communs dans leur conception de la chanson dite poétique, de la manière de mettre des instruments de musique simples au service de la voix ; ils fréquentent les mêmes lieux.
Pour les jeunes de l’époque, ils participent de la même réalité culturelle, et abordent des thèmes qui font écho à leurs préoccupations. Leurs potentiels semblent identiques, leur critique, tantôt allusive, tantôt très directe de certains travers de fonds de la société convergent.Toutefois, dès 1962, leurs destins divergent.
Alors que tonton Georges se construit disque à disque comme un des monuments de la chanson française, la reine du peuple des artistes devient de plus en plus discrète, sa présence se dilue, de plus en plus ténue, ses titres s’effacent, de plus en plus ignorés. Louvier chantera Brassens en 1959 au Japon ; et son interprétation sera enregistrée. Je n’ai pas trouvé de trace de Brassens chantant Louvier ; d’ailleurs, l’aurait-il pu ? La robustesse du manant au grand cœur n’aurait-elle pas étouffé la délicatesse de la princesse des pages.
La troisième est ce que j’appellerai l’énigme majeure.
L’énigme majeure n’est pas "pourquoi tant de dédain pour cette artiste ?" Il est souvent expliqué par une sanction qu’aurait décidé le monde de la finance médiatique à l’encontre de sa dénonciation des procédés quasi maffieux du milieu du chaudbise. En fait, et même si cette protestation, enveloppée d’atours romanesques, l’a en sont temps fait surnommer la Peyrefitte du music-hall, d’autres en ont parlé qui ont survécu.
Il est certain que Nicole Louvier a tout fait pour se retirer de la notoriété, en cessant de renouveler son répertoire. Trente cinq chansons enregistrées environ, c’est peu pour entretenir une carrière. Son dernier roman publié n’a pas tenu les promesses du premier, qui fut en son temps placé par certains à même hauteur que le premier Sagan ou le premier Mallet-Joris.
Pour moi, l’énigme majeure est "que reste-t-il de ses années de travail secret ? "
D’une part, il est peu probable que, tel Arthur Rimbaud abandonnant le voyage imaginaire pour l’expédition mercenaire et le trafic de mots pour le trafic d’armes, elle ait abandonné toute volonté d’écrire pour se consacrer à vagabonder à la recherche d’un honorable chien à Bormes-les-Mimosas ou à cultiver des légumes dans le désert d’Israël.
De plus, en 1991, elle confirmait cette permanence dans la fonction d’écriture, pulsion irrésistible, en déclarant "c’est très curieux, mais même quand je ne veux pas écrire, je suis obligée de le faire". Elle a donc écrit. Poèmes ou chansons. Ou autre. Il existe d’autres textes inédits que "Amour, je ne veux pas dormir" ou "Gentil roi Louis de Bavière" …
Qui détient la clef du coffret ?
Qui a été institué juge de l’opportunité et des conditions d’une diffusion ?
Qui me délivrera ...de ma curiosité ?
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