Nolwenn et l’abominable homme de gauche
Je n'aime pas particulièrement Nolwenn Leroy – mes goûts me porteraient plutôt vers Eluveite, Nightwish ou Amon Amarth – mais je lui reconnaît un certain talent. Son dernier album, "Bretonne", est le produit d'une démarche personnelle, imposée à des producteurs au départ réticent – ses déclarations dans Bretons et plus récemment Ouest-France en témoignent. Servat et Stivell l'ont adoubée – c'est un gage de sérieux. Alors certes, la demoiselle a débuté à la Star Ac, mais l'histoire est pleine d'impératrices qui, bien qu'ayant fait leurs classes dans un bordel, ont porté la tiare ou la pourpre avec plus de dignité que bien des princesses de sang.
Aussi, quand Fabrice Pliskin, un journaliste du Nouvel Observateur, a commis à un article aussi odieux qui ridicule qui l'assimilait, grosso modo, à une égérie du maurassisme, il s'est, à fort juste titre, attiré une volée de bois vert, ainsi qu'un droit de réponse aussi outré qu'intelligente de la demoiselle.
Là où les choses se gâtèrent, c'est lorsque les nostalgiques de la France éternelle blanche et catholique se sont mis à crier au complot anti-gaulois, faisant de Nolwenn, qui, j'en suis sûr, n'en peux mais, vous l'avez deviné, une égérie maurrassienne.
Cela n'a évidemment qu'un rapport lointain avec la réalité. Le mouvement culturel breton n'a pas toujours été à gauche, loin s'en faut, et s'est parfois perdu dans un élitisme sans âme, mais depuis sa fondation dans les années 20, il a toujours refusé le folklore. Lorsque dans les années 70, Glenmor, puis Stivel, Servat et Tri Yann ont refondé la chanson bretonne, il sont retourné vers les traditions populaires, mais pour les transcender et bâtir une expression musicale à la fois enracinée et créative... à des années lumières de l'académisme stérile d'un Roparzh Hemon ou des biniouseries pathétiques d'un Téodore Botherel.
Et le moins que l'on puisse dire c'est que cette chanson bretonne, souvent très à gauche, n'était pas francophile.
Ecoutons Servat, par exemple, dans ce qui peut être considéré comme l'hymne officieux de la Bretagne :
Où allez-vous camarades avec vos fusils chargés
Nous tendrons des embuscades viens rejoindre notre armée
Ma mie dit que c'est folie d'aller faire la guerre aux Francs
Mais je dis que c'est folie d'être enchaîné plus longtemps
Ou Glenmor :
Il ne viendra jamais le temps
de baisser l'orgueil de nos manières
mon pays vit encore
vous ne serez vainqueurs
nous sommes d'usine et de labour
en besace toutes les misères
d'un peuple vagabond aux heures du retour
Nous avons gardé vives ou mortes saisons
nos âtres chauffés nos souvenances
nous avons brodé sur chaque haillon
en rouge sang : merde à la France
C'est, convenons-en, infiniment plus fin que les "Niqu' la France" des rappeurs de banlieue, mais ce n'est pas vraiment une ode à la France éternelle. Alors quand les frontistes et autres identitaires essaient d'enfermer la culture bretonne dans leur carcan tricolore, on ne peut que leur répondre, avec Servat, justement :
Qu'est-ce que j'apprends ? Il paraît que dans les arrières-cuisines du parti des aveugles que domine un führer borgne, on beugle la Blanche Hermine ?
Qu'est-ce qui vous prend, les fafs ? Je ne vois pas comment on peut chanter ça sous vot' flamme tricolore
Ou alors, vous ne chantez pas tous les couplets ! Ou si vous les chantez tous, c'est qu'en plus d'être aveugles vous êtes sourds
Naturellement, cela n'enlève rien à la stupidité de l'article, stupidité d'autant plus consternante que Fabrice Pliskin n'est pas un thuriféraire de la diversité convenue.
Je le cite :
Et toujours la « diversité ». Qui nous délivrera de cette diversité qui porte si mal son nom et dont tout le monde ressasse et remâche uniformément les saintes syllabes ? Ô, Diversité, comme tu es monotone ! Comme tu manques de diversité ! Puisque c'est la rentrée des classes, nous invitons nos plus jeunes lecteurs « de là et d'ailleurs » à comparer le manifeste de Qui fait la France ?, véritables comices du « vivre-ensemble », aux comices agricoles de « Madame Bovary » de Flaubert, un romancier du XIXe siècle. Cet exercice leur sera profitable.
Dans ses romans, il brocarde ces pseudo intellectuels de gauche "sous-Derrida qui ne jure que par les marges, [...] esthète soixante-huitard qui vénère le rap et le free jazz. Le genre de gaillard à philosopher sur la Shoah en jouant au mini-golf." et ne voient plus en l'autre "qu'un « ready made des droits de l'homme ».".
Hélas, on n'est jamais mieux trahi que par ses propres préjugés.
L'intelligentsia de gauche, nourrie par les illusions de 1968, a largement faillie. Le 10 mai 1981 et l'expérience du socialisme de gouvernement, qui devait marquer un renouvellement de la politique, n'a fait qu'entériner un lent reniement. Après avoir soutenu, au nom du progrès, toutes les dictatures rouges, et parfois rouges-brunes de la planète, une grande partie des intellectuels de gauche, confrontés à la faillite de leurs idéaux – et à la réussite de leur carrière – se sont réfugié dans le sociétal.
Cela n'a rien d'étonnant. Comme l'a fait remarqué Aron, l'intellectuel de gauche a toujours été confronté à un dilemme. Ses valeurs sont aristocratiques et il occupe une place privilégié dans la société, pourtant il se veut le chantre de l'égalité et du peuple. Ce dilemme il l'a historiquement résolu en projetant l'égalité dans un avenir rêvé et en se posant eux-même en guides d'un peuple tout aussi rêvé.
Cette position n'est aujourd'hui plus tenable. Le communisme s'est effondré, non seulement en tant que système, mais également en tant qu'idéologie. Pire, l'épuisement des ressources, la crise écologique, et d'une manière général le choc de plus en plus frontal entre les attentes de notre civilisations et les limites physiques de la planètes, rend l'idée même de progrès perpétuel de moins en moins crédible. Or, sans la perspective d'un avenir meilleur, la gauche, telle qu'elle s'est définie depuis au moins deux siècles, n'a plus de raison d'être, et l'intellectuel de gauche redevient un aristocrate jouissant grâce à l'argent du peuple, de privilèges auxquels ce dernier n'aura jamais accès.
Certains se réfugient dans la nostalgie du Gosplan et de la république casquée, façon Mélenchon. La plupart, cependant préfèrent la fuite en avant dans le sociétal, s'investissant des causes de plus en plus marginales et de plus en plus étrangères aux préoccupations de la majorité de la population. Ces causes sont souvent justes, d'ailleurs, mais pour ceux qui les promeuvent, elles ne sont, pour citer Pliskin lui-même que des "« ready made des droits de l'homme »"., des caches misères derrière lesquels ils cachent leur échec et leurs privilèges.
Le prolétaire devient un bauf réactionnaire qui s'en va grossir les rangs d'un Front-National fécondé par la pensée d'un Alain Soral qu'on aurait tort de sous-estimer. A sa place s'installe une diversité de complaisance, enfermée bien malgré elle dans son altérité.
La vocation de la diversité c'est de devenir la normalité. Etre noir ne devrait pas être plus problématique qu'être blond. Aimer les hommes ne devrait pas poser plus de difficultés d'aimer le jazz. Pour une intelligentsia en mal de messie, cependant, une telle diversité ne sert à rien, d'où la prolifération des idéologies victimaires, nées de la matrice d'un certain féminisme, avec leur cortège de quotas, de représentants auto-proclamés et de rentes de situation. Quant aux membres concrets de la diversité en question, ils sont réduits au rang de minorité de service, perpétuellement soumis à une intelligentsia perpétuellement chargée de les défendre d'une perpétuelle oppression, quitte à s'engager dans surenchère normative dont le féminisme suédois ou américains nous donne un déplorable exemple.
Sur ce point, les intellectuels de gauche ne sont guère différend de ces nobles d'ancien régime qui se piquaient de philosophie tout en méprisant souverainement les paysans dont le travail faisaient vivre leurs salons. A l'époque cela a fait le jeu de Danton et Robespierre, aujourd'hui cela fait celui de Marine Le Pen. Autres temps, autre tyrans.
Nolwenn Leroy, et la culture dont elle fait partie, représente une autre sorte de minorité, particulièrement rétive à ce genre de vampirisme intellectuel. Contrairement au folklore de banlieue, les cultures bretonnes, basques ou corses se sont toujours voulues indépendantes de la culture dominante, parisienne, voire germanopratine. L'objectif de ceux qui les ont remodelées dans les années soixante-dix n'était pas de créer un genre pour lequel l'intelligentsia parisienne pourrait ou non s'enthousiasmer. Il n'était pas non plus de ressasser jusqu'à la caricature une culture morte pour alimenter les fantasmes de pureté de "gaulois" en mal d'authenticité. Il était de mettre sur pied une expression culturelle propre à la Bretagne, dans tous les domaines, et de l'amener au même niveau que celle des autres pays européens.
On peut discuter à l'infini afin de savoir si oui ou non l'expérience à été un succès, dans quels domaines et jusqu'à quel point. La puissance des grands groupes parisiens, le conservatisme, ou, ce qui revient au même, le progressisme de salon, des corporations intellectuelles et artistiques, et, pourquoi le nier, l'attrait des prébendes et des sinécures, sont des obstacles difficiles à dépasser. Le projet n'en reste pas moins profondément subversif. Il vise non pas à quémander la reconnaissance de l'intelligentsia, fût-ce au prix de "Niqu' la France" aussi tonitruants que factices et mercenaires, mais à s'en passer et à s'adresser directement au reste du monde.
De ce point de vue, Nolwenn, est, sans doute à son corps défendant d'ailleurs, beaucoup plus dangereuse que le plus violent des rappeurs. Elle fait ce qu'eux ne feront jamais : elle remet en cause, au moins potentiellement, la rente de situation de l'intelligentsia et ses prétentions à l'arbitrage des élégances. Naturellement, on peut contester la qualité de la prestation de Nolwenn – et certains le font – mais cette contestation se fait de l'intérieur de la culture bretonne, pas du haut d'un aréopage germanopratin.
La reductio ad Maurassem, aussi maladroite qu'outrancière, dont s'est rendu coupable Fabrice Pliskin est bien plus qu'une erreur, ou un jeu d'esprit à la mode versaillaise. C'est un lapsus révélateur, un réflexe de défense de l'intellectuel de gauche parisien face à ce qui le nie.
Le peuple, perpétuellement sacrifié à l'opium des intellectuels, a, lui, manifestement choisi.
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